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"Les Femmes de Stepford", d'Ira Levin

Publié le par Nébal

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LEVIN (Ira), Les Femmes de Stepford, [The Stepford Wives], traduit de l’américain par Tanette Prigent et Noman Gritz, Paris, J’ai lu, [1972] 1974, 158 p.

 

Si je me suis bien sûr maintes fois régalé du film de Roman Polanski Rosemary’s Baby, je n’avais jusqu’à présent lu qu’un seul roman d’Ira Levin, son auteur : Un bonheur insoutenable, dystopie dans la lignée de 1984 et compagnie, correcte, mais tout de même écrasée par l’ombre des géants dont elle s’inspirait. Enfin, dans mon vague souvenir : c’était il y a longtemps…

 

Mais j’avais depuis longtemps envie de lire Les Femmes de Stepford, court roman qui a tout naturellement trouvé sa place dans mon cycle de livres petits par la taille. Un roman qui date des années 1970, et ça se sent… mais le plus terrible dans ce cauchemar est sans doute qu’il n’a rien perdu de son actualité, voire qu’il en a gagné entre-temps. Horreur glauque… Les Femmes de Stepford s’intéresse en effet à la condition des femmes. Il en dresse un tableau qui sent son MLF et sa domination masculine, un poil désuet par certains côtés, mais hélas toujours parlant dans notre triste monde tragique, quarante ans plus tard.

 

Joanna (féministe, mais qui a arrêté de travailler pour élever ses gosses, même si elle fait un peu de photo de temps à autre…) vient de s’installer avec son époux Walter, très progressiste, à Stepford, souriante ville de banlieue (au sens ricain) qui change agréablement de l’enfer new-yorkais. Ici, tout le monde est abominablement gentil. On fête l’arrivée des nouveaux venus, qui apprécient bien vite le calme et la convivialité des habitants.

 

Le problème, c’est que question activités, c’est quand même un peu la zone, Stepford. Enfin, pour les femmes, surtout. Car Stepford, voyez-vous, a un de ces archaïsmes invraisemblables dans les modernes années 1970 (lisez 2010), à savoir un « Club des Hommes » (Ministère de l’Homme, pour ceux qui en ont). Walter en devient membre, bien sûr, espérant répandre le virus du progressisme de l’intérieur pour ouvrir cette relique antédiluvienne aux femmes et cesser cette discrimination absurde.

 

Mais Joanna n’entend pas rester les bras croisés de son côté. Elle se met donc à faire le tour des femmes de Stepford pour monter à son tour un club qui leur serait ouvert, et les sortirait de leur quotidien morose. Morose ? Pensez-vous ! Il y a tant à faire… Non, vraiment, elles n’ont pas le temps, il faut qu’elles s’occupent de leurs maris et de leurs enfants, il y tant de choses à faire à la maison, ce serait égoïste que de faire l’impasse dessus… Mais n’imaginez pas de pauvres et fragiles femelles oppressées par leurs maris, hein ! Non, c’est de leur plein gré qu’elles s’enferment dans leur ménage. Et c’est toujours avec un grand sourire (et un bac de linge resplendissant dans les bras) qu’elles disent non à Joanna, ces épouses modèles tout droit sorties d’une publicité ringarde.

 

Joanna ne trouve finalement que deux, puis trois autres femmes dans tout Stepford pour s’associer à elle. Et c’est tout. Et le pire, c’est que ce n’est pas dit que ça dure… Parce que c’est quand même étrange, cette situation, à Stepford. Un phénomène statistique unique, sans doute. Un fantasme régressif qui a peut être bien une raison extérieure… Mais dans ce cas, le combat de Joanna pour émanciper les femmes de Stepford ne serait-il pas perdu d’avance ? Et, pire encore, ne serait-elle pas condamnée à finir comme elles, comme ces femmes au foyer pas du tout dépressives, parfaites à vrai dire, si souriantes, si serviables, si aimantes ? Comme s’il y avait quelque chose de viral dans l’air, ou dans l’eau, ou… non, quand même pas !

 

Sur ce postulat diaboliquement simple et pertinent, Ira Levin construit avec un grand professionnalisme un thriller (SF ou pas ? eh…) étonnamment palpitant et indubitablement intelligent, tellement paranoïaque qu’on aurait envie de le dire dickien. Le roman ne brille certes pas par le style (mais la traduction aurait probablement besoin d’être dépoussiérée…), mais c’est de peu d’importance devant l’astuce dont il fait preuve. Ce cauchemar particulièrement oppressant sous la bonhomie et la gentillesse de façade s’inscrit ainsi bel et bien dans la lignée de Rosemary’s Baby, et se montre tout aussi efficace et juste.

 

Un roman ancré en plein dans les années 1970, disais-je… Mais quand on voit les discours que d’aucuns tiennent aujourd’hui – dont bon nombre de femmes… –, après une ellipse assez souvent, on se prend à frissonner d’autant plus. Les Femmes de Stepford, c’est triste à dire, constitue encore aujourd’hui, ou plus encore aujourd’hui, une utopie pour certains dinosaures… peu importe leur sexe. Il y en a bel et bien pour rêver de ces femmes au foyer souriantes à forte poitrine. Le cauchemar des Femmes de Stepford s’insinue ainsi dans notre quotidien, ce qui ne le rend que plus terrifiant encore.

 

Une vraie réussite, donc, qui, sous les dehors d’une littérature de pur divertissement, pointe de vrais problèmes, et qui mérite encore d’être lu aujourd’hui tant il n’a pas perdu de son acuité… voire en a gagné.

CITRIQ

Commenter cet article

C
ça me tente bien, on va dire que c'est pile poil dans mon état d'esprit du moment...<br /> Et pour ce qui est de l'actualité du sexisme, il n'y a hélas que l'embarras du choix au niveau des exemples, et le pire c'est que la pression la plus forte est souvent exercée par les femmes<br /> elles-mêmes...
Répondre
N
<br /> <br /> Ah mais tout à fait... hélas...<br /> <br /> <br /> <br />