"Le Visage Vert", n° 22
Le Visage Vert, n° 22, Cadillon, Le Visage Vert, juin 2013, 191 p.
Le Visage Vert nouveau est là, il est beau, il sent bon le sable chaud (c’est de toute évidence l’accessoire indispensable de vos vacances). Plein de bonnes choses au programme de ce numéro 22, qui ne font que confirmer – j’aime assez à me répéter sur ce sujet – l’excellence de cette revue de littérature fantastique, décadente, etc. Du vieux (surtout) (comme d’hab’), mais aussi du neuf, de la fiction, du dossier, le tout abondamment illustré et de la plus belle manière… que demande le peuple ?
« LE RETRAIT DE LA LOI TAUBI… »
*SBAF*
Ta gueule, « le peuple ».
Abruti.
…
Pardon.
Parlons plutôt du contenu de ce numéro d’une qualité, non pas exceptionnelle, car la coutume est là, mais néanmoins remarquable. Et suivons l’ordre du sommaire, parce que bon, hein, bon, et puis c’est comme ça, voilà.
Tout commence donc avec Lucien Prévost-Paradol. Je connaissais très vaguement le personnage en tant que philosophe et homme politique libéral, mais ne savais pas qu’il s’était exercé – très rarement, ceci dit – à la fiction, a fortiori fantastique. Et pourtant, si. En témoigne « Mon ami Hermann », fable certes un peu « artificielle » et un tantinet plombée par un moralisme gros comme moi, mais pourtant des plus charmantes. Une assez jolie variation sur le double, critiquable, donc, mais qui constitue un amuse-gueule fort sympathique. Norbert Gaulard en profite pour livrer « La Double Vie de Prévost-Paradol », mêlant biographie et recension de critiques de ce texte, ce qui vaut le détour, ma foi (Allan Kardec, c’est quand même assez rigolo…).
La suite, c’est Gelett Burgess, avec « L’Extincteur à fantôme », nouvelle très amusante qui préfigure largement SOS Fantômes (si) : alors moi, je dis OUI ; ça se lit tout seul.
Non-fiction ensuite avec François Ducos et « Scotland Yard au pays d’Hoffmann », long article sur l’engouement teuton pour les fascicules populaires mettant en scène des enquêteurs du surnaturel, au long (très long) d’improbables aventures confinant au surréalisme tant le délire et le grotesque s’y donnent à cœur joie. C’est d’un mauvais goût réjouissant, les quelques résumés que nous confie l’auteur ne sont pas piqués des hannetons, et l’iconographie est tout simplement fabuleuse. Ach !
On change radicalement de registre, n’est-ce paaas, avec Camille Mauclair (qui s’est ainsi rappelé à mon bon souvenir, le sire Planchapain m’ayant en son temps longuement entretenu du critique d’art qui, euh, politiquement, euh, bon, voilà…) et sa nouvelle « L’Argonaute et la Sirène ». Las, ce fut en ce qui me concerne la déception de ce numéro – mais la seule, c’est toujours ça de pris : c’est que le bonhomme avait tout de même la plume sacrément lourde, pour le coup ; l’emphase et la préciosité exacerbées de ce conte symbolique n’ont guère suscité en moi que l’ennui… Bon, tant pis.
Pas grave. D’autant que la suite, c’est – joie ! joie ! – l’indispensable Michel Meurger, qui s’intéresse dans « Du côté des loups (I). Garous et meneurs de loups littéraires » au mythe du loup-garou (et à ce qui peut s’en rapprocher, comme les meneurs de loups – donc – ou les « sauvages », notamment, mais pas que, les enfants), tel qu’il s’est constitué depuis le Moyen Âge. Pas de fiction, ici – c’est pour le prochain épisode, j’imagine : avec son érudition coutumière (et toujours aussi bluffante), l’auteur recense cette fois écrits juridiques, démonologiques et savants d’une manière ou d’une autre, puis canards, traitant de la lycanthropie. C’est bien évidemment passionnant (et, à titre personnel – nostalgie… –, cela m’a ramené à mes études, quand j’avais hésité à orienter mes recherches sur les procès de lycanthropes ; j’aurais peut-être dû…).
On retourne ensuite à la fiction avec Romain Verger (j’arrête pas d’en parler, en ce moment ; ça va se voir, à force) et « Le Château ». De sa plume irréprochable, l’auteur évoque avec brio une douloureuse réminiscence enfantine (sur un mode qui m’a rappelé Forêts noires), où la nostalgie se teinte d’horreur pure et libératoire. Très bien.
Nostalgie et réminiscences enfantines toujours avec le texte suivant, probablement celui qui m’a le plus plu dans ce très bon numéro (c’est dire si c’est de la bonne), à savoir « La Peur. Souvenirs d’enfance », écrit et illustré par l’immense Rodolphe Töpffer, qui n’est donc pas « que » le fameux précurseur de la bande-dessinée. Une nouvelle absolument splendide, brillante évocation des traumatismes enfantins, qui a suscité énormément d’échos chez moi (notamment l’épisode de l’enterrement du grand-père…), mais je suppose que ce sera vrai pour tout le monde. La plume est simple et belle, le ton remarquablement juste, l’articulation avec les illustrations exemplaire… C’est tout simplement génial.
On finit sur une touche plus légère avec deux brefs pastiches holmésiens. Tout d’abord, « L’Affaire de l’étui à cigares. Par A. C---n D--le » de Bret Harte : un texte hilarant, où le célèbre détective Hemlock Jones est tourné en ridicule de la plus belle manière ; vraiment à mourir de rire. Bien plus, à mon sens, que la très courte « Une mystérieuse histoire de détective » de Stephen Leacock, qui n’est guère qu’une blagounette pas mal troussée, mais quand même très anecdotique.
Bilan plus que satisfaisant, donc, pour ce très bon numéro du Visage Vert, une revue que, décidément, je n’ai pas fini de vous conseiller. Mais comment font-ils ? Et comment parviendront-ils à faire aussi bien avec le numéro suivant ? Parce qu’ils le feront, c’est à peu près sûr. Balaises, tout de même…
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