"Le Pays creux", de William Morris
MORRIS (William), Le Pays creux, [The Hollow Land], traduit de l’anglais par Maxime Massonnat, Paris, Aux Forges de Vulcain, coll. Littératures, 2011, 52 p.
La reprise de ce blog après une interruption qui me parut bien trop longue (vous, je sais pas) me fournit enfin l’occasion, que j’attendais depuis quelque temps déjà, de découvrir l’œuvre de William Morris (et par la même occasion les éditions Aux Forges de Vulcain, qui en ont déjà publié quatre titres). J’avais de bons échos, en provenance de personnes de confiance, et j’étais curieux du personnage, qui ne me semblait pas tout à fait inconnu ; un coup d’œil à sa complexe et riche biographie me laisse supposer que c’est en tant que théoricien socialiste que son nom m’était venu aux oreilles. Un aspect du bonhomme qui justifierait déjà ma curiosité (même si cela aurait sans doute été plus vrai il y a de cela quelques années…) ; pourtant, c’est sous un autre angle qu’il me fut donné ici de découvrir le personnage, non moins intéressant : celui de précurseur de la fantasy (encore que le terme de « précurseur » prête à débat, sans doute : Morris, dans ce texte-là en tout cas, c’est déjà pleinement de la fantasy, presque un siècle avant Tolkien).
J’ai eu envie de commencer par un très court texte, et ai donc choisi ce Pays creux qui tient en une cinquantaine de pages. Ce qui tombait plutôt bien, je suppose : c’est en effet la première œuvre de fiction (voire, semble-t-il, la première œuvre tout court) de l’auteur, datant de 1856, et, oui, c’est déjà de la fantasy.
Le cadre est très abstrait, mais on supposera qu’il s’agit (dans un premier temps tout du moins…) du Moyen Âge anglais ; un Moyen Âge chrétien, mais où les noms se ressentent encore des invasions barbares.
Notre héros et narrateur se nomme Florian de Liliis. Et son récit est tout d’abord celui d’une vengeance, celle de son frère Arnald à l’encontre de l’orgueilleuse Swanhilda, qui l’avait humilié en raison d’une maladresse ; une quinzaine d’années après le triste événement, les deux frères, accompagnés de leurs hommes en armes, obtiennent réparation en tuant la perfide femelle. Mais le sang appelle le sang, et c’est dès lors la famille de la défunte, incarnée par Harald le Rouge, qui s’en prend à la maison des Lys. « Marie sonne ! »
Au cours de l’inévitable guerre privée qui s’ensuit, et qui tourne mal pour les deux frères, Florian tombe – littéralement, et on ne sait trop comment – dans une étrange contrée : le Pays creux, aux faux airs de paradis… ou d’enfer. Il y fait la rencontre de la belle Margaret, son amour, qui l’attendait depuis si longtemps ; mais, surtout, il y entame une quête de rédemption…
Un texte étrange que ce Pays creux ; et probablement, oui, quelque chose de pas tout à fait abouti : le récit, fort décousu et qui sent la fable, enchaîne, à partir de la chute de Florian dans le Pays creux – tout se tient parfaitement jusque-là –, songeries pré-surréalistes, allégories plus ou moins forcées, tableaux édifiants, un peu à la va-comme-je-te-pousse. Ce qui est plus ou moins convaincant.
Et pourtant, dans l’ensemble, ça marche. Parce que c’est beau, tout simplement. On se laisse emporter par la plume de l’auteur, assez agréable (malgré quelques répétitions intempestives qui auraient probablement dû être sabrées à la traduction), et, surtout, par le souffle qui s’en dégage et la force des tableaux. On est effectivement déjà en plein dans la fantasy, et dans la meilleure, malgré (ou grâce à ?) la brièveté du texte. Le récit médiéval des deux premières parties est traversé d’une puissante atmosphère épique et violente, cruelle, voire barbare, qui fait indéniablement son petit effet. Et si la suite est plus déconcertante, du fait de son caractère mi-onirique, mi-allégorique, elle n’en contient pas moins à l’occasion de fort belles images, du genre à marquer le lecteur fasciné.
Un texte étrange, donc ; qui sent l’œuvre de jeunesse, à n’en pas douter. Mais, au-delà des quelques défauts qui ont été évoqués (mais peut-être n’en sont-ils pas pour tout le monde), ce Pays creux séduit, étonne et, finalement, convainc ; c’est effectivement une œuvre fondatrice, qui annonce Tolkien et compagnie. Mais ce n’est pas qu’une curiosité littéraire, réservée à la seule exégèse érudite, non : ça se lit tout seul, et dans l’ensemble avec beaucoup de plaisir.
Aussi ne vais-je pas en rester là, et poursuivre ma découverte de l’œuvre de William Morris : ce premier essai fut en effet assez intriguant et parlant pour me donner envie de poursuivre dans des textes que l’on peut supposer plus aboutis. À un de ces jours, donc.
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