"Le Peuple des ténèbres", de Tony Hillerman
HILLERMAN (Tony), Le Peuple des ténèbres, [People of Darkness], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1980, 1992, 2004] 2007, 299 p.
Et hop, un nouvel épisode des enquêtes Navajos de Tony Hillerman. Le quatrième en l’occurrence, et un livre qui a son importance dans le « cycle », dans la mesure où c’est le premier où apparaît Jim Chee (pour ce que j’ai cru comprendre), qui vient ici remplacer le lieutenant Joe Leaphorn, héros des trois premiers titres. Et à la différence de ce que l’on pourra lire plus tard (par exemple dans Blaireau se cache ou L’Homme Squelette), Jim Chee est bien le seul héros du roman (Joe Leaphorn n’y apparaît pas, même s’il est mentionné une fois en passant). Notons au passage qu’il s’agit là de la version intégrale de ce roman, autrefois paru en Série noire dans une version tronquée et désavouée par l’auteur sous le titre Le Peuple de l’ombre.
Jim Chee, donc. Un personnage déchiré entre deux cultures, celle des Blancs et celle des Navajos. Tout au long du roman, nous le verrons hésiter sur son avenir : doit-il rejoindre les rangs du FBI ? Ou bien doit-il continuer à étudier auprès de son oncle pour devenir yataalii (« chanteur ») ?
En attendant, le voilà engagé à titre privé – et pour une jolie somme – par la femme d’un milliardaire enrichi par l’uranium, qui vient d’être cambriolé : il s’agit pour lui de retrouver un petit coffre à souvenirs appartenant à son mari, volé d’après elle par « le Peuple des ténèbres », ainsi que l’on désigne les taupes chez les Navajos ; c’est-à-dire une sorte de secte, autrefois considérée comme illégale par le Conseil tribal parce qu’elle utilise le peyote dans ses cérémonies. Jim Chee hésite à se charger de l’affaire, mais elle l’intrigue néanmoins ; elle l’intrigue à vrai dire d’autant plus lorsque le milliardaire lui-même le contacte pour lui dire qu’il s’agit d’un malentendu, une simple affaire domestique qui ne nécessite pas son intervention… et entend le payer pour la « gêne ».
Jim Chee, curieux, se lance malgré tout sur la piste du voleur désigné par la femme du milliardaire, à savoir le chef du « Peuple des ténèbres ». Et, après une première rencontre fructueuse, le retrouve bientôt sous forme de cadavre… Ce qui en soi est déjà assez grave pour justifier une enquête (mais la police Navajo est-elle compétente ? Plus que jamais, la question des juridictions se pose dans cette affaire), mais vient poser un autre grave problème : Jim Chee et une de ses amies, Mary Landon, une institutrice d’abord un peu revêche, ont été peu ou prou témoins de l’assassinat du chef du culte du peyote ; et ils se retrouvent ainsi avec un impitoyable tueur à gages aux trousses…
Quel est le rapport entre les deux enquêtes ? Pourquoi attache-t-on tant d’importance à ce coffre de souvenirs d’apparence anodin ? Et quel est le but de ce tueur, qui semble, il y a quelque temps, avoir tenté de faire sauter le précédent chef du « Peuple des ténèbres » alors qu’il se mourait déjà du cancer et n’en avait plus pour très longtemps ? Jim Chee a du pain sur la planche, et il lui faut se dépêcher ; car c’est sa propre vie qui est en jeu…
Entre polar et thriller, Le Peuple des ténèbres est à nouveau une jolie réussite. Le roman se dévore littéralement, aidé par une plume fluide et des personnages très humains. L’enquête, sans être compliquée outre mesure – on voit assez vite les principaux tenants et aboutissants –, est astucieuse et – c’est le plus important – palpitante, et les scènes de suspense sont très efficaces.
Mais comme d’habitude avec Tony Hillerman, la cerise sur le gâteau, ce sont les aspects ethnologiques du roman. On aura ici l’occasion d’en apprendre davantage sur la sorcellerie Navajo, sur l’usage du peyote dans la Native American Church, sur les animaux-totems, sur la perception de la mort chez les Navajos et d’autres peuples indiens (Chee est toujours étonné par l’attitude des Blancs à l’égard de leurs cadavres…), et sur bien d’autres choses encore, qui font tout le sel de ce roman.
Je n’en ferais pas un chef-d’œuvre, mais le fait est que ce Peuple des ténèbres est un bon, voire très bon polar, qui passionne de bout en bout, intelligent et richement documenté comme à l’habitude. Je suis décidément en train de devenir un fan de Tony Hillerman… À bientôt pour un nouvel épisode.
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