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"Le Glamour", de Christopher Priest

Publié le par Nébal

Le-Glamour.jpg

 

PRIEST (Christopher), Le Glamour, [The Glamour], traduit de l’anglais par Michelle Charrier, Paris, Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1984-1985, 1996, 2005, 2008] 2012, 409 p.

 

Une fois n’est pas coutume, voilà un livre dont je sens d’ores et déjà que je vais avoir des difficultés pour vous en entretenir… C’est qu’il est d’une densité peu commune, ce roman « révisé » par Christopher Priest, et qu’il manie avec subtilité une multitude de thèmes fort complexes, le long d’une trame, si tant est que ce mot s’applique, pour le moins nébuleuse (et je ne vous parle même pas de la conclusion, aussi bluffante que déconcertante).

 

Alors évidemment, je peux faire simple, et me contenter dans un premier temps de vous dire que c’est tout à fait brillant, indubitablement excellent. Et peut-être, pour certains lecteurs, vaudrait-il mieux s’arrêter là, dans la mesure où une part non négligeable de l’intérêt du Glamour provient de ce que l’on y est sans cessé baladé, que l’on ne sait jamais vraiment où l’on se trouve, et ce qui se passe au juste. Le roman se révèle (?) petit à petit. Aussi, autant vous prévenir : ça risque donc de spoiler, bien malgré moi, et pas forcément à très bon escient… D’autant que ce livre aura probablement autant de lectures que de lecteurs, dans la mesure où son thème essentiel, plutôt que l’invisibilité ou la transparence comme on le dit généralement, est bien plutôt celui, priestien par excellence, de la perception, subjectif au possible.

 

Nous avons donc Richard Grey, cameraman indépendant, qui est victime d’un attentat à la voiture piégée en plein Londres, et en ressort dans un sale état, et amnésique : impossible pour lui de se souvenir des quelques semaines qui ont précédé le drame. Aussi ne reconnaît-il pas dans un premier temps la jeune femme qui se présente sous le nom de Susan Kewley, et qui, après l’avoir longtemps cherché, l’a enfin déniché dans une clinique du Devon. Sue prétend qu’ils ont été amants, mais Richard n’en a aucun souvenir…

 

Au fil des séances d’hypnose et des conversations avec la jeune femme se dessine un passé possible ; mais nous sommes dans un roman de Christopher Priest, et, comme chez Philip K. Dick pour ne pas le nommer, mais pour des raisons différentes, la réalité est incertaine, fluctuante… Que s’est-il passé au juste ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de « glamour », cette faculté étrange dont parle l’intrigante Sue, et qui permettrait de se rendre invisible ? Existent-ils vraiment, ces glams, qui échappent à la perception des humains « normaux » ? Et surtout, quel est-il, ce Niall, ancien amant possessif de Sue, et qui semble obstinément se dresser entre Richard et elle, sans qu’on ne le voie jamais ?

 

La perception, donc. Mais aussi la réalité, la mémoire, la folie… Avec en prime une métaphore d’ordre social. Le tout traité avec un brio rare le long d’une superbe romance, qui est tout autant réflexion sur la séduction et ses mystères. J’ai beaucoup pensé, à la lecture du Glamour, à l’excellentissime La Séparation, avec lequel il partage plus d’un trait. Mais l’érotisme diffus du roman, toujours présent bien que discret (forcément…), m’a aussi rappelé, avec plus de réussite, L’Archipel du Rêve, qui m’avait quelque peu déçu. Avec, pour ne rien gâcher, au-delà de Dick, une touche de Ballard, ai-je trouvé, ainsi lors de cette longue réminiscence d’un voyage en France, sur la côte d’Azur essentiellement.

 

Perception, notamment au travers de la mémoire, et réalité : le réel peut-il être limité à ce que l’on perçoit, peut-on se fier à nos sens, le réel est-il le même pour tous ? Questions philosophiques aussi anciennes que la philosophie, mais superbement traitées par l’auteur, avec une finesse et une délicatesse tout à fait admirables. La faculté d’invisibilité est ici autant ou plus subjective qu’objective… si tant est qu’elle existe, elle aussi. Quelle est la part, dans tout cela, de la recréation, de la mythomanie, de la paranoïa ? Priest pose les questions, esquisse des réponses, mais pour mieux les contredire quelques pages plus loin. Aussi, en définitive, ne sait-on pas : le lecteur est laissé dans une sorte de vide existentiel, dont on ne sait trop s’il offre une infinité de sorties, ou ne laisse aucun échappatoire possible. Le Glamour, et ce n’est pas le moindre de ses attraits, est un roman qui interroge, avec talent, tout en laissant en définitive le lecteur confronté à sa seule perception de ce qui est, ou de ce qui doit être, en fonction d’une lecture qui ne peut être que personnelle.

 

C’est aussi, et ça les cocos je ne le dirai pas tous les jours, une splendide histoire d’amour, d’une authenticité et d’une fragilité remarquablement belles. Ceci grâce au talent de l’auteur, à sa plume tout en nuances, subtile et émouvante, magnifiquement servie par la traduction irréprochable de Michelle Charrier ; à ses personnages, aussi, merveilleusement dessinés, et plus vrais que nature : on s’attache aux pas de Richard et de Sue, on les vit littéralement de l’intérieur, dans la passion comme dans le rejet, le pragmatisme comme la folie ; et ce d’autant plus, bien sûr, qu’ils sont anodins, communs, « invisibles ». Terriblement humains dans leur différence.

 

Au-delà de la question du genre, dont décidément je me passe très bien, Le Glamour est ainsi un fabuleux roman, que je ne saurais trop vous engager à lire. Aussi perturbant qu’intelligent, subtil et sensuel, c’est une vraie merveille, une lecture « traumatique », qui laisse une forte impression, quand bien même on peut très légitimement s’y retrouver perdu (…). Autant de lectures que de lecteurs, donc, mais s’il est une chose objective dans tout cela, c’est bien le brio de Priest, qui confirme ici sa stature de géant de l’imaginaire contemporain.

CITRIQ

Commenter cet article

L
Nos lectures se suivent de près, je suis en train de lire La Condition humaine. J'ai cherché un mail, pour vous écrire, en vain. Aussi je vous laisse mon commentaire sous la chronique grâce à<br /> laquelle j'ai connu votre blog, ainsi que le lien vers mon propre post consacré au Glamour : http://latribunedeliria.blogspot.fr/2012/09/literatura.html
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N
<br /> <br /> Pour le mail, "Contact" en bas de page.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sinon, je vois que nous n'avons pas exactement le même point de vue tant sur Le Glamour que sur L'Archipel du Rêve (mais pour ce dernier je me sentais un peu seul...). Boarf,<br /> autant de lectures que de lecteurs, disais-je (putain, je m'auto-cite ! je vais de ce pas me flageller avec des orties fraîchement coupées).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Re-sinon, bonne lecture de La Condition humaine (ça sera pas dur de faire un meilleur article que ma petite nullité...).<br /> <br /> <br /> <br />
M
Difficile en effet d'en parler sans en dire trop. Ayant déjà lu du Priest et notamment Le monde inverti, je m'étais lancée dans le Glamour sans lire la 4ème de couv., c'est un de ses meilleurs.
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B
Je n'ai pas tout lu de ta chronique... juste quelques bribes... astucieux hein? :-) Et, je m'en irai donc rapidement me procurer ce roman de Priest parce que tu y pousses même faute de t'avoir lu<br /> en diagonale. Je dis ça évidemment sans affront car je tiens beaucoup à garder le mystère de cette histoire, et car je partageais tes impressions sur les autres Priest que tu as lu.
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S
Rappel :<br /> http://www.cafardcosmique.com/Le-glamour-de-Christopher-PRIEST
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G
Rappelons quand même qu'il est paru initialement dans la collection Ailleurs et demain, dans une version très légèrement différente, sous le titre Le Don, ce qui tendrait à prouver que du côté des<br /> genres cette collection a les vues larges.
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T
Ouaip, camarade : chef d'oeuvre.
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C
ah ouaih...<br /> <br /> <br /> <br /> Bon, en un sens je comprends la critique du roman (pour l'avoir lu) et pense que ce dernier (tout comme l'auteur) ne laisse pas indifférent (soit on déteste soit on aime).<br /> <br /> Sans avoir besoin de "limpidité totale" dans un roman, je goutte peu de ces réalités incertaines.<br /> <br /> Je ne suis définitivement pas pour Priest.
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E
Nous sommes d'accord mais tu en parles bien et bien mieux que moi.
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