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"Les Braves Gens ne courent pas les rues", de Flannery O'Connor

Publié le par Nébal

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O’CONNOR (Flannery), Les Braves Gens ne courent pas les rues, [A Good Man Is Hard To Find], traduit de l’anglais [États-Unis] par Henri Morisset, [Paris], Gallimard, coll. Folio, [1953-1955, 1963, 1981] 2010, 277 p.

 

Je ne peux que déplorer mon ignorance crasse, et confesser que je ne savais rien de Flannery O’Connor jusqu’à une date très récente. Je n’en avais même jamais entendu parler (honte, honte sur moi). Heureusement,  Jérôme Noirez est là, qui a eu le bon goût de faire figurer ce recueil de dix nouvelles qu’est Les Braves Gens ne courent pas les rues dans sa sélection en tant que libraire invité à  Charybde. Sa présentation m’a paru plus qu’alléchante, et je me suis donc empressé de faire l’acquisition du précieux petit volume (de même que des Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, dont je vous causerai un de ces jours).

 

Flannery O’Connor (1926-1964) est donc une auteure sudiste. C’est rien de le dire : ses textes, en tout cas ceux figurant dans ce recueil, fleurent bon le Sud profond, très profond, mais alors vraiment très très profond, le Sud un peu intemporel des bouseux bigots d’une pauvreté désespérante et des bons nègres au large sourire amateurs de pastèque. On a pu qualifier son style, ai-je lu sur Wikipédouille, de « southern gothic ». En tout cas, c’est d’une plume virtuose, incroyablement douée pour la caricature, le grotesque et le tragicomique, qu’elle dépeint le quotidien misérable et aussi atroce qu’hilarant de ses personnages bourreaux/victimes.

 

Et c’est méchant. C’est délicieusement méchant.

 

Oh, oui.

 

J’aime. J’adore, même.

 

Flannery O’Connor dissèque le Sud et sa mythologie avec un brio rare. Elle a un don unique pour enregistrer et témoigner des bassesses, des mesquineries, des hypocrisies et autres vilenies en tout genre. La lecture de ses nouvelles, aussi, est parfaitement réjouissante, et en même temps fort édifiante (le fait qu’elle fut catholique n’y est peut-être pas étranger). En quelques mots bien choisis, elle dresse des portraits inoubliables de gens de peu, campe des décors mi-bucoliques, mi-sordides, d’une richesse de sensations impressionnante dans leur vacuité, et livre, « avec un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l’horreur » (je cite la quatrième de couverture, une fois n’est pas coutume).

 

C’est grinçant, oui. C’est cruel, même. Et qu’est-ce que c’est bon ! Vous l’aurez sans doute compris, à la lecture de cette introduction riche en orgasmes répétés, mais disons-le franchement : Les Braves Gens ne courent pas les rues est de très loin un des meilleurs bouquins que j’ai lus cette année. Je ne remercierai jamais assez le sieur Noirez pour ce choix des plus pertinents.

 

Ceci étant, décortiquons. Le recueil s’ouvre (donc) sur « Les Braves Gens ne courent pas les rues » : une famille avec grand-mère bigote et nostalgique et gamins infernaux part en vacances en Floride, alors que les journaux annoncent qu’un tueur en série vient de s’évader et rôde dans la région. Et sur qui pensez-vous que la petite famille va tomber, après un épique accident de la route ? Gagné. C’est délicieux de gouaille, de bêtise et (donc) de méchanceté.

 

Dans « Le Fleuve », un gamin est gardé pour la journée par une nounou très portée sur les choses de la religion, et qui l’emmène voir un prédicateur, dont le gamin prétend porter le même prénom ; mais il n’a jamais été baptisé, et donc n’existe pas ! Et de la blague découlera une fin aussi superbe qu’horrible.

 

Suit « C’est peut-être votre vie que vous sauvez » : manœuvres, morale et philosophie de comptoir entre un charpentier errant et manchot, une vieille femme et sa fille affligée de toutes les tares. Très bien, forcément.

 

Histoire de faire dans le bluffant, on enchaîne sur « Un heureux événement ». C’est, à peu de choses près, l’histoire d’une femme pas très sympathique qui éprouve des difficultés à monter un escalier. C’est tout (ou presque)… et c’est génial.

 

« Les Temples du Saint-Esprit », ce sont deux idiotes pouffant sans arrêt, élevées dans un couvent ; se pose la question cruciale : comment s’en débarrasser, le temps d’une journée ? Le tout vu pour l’essentiel à travers les yeux d’une petite fille.

 

Un texte particulièrement hilarant ensuite, avec « Le Nègre factice » : un vieil homme et son insolent de petit-fils, bouseux comme c’est pas permis, font une virée en ville (là où il y a… des nègres !). Est-ce le premier ou le second voyage ? Les comparses se disputent beaucoup à ce sujet. Mais peu importe : les péripéties de ces deux intrus paumés dans le décor urbain sont bien marrantes.

 

Suit « Un cercle dans le feu », où une propriétaire fermière, sa domesticité et sa petite fille doivent faire face à l’arrivée de trois gamins particulièrement intenables. Réjouissant.

 

Dans « Tardive Rencontre avec l’ennemi », un vieux bouc de 104 ans, vétéran de la guerre de Sécession et d’autres entre-temps, fait général lors d’un gala, doit parader pour la remise du diplôme de sa petite-fille. Pour ce qui est de la conclusion, tout est dans le titre… Splendide.

 

Et l’on retrouve ensuite des « Braves Gens de la campagne » : deux vieilles biques imbéciles accumulent les lieux communs avec une virtuosité tout à fait remarquable, tandis que se noue une idylle nécessairement sordide entre un jeune vendeur de bibles campagnard et une philosophe athée unijambiste (eh oui). La fin est inéluctable, c’est très méchant, c’est un régal.

 

Les Braves Gens ne courent pas les rues s’achève enfin (non, déjà ? mais, euh !) sur « La Personne Déplacée », de loin le plus long texte du recueil : une famille d’immigrés polonais arrive dans une ferme, et suscite bientôt l’hostilité des autres employés, moins performants, comme de la propriétaire (pourtant bien satisfaite dans un premier temps par l’efficacité de son nouvel employé), jusqu’à un dénouement nécessairement tragique ; un texte aussi drôle que répugnant de bêtise raciste et xénophobe, et toujours d’une grande actualité dans son traitement du discours anti-immigrés ; un chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre.

 

Vous l’aurez compris (re…) : la lecture de Les Braves Gens ne courent pas les rues ne se contente pas d’être recommandable, elle est impérative. C’est à se demander comment j’ai pu faire sans jusque-là… De mon côté, je vais probablement tâcher de mettre la main sur d’autres textes de la grande dame des lettres américaines. Du vôtre, ben, vous savez ce qui vous reste à faire, non ?

 

Et merci, merci, merci, monsieur Noirez.

CITRIQ

Commenter cet article

J
Je partage entièrement toutes ces remarques: je viens aussi de découvrir ces nouvelles de Flannery O'Connor et elles sont tout à fait exceptionnelles!
Répondre
N
<br /> <br /> N'est-ce pas ?<br /> <br /> <br /> <br />
B
Mon cher Nébal, c'est juste pour te signaler qu'il existe un quarto de Flannery O'Connor qui se prétends Oeuvres complètes...<br /> <br /> Ne va pas imaginer que je dis ça pour te ruiner, c'est juste pour être précis...
Répondre
N
<br /> <br /> ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il me le faut.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> (Salaud !)<br /> <br /> <br /> <br />