"Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?", de Karim Berrouka
BERROUKA (Karim), Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables ?, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2013, 234 p.
Il me faut préciser une chose d’emblée : je connais Karim Berrouka, c’est un ami. Ce qui ne va pas exactement me faciliter la tâche. En effet, d’une part, si je dis du bien de ce recueil, vous pourriez suspecter de ma part une certaine dose de partialité ; d’autre part, en dire du mal s’annonce plus compliqué que d’habitude – forcément. Le problème étant encore accentué dans la mesure où je vais être amené à la fois à dire du bien et du mal de Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables… Diantre.
Autre précision nécessaire : ce livre n’est pas ce que vous croyez. Le titre débile (Philip K. Dick appréciera ; notons que cette référence SF est d’autant plus malvenue – ou pas, allez savoir – que le recueil est essentiellement composé de nouvelles de fantastique et de fantasy) et la couverture punk semblent a priori capitaliser sur le lourd passif d’ex-Ludwig de Karim Berrouka, et on aurait tôt fait d’en conclure qu’il s’agit là d’une bouffonnerie. À tort : c’est en effet un recueil bipolaire, alternant à chaque nouvelle le jouasse rigolo débile et le pas jouasse à se pendre. Bref : comme on dit dans la perfide Albion, on ne juge pas un livre à sa couverture (et pas davantage à son titre, donc).
Mais problème une fois de plus : Les Ballons dirigeables rêvent-ils de poupées gonflables est ainsi composé de nouvelles écrites sur une longue période, et qui manquent cruellement de cohésion (Karim Berrouka plaide coupable – ou le revendique ? – dans l’interview en fin de volume). J’aurais sans doute pu, du coup, rassembler les nouvelles en deux groupes, jouasse et pas jouasse, mais l’ordre de présentation me paraît plus édifiant, dans un sens.
Adonc, « L’Histoire commence à Falloujah » : la guerre en Irak, la mort, une femme, un type bizarre qui se révèle [SPOILER ?] être un djinn. Pour le coup, on commence donc par le pas jouasse du tout. Ce qui n’est certainement pas pour me déplaire. Mais Karim Berrouka en rajoute dans l’emphase, et ose même, le fourbe, y faire de la polésie – horreur glauque. C’est hélas too much en ce qui me concerne…
Changement radical d’atmosphère – et il en ira donc ainsi pour chaque alternance – avec « Concerto pour une résurrection » : le narrateur rencontre des stars défuntes de la musique (Jimi Hendrix, Claude François, Sid Vicious…) dans le métro et cela débouche sur une expérience mystico-politico-keupon (mais tout ça, c’est sans doute la même chose). Très rigolo – même si, scandale, Ian Curtis manque à l’appel.
« Elle », première des deux nouvelles inédites de ce recueil, est, en dépit des efforts de l’auteur (voir l’interview), un polar fantastico-gore. La structure est intéressante, mais le style est – une fois de plus – un peu lourd. C’est un peu trop cryptique, peut-être, mais correct.
Suit « Éclairage sur un mythe urbain : la Dame Blanche dans toute sa confondante réalité », à savoir que la jolie demoiselle fait du pouce ; ce qui nous vaut une galerie de portraits rigolos de débiles profonds vroum vroum. La chute est prévisible, la caricature… caricaturale, mais la plume très appropriée, cette fois. Amusant.
Difficile de parler de « Dans la terre » sans spoiler… Aussi vais-je m’abstenir. En tout cas, cette fois, c’est vraiment une réussite ; à n’en pas douter un des meilleurs textes du recueil – et peut-être bien le meilleur, d’ailleurs.
Avec « Jack et l’homme au chapeau », Karim Berrouka nous livre sa version de la Psychanalyse des contes de fées. C’est souvent drôle, parfois lourd (les notes de bas de page, en particulier…), et quelques fois les deux ensemble, si ça se trouve.
J’y ai en tout cas largement préféré – versant pas jouasse, donc – « Le Siècle des lumières », très chouette fantasy uchronique sur la vengeance et le pardon, absolument bourrée d’idées. On regrettera une fois de plus quelques pains stylistiques, mais c’est bien, très bien même.
« De l’art de l’investigation », la seconde nouvelle inédite, est (tiens…) une enquête policière (commentée), qui verse dans le racisme anti-nains (mais sans lancer de nains pour autant) ; la plume est correcte, c’est amusant, mais sans plus.
« Le Cirque des ombres » est autrement plus intéressant : une nouvelle bizarre, à la très chouette ambiance ; une fois de plus, et pour les mêmes raisons que « Dans la terre » (les deux nouvelles sont à vrai dire très proches dans l’esprit), je ne peux pas vraiment en parler sans spoiler… Passons, donc. Je noterai juste, au rang des défauts, une pénible scansion, mais on peut allègrement fermer les yeux sur ce travers.
Et le recueil de se conclure, donc, sur une « Interview de Karim Berrouka », vraiment très drôle (à vrai dire, c’est même probablement ce que le recueil contient de plus drôle, et du coup y a comme un souci…).
Le bilan est donc mitigé. Il y a de bons textes, et d’autres franchement pas terribles… La plume est parfois savoureuse, mais tout aussi souvent lourdingue. Les textes rigolos le sont plus ou moins, les pas rigolos ont une fâcheuse tendance à en faire trop. Ce n’est pas « mauvais », non, clairement pas, mais ce n’est pas inoubliable et indispensable non plus. Désolé, m’sieur Karim, mais je n’ai donc pas été totalement convaincu…
Et maintenant je vais me barricader, en cas d’éventuelles représailles d’une horde de punks hystériques.
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