"Le Pistolero", de Stephen King
KING (Stephen), Le Pistolero, [The Gunslinger], texte revu et enrichi par l’auteur, nouvelle traduction de l’américain par Marie de Prémonville, illustrations de Michael Whelan, Paris, J’ai lu, [1982, 1992, 2004] 2010, 254 p. [+ 8 p. de pl.]
Tiens, ça faisait vraiment une éternité que je n’avais rien lu de Stephen King. La preuve, je n’en ai jamais parlé sur ce blog jusqu’à aujourd’hui. Ce fut pourtant un de mes auteurs cultes, notamment lors de mon adolescence, quand je me régalais avec ses chefs-d’œuvre de l’horreur ; c’est d’ailleurs un des rares auteurs (voire le seul, même si Lovecraft, peut-être…) à m’avoir réellement foutu les boules rien que par la magie de sa plume (la pire expérience à ce niveau, et donc la meilleure, je me souviens que ce fut Jessie, bouquin au pitch particulièrement diabolique, que j’avais eu la mauvaise, et donc excellente, idée de lire en écoutant une compil’ de dark ambient…).
Mais je n’avais jamais trouvé la motivation nécessaire pour me lancer dans son fameux cycle de « La Tour Sombre ». Plusieurs raisons à cela : d’une part, donc, chez King, c’était quand même surtout l’horreur qui m’intéressait, et notamment dans son versant fantastique (même si je lui reconnais quelques jolies réussites en science-fiction, voire en fantasy), or je savais que « La Tour Sombre » n’appartenait pas vraiment au genre (je peux cependant dire, maintenant, que les scènes d’horreur, voire de gore, répondent à l’appel dans ce premier volume, même si elles n’en constituent pas l’essentiel) ; d’autre part et surtout, j’ai toujours eu tendance à préférer King dans ses textes les plus courts, et, même si je me suis régalé avec certains de ses romans les plus longs (Ça, Le Fléau, Bazaar, dans une moindre mesure Insomnie), j’avais une certaine propension à redouter cet interminable (mais terminé) cycle s’étendant (alors) sur sept romans, dont certains passablement monstrueux en eux-mêmes… Certes, King lui-même définissait « La Tour Sombre » comme étant « la Jupiter du système solaire de [son] imaginaire », mais justement, cette affirmation me faisait un peu peur (pas pour les bonnes raisons…). Les choses ont changé récemment, grâce à Jules Abdaloff, la caution morale et intellectuelle de la Salle 101, qui a fait récemment une critique dithyrambique et convaincante du cycle dans sa globalité. Je me suis donc dit qu’il était bien temps, au moins de faire l’essai avec le (bref, d’ailleurs) premier volume ; je me suis procuré Le Pistolero et en ai vite entamé la lecture.
King, dans son introduction et son avant-propos, revendique deux influences majeures pour ce cycle entamé alors qu’il avait à peine 20 ans : d’une part, Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien, ouvrage qui l’avait fasciné à l’époque hippie (putains de hippies), et qu’il avait envie, avec une arrogance qu’il revendique comme essentielle à la jeunesse, de « dépasser » (mais pas de « copier », ce qui explique qu’il ait quand même attendu un peu de se forger son univers ; d’autres auraient été bien inspirés de faire de même…) ; d’autre part, Le Bon, la brute et le truand de Sergio Leone, immortel chef-d’œuvre du western spaghetti (même si, à compter les cadavres dans ce premier tome, notamment lors de la scène du massacre de Tull, on aurait peut-être plutôt envie, dans le registre, de le comparer à Django ; ce qui n’est pas une critique, hein). D’où ce cycle d’une ampleur considérable, et qui donne, du moins dans ce premier volume, dans le western post-apocalyptique baigné de magie.
En effet, « le monde a changé » – cette phrase revient régulièrement, à la manière d’un leitmotiv. Le Pistolero se déroule pour l’essentiel dans un futur indéterminé mais passablement glauque, dans un endroit qui pourrait être les États-Unis, et pour une bonne partie en plein désert (on pense effectivement très fort aux décors du western spaghetti). On notera cependant ici ou là quelques liens avec notre époque, et, ce qui m’a surpris, avec le reste de l’œuvre de King (qui évoque à plusieurs reprises le « shining »…).
« L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le Pistolero le suivait. » C’est ainsi que débute le cycle, et il faut avouer que, tout en étant très sobre, cette phrase claque quand même pas mal. Le Pistolero – qui n’est très longtemps désigné que sous cette appellation –, c’est Roland Deschain de Gilead, le dernier de son espèce ; longtemps, on ne saura rien de ses motivations : pourquoi piste-t-il l’homme en noir ? On n’en sait rien… puis commence à se dessiner, mais de manière encore très floue, le mystérieux motif de la Tour Sombre, dont l’homme en noir serait dans un sens la clef ; aussi la Tour constitue-t-elle (mais, là encore : pourquoi ? et de quoi s’agit-il au juste ?) le véritable but de la quête de Roland, l’homme en noir n’étant au final qu’un passage obligé sur le chemin.
À notre tour, nous suivons le Pistolero dans le désert. Et c’est au travers d’incessants flash-backs, parfois d’authentiques récits dans le récit dans le récit, s’emboîtant à la manière de poupées russes, que nous en apprendrons un peu plus sur lui – mais guère sur le monde dans lequel il évolue, qui reste passablement abstrait (là encore, ce n’est pas une critique). La structure du Pistolero est à cet égard tout à fait remarquable : ce fix-up, lorgnant sur le roman-feuilleton, se construit progressivement, au fil de rencontres marquantes et de « palabres », sans que jamais King ne verse dans le didactisme (même si le roman a tout naturellement une dimension initiatique – nous y assistons d’ailleurs au passage de Roland à l’âge adulte). C’est ainsi que s’élabore lentement l’univers, et que s’ébauche la personnalité complexe du Pistolero, lequel, pour être le héros du roman, n’est franchement guère sympathique (non, ce n’est toujours pas une critique), étant prêt à tout sacrifier sur son chemin pour parvenir au terme de sa quête. Mais cet épisode n’est que « la fin du commencement »…
Et ça marche très bien. J’étais au tout début assez sceptique quant au style – on sent l’auteur débutant, malgré la révision, et, toujours malgré la révision, on peut émettre des réserves quant à la traduction… Mais, assez rapidement, j’ai été conquis. Essentiellement du fait de l’atmosphère si particulière du Pistolero. Un western post-apocalyptique baigné de magie, disais-je plus haut (oui, j’adore m’auto-citer, je trouve que c’est un peu la classe, quand même) ; et ce cadre, pour être encore assez flou, n’en est pas moins fascinant. Le travail sur l’ambiance est tout à fait remarquable, et dénote déjà chez le jeune Stephen King un réel talent d’écrivain. C’est avec un plaisir rare que l’on erre dans ces terres désolées en compagnie de Roland ; on a véritablement l’impression d’y être, et c’est fort, très fort.
Aussi ai-je été parfaitement convaincu par ce premier tome ; à vrai dire, et même si je vais laisser passer un peu de temps histoire de me consacrer tout de même à d’autres lectures, j’ai déjà hâte de poursuivre l’expérience avec Les Trois Cartes… J’y reviendrai donc un de ces jours, et remercie d’ores et déjà l’indispensable Jules Abdaloff de m’avoir persuadé de sauter le pas.
Commenter cet article