"Le Roi en jaune", de Robert W. Chambers
CHAMBERS (Robert W.), Le Roi en jaune, [The King in Yellow], traduit [de l'américain] et présenté par Christophe Thill, Noisy le Sec, Malpertuis, coll. Absinthes, éthers, opiums, [1895] 2008, 269 p.
Quand on évoque Le Roi en jaune à un amateur de Lovecraft et de lovecrafteries, normalement, ça fait tilt. Et d'enchaîner sur ce livre maudit (une pièce de théâtre, en fait) qui rend fou, et fait allusion à l'Indicible Hastur, à Carcosa dans les Hyades, aux étoiles sombres et au lac de Hali... Mais tout cela – c'est moins connu – est en fait antérieur à Lovecraft, même si l'insertion du Roi en jaune parmi les volumes du Mythe de Cthulhu a beaucoup fait pour sa postérité. Le Roi en jaune est à l'origine un recueil de nouvelles fantastiques et décadentes de l'Américain Robert W. Chambers (dont j'avais déjà pu lire Yue Laou. Le Faiseur de lunes) ; et encore ! Si l'idée du livre qui rend fou vient bien de Chambers, tout ce lexique que nous venons d'utiliser a en fait été piqué à Ambrose Bierce... Toujours est-il que, dès que j'ai appris l'existence d'une traduction intégrale (et critique) du recueil de Chambers, je me suis emparé de la chose et l'ai intégrée dans ma volumineuse commode de chevet. Les astres étant propices, je me suis dit qu'il était bien temps de le lire, et donc voilà.
Un livre étrange, que ce Roi en jaune, que l'on peut très nettement scinder en deux parties. La première, et de loin la plus intéressante, est composée de nouvelles fantastiques reliées entre elles par quelques personnages communs et ces allusions inévitable au livre qui rend fou et donne son titre au recueil. La seconde partie est quant à elle composée de nouvelles décadentes et « bohémiennes » narrant les frasques et les amours de quelques étudiants américains en art dans le Quartier latin ; et, de ces dernières, on se contentera de dire qu'elles sont interminables, chiantissimes, et pour ainsi dire à peu de choses près illisibles aujourd'hui (malgré quelques bonnes idées ici ou là, comme celle qui consiste à déployer le récit dans Paris assiégé par les Prussiens, pour « La Rue du premier obus »). Passons donc outre, on ne s'en portera que mieux.
Ce qui précède est autrement plus intéressant, même si ce n'est pas exempt de défauts. Robert W. Chambers sait créer des ambiances étonnantes et de délicieux frissons qui le placent dans la postérité d'un Poe ou d'un Bierce (justement). Parfois, il se montre étonnament inventif – ainsi dans la première nouvelle du recueil, un brin confuse, mais qui fait en outre dans l'anticipation sur une vingtaine d'années. Et l'on comprend, du coup, l'influence qu'a pu avoir ce livre bancal sur un Lovecraft, parmi d'autres : il y a bien de temps à autre des traits d'horreur cosmique dans tout cela, qui sont tout à fait saisissants.
Je ne vais pas faire le détail des nouvelles et de leur contenu, cela me paraîtrait quelque peu absurde. Du coup, je n'ai plus grand-chose à dire sur cet étrange bestiau... Si, tout de même : on remerciera Christophe Thill pour cette édition critique d'un classique oublié (c'en est la première traduction intégrale en français, au passage), et l'on s'arrêtera aux premières nouvelles du recueil, celles qui correspondent véritablement à son si célèbre titre, faisant l'impasse sur ce qui suit et qui mérite bien aujourd'hui d'être oublié. Un livre schizo, donc ; pas étonnant qu'il rende fou...
EDIT : Gérard Abdaloff en cause un peu, là.
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