"Les Neuf Sorcières", de Poul & Karen Anderson
ANDERSON (Poul & Karen), Les Neuf Sorcières. Le Roi d’Ys, 2, [The King of Ys – Gallicenae], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque, Paris, Calmann-Lévy – LGF, coll. Le Livre de poche Fantasy, [1987, 2007] 2009, 501 p.
Hop, deuxième volet du « Roi d’Ys » de Poul et Karen Anderson, après le très bon Roma Mater. C’est aussi, hélas, le dernier à avoir été traduit en français… Ce qui est franchement triste, étant donné la très grande qualité de cette saga, jusqu’à présent tout du moins. On ne fera en effet pas de mystère : Les Neuf Sorcières est un digne successeur du premier volume, et en conserve les principaux atouts, sur lesquels, dès lors, il ne serait guère utile de revenir ici.
La tension est le maître mot de ce deuxième tome, qui voit le Roi d’Ys et centurion Gratillonius instaurer un véritable âge d’or dans la cité armoricaine, mais non sans difficultés. Tensions avec Rome et avec l’Église, notamment. Maxime est devenu empereur… et ne tarde pas à payer d’ingratitude son fidèle centurion. Prenant prétexte de son attachement au culte interdit de Mithra, le parvenu, inquiet de la réussite de Gratillonius, va jusqu’à le soumettre à la torture… La querelle priscillaniste, la rivalité avec l’ancien empereur d’Occident, mais aussi avec le grand Théodose de l’empire oriental, dessinent la toile de fond d’une cour impériale qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ce qui a toutefois une conséquence positive, qui est de déciller les yeux de Gratillonius. Celui-ci, de retour dans sa cité d’Ys, comprend dès lors qu’il ne peut plus adopter sa position antérieure de pleine allégeance envers Rome, et a fortiori envers Maxime. Sa politique s’en ressent, et, sous sa gouverne, Ys redevient véritablement indépendante, tandis qu’une puissance relativement autonome se développe dans l’Armorique entière, fondée sur d’anciens légionnaires, et même d’anciens Bagaudes, dont le très beau personnage de Rufinus.
Mais se pose également la question religieuse. Non seulement Gratillonius doit concilier tant bien que mal sa dévotion envers Mithra et le culte de Taranis, Bélisama et Lir, ce qui ne va pas sans susciter la grogne chez les notables ysans mais aussi chez certaines Gallicenae, mais il doit aussi faire de nombreuses concessions à l’égard du christianisme… et la grogne devient alors encore plus féroce. Une très bonne idée, ici, de la part des deux auteurs, consiste à accorder un rôle prépondérant à deux saints fortement charismatique, le célèbre Martin de Tours et Corentin, ce dernier devenant à la demande du centurion chorévêque d’Ys. Personnages fascinants, y compris pour un vilain agnostique tel que votre serviteur, qui, en temps normal, n’en a franchement rien à cirer des saints et de leurs prétendus miracles… Mais dans ce cadre, cela passe remarquablement bien. (On pourra noter que le futur saint Patrick fait également une brève apparition.)
Parallèlement, la vie suit son cours à Ys. La situation matrimoniale de Gratillonius occupe là encore une place importante, notamment du fait du décès de certaines Gallicenae et de leur remplacement par de nouvelles épouses… nécessairement liées aux précédentes, ce qui ne va pas sans poser problème. Il faut également accorder une grande attention à Dahut, la fille de Gratillonius et de la défunte Dahilis ; l’enfant marquée par le destin grandit sous nos yeux, chérie par la cité comme par son père, mais pointe à l’horizon un avenir funeste…
Enfin, bien loin de la cité merveilleuse, Poul et Karen Anderson nous font également connaître quelques épisodes particulièrement complexes de l’histoire irlandaise ; la dimension mythique des affrontements entre les chefs scots est savoureuse, mais j’avouerai pourtant avoir un peu moins goûté ces développements-là, parfois (souvent) difficiles à rattacher à la trame principale et, surtout, incroyablement compliqués, nécessitant d’ailleurs une profusion de notes en fin de volume…
Ceci dit, ce bémol tout relatif ne change rien à l’essentiel : Les Neuf Sorcières est bel et bien un très bon roman de fantasy historique, passionnant de la première à la dernière ligne, et servi par de magnifiques personnages, superbement campés. Le cadre est toujours aussi fascinant, la documentation bluffante, et les bonnes idées ne manquent pas (je ne peux m’empêcher de revenir ici sur le rôle des saints chrétiens, qui m’a décidément beaucoup séduit), qui font de ce deuxième tome du « Roi d’Ys » un digne successeur de Roma Mater.
Suite des opérations, en anglais donc (hélas…), avec Dahut.
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