"Les Pirates fantômes", de W. Hodgson
HODGSON (W.), Les Pirates fantômes, [The Ghost Pirates], traduction [de l’anglais] de Jacques Parsons, Paris, Opta – Le Livre de poche, [1909, 1946, 1971] 1978, 217 p.
Dans mon cycle de lecture consacré aux précurseurs et influences de Lovecraft, je vais être amené à lire pas mal de William Hope Hodgson, encore que ne sachant pas trop au juste (pour le moment, du moins) quelle est la véritable filiation entre les deux auteurs (même si je sais que HPL admirait certains titres de WHH). Mais, qu’il y ait eu véritablement influence de Hodgson sur Lovecraft ou pas, la tentation est bel et bien grande d’établir une parenté, chose que j’avais déjà pu constater en lisant L’Horreur tropicale. Et, malgré un titre qui s’est pris un coup de vieux et évoque aujourd’hui immanquablement du Scooby-Doo, le court roman qu’est Les Pirates fantômes (1909), tout en étant avant tout caractéristique de la manière de Hodgson, ne manque pas d’évoquer, par certaines thématiques et certains procédés, des œuvres ultérieures du Maître de Providence. Ne serait-ce que parce que l’horreur, une fois de plus, surgit ici de la mer – le roman relève autant du « weird » que de l’aventure maritime, comme souvent chez l’auteur, et l’on connaît la fascination/répulsion de Lovecraft pour l’océan, voyez ici et là.
Les Pirates fantômes consiste pour l’essentiel en un compte rendu par le matelot Jessop des terribles événements qui ont frappé le Mortzestus, navire de mauvaise réputation, que l’on suppose dès le départ hanté ; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant en somme si, pour son ultime voyage, il embarque avec un équipage tout neuf… hormis le matelot Williams, qu’on supposera bien suicidaire.
Jessop est le premier témoin du drame à venir : une nuit, il voit une silhouette indistincte surgir des flots et monter à bord du Mortzestus. Et, les nuits suivantes – la nuit, toujours la nuit –, bien d’autres apparitions auront lieu, que ce soit un homme dans les mats… ou un vaisseau dont les feux jouent à cache-cache avec les nerfs des observateurs. Il ne s’agit tout d’abord que de visions, que d’aucuns qualifieront d’hallucinations, et mettront sur le compte de la fatigue et de la dure vie maritime. Mais les visions ne manqueront pas de tourner au drame, et entraîneront dans les flots, d’abord un, puis plusieurs cadavres… jusqu’à une conclusion apocalyptique.
Les Pirates fantômes n’est certes pas un roman parfait, et sa lecture m’a parfois paru aride, notamment en ce qu’il souffre d’une plume laborieuse (sans doute guère aidée par la traduction de Jacques Parsons, qui multiplie les anglicismes), et rendue à mes yeux plus hermétique encore par l’usage abondant, très abondant, d’un très précis vocabulaire nautique, à même de larguer complètement le non-initié tel que votre serviteur ; mais j’imagine que ceux qui s’y connaissent un tant soit peu y verront au contraire un atout, et cela participe indéniablement de l’ambiance du roman.
Or c’est là le point fort des Pirates fantômes : plus d’un siècle après sa parution, et alors que les voiliers du genre du Mortzestus ne sont plus qu’un lointain souvenir ou peu s’en faut, le roman brille par son ambiance subtile et réellement inquiétante, mêlant avec brio l’angoisse du meilleur fantastique avec un réalisme et une précision maniaques, quasi documentaires. L’effet est saisissant, et garde tout son impact aujourd’hui : il ne m’arrivera que très rarement de confesser une telle chose, mais, oui, Les Pirates fantômes parvient à susciter chez le lecteur une délicieuse épouvante, faite tant d’inquiétante étrangeté que de fatalité dans le drame, qu’on devine bien vite inéluctable, chose que les morts successives ne font que confirmer, très vite. En tout cas, sur moi, ça a indéniablement fonctionné.
Et l’on ne peut à mon sens s’empêcher, à cet égard, d’établir une filiation, non seulement avec Lovecraft (notamment du fait de la théorie de Jessop sur l’origine de ces « pirates fantômes », le terme de « fantômes » n’étant en fait guère approprié puisqu’il s’agit clairement à ses yeux d’une race ayant évolué parallèlement à l’humanité, et peut-être plus ancienne qu’elle…), mais aussi avec bien des chefs-d’œuvre du fantastique contemporain, littéraire comme cinématographique. J’en citerais pour ma part deux : Fog de John Carpenter (assez logiquement), et surtout Alien de Ridley Scott, dans lequel le huis-clos maritime du Mortzestus, transféré sur le Nostromo au nom évocateur, débouche sur une même horreur réaliste et fataliste.
Aussi, en dépit de mes lacunes « techniques » qui m’ont rendu la lecture de ces Pirates fantômes parfois ardue, je ne peux que conclure sur une note très positive : encore une fois, le roman de William Hope Hodgson m’a véritablement pris aux tripes, et a suscité en moi un remarquable et fascinant sentiment de terreur. À cet égard, il n’a pas pris une ride, et continue habilement de produire son petit effet. Très fort, donc.
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