"Le Visage vert", n° 17. "Présences cachées"
Le Visage vert, n° 17. Présences cachées, Paris, Zulma, octobre 2010, 191 p.
Eh ben, on l’aura attendu, ce 17ème numéro de l’excellente revue qu’est Le Visage vert ! Pour tout dire, j’en étais venu à craindre qu’il ne sorte jamais… Mais si, ouf. Il est là, et bien là (malgré, semble-t-il, quelques fâcheux problèmes de distribution…). Et, sans surprise, il vaut sacrément le détour.
Un numéro spécial à plus d’un titre. Déjà, sachez-le, répétez-le : c’est le dernier numéro de la revue à être publié chez Zulma : dès le prochain, Le Visage vert volera de ses propres ailes, et ce – joie, joie ! – pour deux numéros l’an ! Ensuite, fait notable, comme vous allez très vite pouvoir le constater, ce numéro, une fois n’est pas coutume, fait la part belle aux auteurs contemporains ; enfin, la dominante reste quand même très fantastique / décadent fin XIXe / début XXe, comme d’hab’, mais les auteurs vivants (si, si) sont plus nombreux que d’habitude, et ma foi, ce n’est pas désagréable.
Sinon, comme d’hab’ (bis), on peut découper ce numéro en deux parties, la première « générale », et la seconde « spéciale », consacrée à un dossier concocté par l’inévitable – et c’est tant mieux – Michel Meurger – et intitulé cette fois « Présences cachées ». Mystère, mystère… Mais à vrai dire, de « présences cachées », il sera déjà question dans la partie « générale », à laquelle le dossier fera maintes fois écho.
Commençons donc par le commencement, c’est-à-dire par le contemporain Romain Verger et ses trois nouvelles « végétales », « Sylvia » (pp. 13-16), « Aux champignons » (pp. 17-21) et « Vlad » (pp. 23-28). Assez jolie plume… mais, pour être franc, ces textes ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable.
Il n’en va pas de même du suivant, « La Fleur-serpent » (pp. 31-47), que l’on doit à Judith Gauthier (oui, oui, la fille de…) ; mais peut-être pas pour les bonnes raisons… Cette histoire tarabiscotée de vengeance posthume, au style lourd, m’a en effet paru assez nanarde, disons du moins risible. Jusque-là, donc, mauvaise pioche, ou peu s’en faut. Le niveau d’excellence de la revue devrait-il être revu à la baisse ?
Démenti sérieux dès le texte suivant, heureusement, qui est un authentique chef-d’œuvre. « La Déconfiture d’Hypnos » (pp. 51-64) du Gallois Rhys Hughes, que l’on avait jusqu’à présent pu lire dans Fiction, est une vraie merveille, présentée comme un hommage à Borges. Ben l'est réussi, l'hommage. Un texte indispensable.
Suivent deux nouvelles de l’Autrichien Paul Frank, tout à fait recommandables. « La Gueule » (pp. 67-70), dans son délire baroque et culinaire, m’a fait penser à une hybridation psychotrope, grotesque et morbide entre les Monty Python de M. Creosote et le Joris-Karl Huysmans de À vau-l’eau ; bref : j’aime. Quant à « La Mort de Dick Silverside » (pp. 71-78), c’est une nouvelle, paradoxalement, d’autant plus efficace qu’elle est évidente. À noter que les deux sont joliment illustrées par Fritz Löwen, et que Robert N. Bloch consacre une note à l’auteur (pp. 79-82), très intéressante, et affreusement tragique.
La suite est également de la plus belle eau. « L’Alkekenge » (pp. 85-95) est une nouvelle très sensible de Jean des Roches (de son vrai nom Hélène – ou Fanny ? – Dufour), superbe hymne à la nature dans toute son ambiguité.
On retourne ensuite aux contemporains, d’abord avec le Chilien Cristián Vila Riquelme, qui semble goûter l’obscurité et l’hermétisme… Un peu trop à mon goût. Si le quasi-poème en prose qu’est « Nautilus » (pp. 99-104) ne manque pas d’un certain charme, « Retour » (pp.105-113), en dépit de quelques images fortes, m’a paru d’un ennui mortel. Dommage…
Un peu d’ethnographie pour finir – ce n’est certainement pas moi qui vais m’en plaindre – avec l’Américaine Jessica Almanda Salmonson qui, avec « La Femme qui avait épousé un phoque » (pp. 117-122), nous livre un très beau conte de la région de Coos Bay, au nord-ouest des Etats-Unis. Une belle initiative, à renouveler.
On entame ensuite le dossier consacré aux « présences cachées ». Il s’agit de déceler le mystérieux, la présence du fantastique, non pas dans quelque région éloignée du globe, mais au cœur même de l’Europe, simplement dans les « blancs » de la carte, les régions où l’on ne s’aventure guère, et où ont pu survivre d’inquiétantes et/ou fascinantes créatures du passé…
Premier auteur : le « maître de la ghost story » Edward Fredric Benson, avec « La Corne d’épouvante » (pp. 125-135), et sa variation sur l’abominable homme des neiges dans les Alpes suisses. Une jolie réussite, avec une très belle atmosphère, et un suspense haletant.
On passe ensuite à John Buchan (l’auteur des 39 Marches), avec « Skule Skerry » (pp. 137-149). Cette fois, c’est dans les îles au nord de l’Écosse que se situe l’intrigue, cadre magnifiquement utilisé. L’atmosphère est absolument sublime. Mais la chute m’a paru un peu décevante, dommage…
Enfin, reste une nouvelle de l’Autrichien Paul Busson, « La Pierre qui fume » (pp. 151-164). Où l’on part en quête d’un satyre au Tyrol. Une jolie nouvelle, même si sans doute moins saisissante à mes yeux que Le Marais aux sorcières, que j’avais déjà eu le plaisir de lire… grâce au Visage vert, en tant qu’éditeur cette fois.
Et c’est bien évidemment à Michel Meurger de conclure, en se focalisant essentiellement sur cette dernière nouvelle : « Danse avec le sylvain. Paul Busson et la nostalgie du dionysiaque » (pp. 165-185). Un article eeeeeeeeeeeeextrêmement riche et passionnant où l’auteur fait preuve de sa sidérante érudition habituelle. Et je ne peux m’empêcher de me poser, comme à chaque fois, cette question : mais comment fait-il ?
En somme, vous l’aurez compris, ce numéro du Visage vert est bien fidèle à la tradition d’excellence de la revue. Vivement la suite, en principe pour bientôt…
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