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"Le Sourire des crabes", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

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PELOT (Pierre), Le Sourire des crabes, Paris, Presses Pocket, coll. Science-fiction, 1977, 245 p.

 

Après (récemment) Fœtus-party et La Guerre olympique, tous deux plus que recommandables, nouvelle excursion du côté de chez Pierre Pelot avec ce court roman au titre pour le moins énigmatique. On a pu dire du Sourire des crabes, qui fut refusé bien des fois avant d’être accepté par Jacques Goimard pour la collection SF de Pocket, qu’il fut l’un des romans ayant établi la réputation de l’auteur dans le genre. Mais s’il s’agit bien de science-fiction, c’est pourtant sans doute par la bande… Peu importe, là n’est pas l’essentiel.

 

Problème : pour tout un tas de raisons, je sens qu’il ne va pas être évident d’en causer, de ce Sourire des crabes. Mais bon : on m’a assez fait remarquer ces derniers temps à quel point j’étais, en plus d’être viscéralement méchant, foncièrement incompétent, et ce blog inutile, alors ça ne changera pas trop… Peu importe là aussi, et essayons d’en donner malgré tout un aperçu.

 

Admettons. La France, dans un futur si proche qu’il est déjà dépassé. Le régime du Prince, sous des oripeaux « libéraux », a quelque chose de fascisant. Mais ce n’est pas la seule chose qui pue dans cette société très contemporaine, loin de là. On pourrait citer également, exemple flagrant, la télévision, et notamment l’émission en continu « Monde spectacle », présentée (entre autres) par le vieux crouton souriant Lux, et qui fait – triste prémonition de la part de l’auteur – dans la télé-réalité la plus abjecte et sordide, dans la filiation directe des mondos.

 

Il y a le vieux et la vieille (absents ; le travail, comprenez-vous…). Et leurs trois enfants qui leur ont valu une prime et un certificat de civisme : dans l’ordre, Luc, Cath, et Alain. Le petit dernier (7 ans), gniard abject, reste vautré toute la journée devant « Monde spectacle ». Cath, de son côté, fait un séjour en institution psychiatrique : elle a été diagnostiquée schizophrène et paranoïaque. Mais elle doit sortir aujourd’hui, à seule fin d’intégrer le centre de réorientation de Strasbourg II, à l’autre bout du pays. Les parents étant de toute façon indisponibles, Luc se propose pour y conduire sa sœur. Le temps d’une partie de jambes en l’air (oui, Luc et Cath commettent l’abominable inceste : ils s’aiment, horreur glauque, ils s’aiment plus que tout, même) et de préparer quelques sandwichs (empoisonnés au raticide pour ce petit con d’Alain), et Luc et Cath prennent la route.

 

Et ils ont un programme. L’envie de « faire des choses ». En gros, de tout faire péter et de tuer des gens. Comme ça, paf. Parce que Luc et Cath sont deux adolescents en révolte, pris dans un violent délire anarchiste, ou plutôt nihiliste. Et/ou parce que les deux, et pas seulement Cath, sont complètement dingues, mais bien conscients de n’avoir rien à perdre dans ce triste monde tragique. En chemin, ils embarqueront notamment une otage, Hélène, qui a une caméra et vise le scoop au million de Fr-90 de « Monde spectacle » : qu’elle filme, il y a de la matière…

 

Road story désespérée, ultra-violente et sans concessions au parfum de pamphlet nihiliste et misanthrope, Le Sourire des crabes anticipe, ainsi que cela a souvent été noté, le film Tueurs nés (je veux bien le croire, mais, je plaide coupable, je n’ai jamais vu la chose…). Mais on pourrait également citer d’autres œuvres, comme par exemple Baise-moi de Virginie Despentes ou, en miroir, Sauvagerie de J.G. Ballard. La virée meurtrière de Luc et Cath a ainsi quelque chose de visionnaire (outre sa lucidité en ce qui regarde le malaise de la société libérale ou la télé-réalité), qui lui a conservé la majeure partie de son impact et de son sens aujourd’hui (mais, en 1977, ça a vraiment dû faire comme un choc…). La majeure partie seulement : en effet, le thème a aujourd’hui, du coup, quelque chose d’un peu éculé, peut-être. Mais ça continue indéniablement de faire son petit effet.

 

Le Sourire des crabes, superbement écrit (il m’a fait l’impression d’une bien plus grande ambition stylistique que Fœtus-party et La Guerre olympique, même si l’on n’atteint peut-être pas la maestria de C’est ainsi que les hommes vivent), prend aux tripes et file la gerbe. C’est violent, très violent, voire carrément gore. Ça déborde de haine à l’état pur. Sans surprise, c’est d’une noirceur peu commune. Osons l’expression cliché : c’est un roman « coup de poing », du genre qui fait mal, très mal.

 

Mais j’avouerai qu’il m’a plus ou moins convaincu, cependant. Pour des raisons que je ne saurais véritablement expliquer (la faute à mon incompétence et à mon ressenti, chose horrible), Le Sourire des crabes, si je suis bien loin de vouloir nier ses qualités évidentes, ne m’a pas toujours parlé, ou en tout cas beaucoup moins que Fœtus-party et La Guerre olympique. Peut-être cela tient-il, malgré l’intensité de la chose et sa grande beauté formelle, à une certaine vacuité/gratuité que l’on peut redouter durant une bonne partie du roman ; mais, heureusement, la fin change radicalement la donne (je ne parle pas tant ici de la « chute », assez prévisible – les indices ne manquent pas –, que de ce qui la précède immédiatement, quand [SPOILER] le Contre-Pouvoir révolutionnaire se manifeste, ce qui vient largement bouleverser le contenu politique du roman).

 

Il y a cependant quelque chose de (paradoxalement ?) abstrait dans Le Sourire des crabes, roman brut et aussi fou que ses protagonistes juvéniles, qui pourra peut-être constituer un obstacle pour le lecteur (bien plus que la violence à mon sens : si celle-ci est omniprésente, et teintée de complaisance sadique, elle ne m’a pas pour autant « choqué », ou du moins pas dans le mauvais sens du terme et au-delà des intentions de l’auteur).

 

Voilà. Il est peu probable que Le Sourire des crabes figure parmi mes Pelot préférés. Mais je conçois bien son importance au moment de sa parution, et peux vous assurer qu’il vaut bien d’être lu aujourd’hui, malgré tout.

CITRIQ

Commenter cet article

N
"on m’a assez fait remarquer ces derniers temps à quel point j’étais, en plus d’être viscéralement méchant, foncièrement incompétent, et ce blog inutile, alors ça ne changera pas trop…"<br /> <br /> Tu es foncièrement méchant et c'est pour cela qu'on t'aime mon "petit" Nébal. :D<br /> NicK.
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N
<br /> <br /> Même pas vrai. C'est rare que j'écrive des meuchancetés, en plus. C'est juste que c'est plus voyant.<br /> <br /> <br /> <br />
T
Clairement un des plus grands "Pelot SF", un des plus formellement aboutis aussi. Je me rappelle l'avoir pris en pleine poire quand je l'avais lu, sans la (relative) distance qu'il a pu provoquer<br /> chez toi. J'aurais donc grand mal à être objectif...<br /> Si tu veux creuser encore davantage dans sa veine SF, je recommande chaudement son cycle des Hommes sans futur, Une si profonde nuit (un Suragne) et le très percutant La rage dans le troupeau...
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N
<br /> <br /> Déjà lu le dernier, mais je note le reste, merci.<br /> <br /> <br /> <br />