"Les Quatrièmes Demeures", de Raphaël Aloysius Lafferty
LAFFERTY (Raphaël Aloysius), Les Quatrièmes Demeures, [Fourth Mansions], traduit de l'américain par Barthélémy de Lesseps, revu et corrigé par Jean-Paul Duchamp, Muret, Zanzibar, [1969, 1973] 2010, 299 p.
L'Américain R.A. Lafferty était une sorte d'électron libre dans l'univers codifié de la science-fiction. J'avais déjà pu en juger à la lecture de ce qui est sans doute son plus célèbre roman, Tous à Estrevin ! ou Autobiographie d'une machine ktistèque, un vrai bonheur que je ne saurais trop vous conseiller. Plus tard, j'ai retrouvé le même plaisir à la lecture de l'excellente nouvelle de l'auteur publiée dans le premier (et unique...) numéro de Zanzibar Quarterly And Co, la superbe revue que l'on sait. Or Zanzibar avait entre autres pour ambition d'éditer les œuvres majeures de R.A. Lafferty, en commençant par le roman Les Quatrièmes Demeures. Hélas, mille fois hélas, la belle aventure de Zanzibar a été de courte durée, et le projet est tombé à l'eau : seul ce roman a pu être réédité avant que Zanzibar ne boive la tasse... Mais j'ai eu envie de faire malgré tout un mini-cycle consacré à R.A. Lafferty, tant mes seules lectures du bonhomme m'avaient fait une forte impression. J'ai donc pu me procurer Les Quatrièmes Demeures (ben oui), Le Maître du passé, Annales de Klepsis, Lieux secrets et vilains messieurs et Chants de l'espace, que je vais lire dans les jours qui viennent (en fait, je crois qu'il ne me manque en français que Le Livre d'or de la science-fiction consacré à Lafferty).
Commençons donc par Les Quatrièmes Demeures, en admirant dans un soupir le bel objet (hélas fortement coquillé, comme si on ne pouvait pas tout avoir...).
Notre héros se nomme Fred Foley, « un jeune homme qui avait de très bons yeux mais qui était un peu simplet ». Sans doute est-ce pour cela qu'il est journaliste de son état. Foley a un don pour dénicher les histoires les plus invraisemblables. Ces derniers temps, il tient à faire la lumière sur Carmody Overlare – ou plutôt Kar Ibn Mod, comme il s'appelait cinq siècles plus tôt – et à mettre ainsi à jour l'existence d'une société secrète de « revenants » qui dominerait le monde...
En attendant, il est au contact d'une autre société secrète, celle des Moissonneurs, sept dingues qui ont formé un réseau mental et enchaînent les coups d'éclat, jusqu'à un final que l'on peut craindre eschatologique.
Et puis il y a aussi une autre société secrète, celle des patricks, avec ses rites et ses royaumes... qui pourrait bien être utile pour faire échouer le Complot.
Satire hilarante des délires conspirationnistes à base de sociétés secrètes, Les Quatrièmes Demeures est un roman absolument délicieux de la première à la dernière ligne, et accessoirement (ou pas) complètement barré. La plume de Lafferty suscite personnages et situations invraisemblables et drôles avec un talent sans égal, et c'est avec un bonheur constamment renouvelé que l'on enchaîne les pages de ce roman par ailleurs inclassable, et susceptible d'une infinité de lectures, des plus simples aux plus sérieuses (enfin, faut voir...).
Délire théologique et allégorie politique, Les Quatrièmes Demeures est en effet moins débile qu'il n'y paraît, même si j'avoue avoir pris le parti de rire avec le roman plutôt que de m'empêtrer dans ses aspects éventuellement sérieux (et parfois douteux : Lafferty n'était pas exactement un progressiste...). L'Échiquier du mal en version pince-sans-rire, dans un sens.
Quoi qu'il en soit, et même si je n'arrive pas, à l'heure actuelle, à pondre des comptes rendus décents expliquant le pourquoi du comment, je ne peux que vous conseiller cette lecture édifiante, qui m'a conforté dans mon envie de mini-cycle.
A bientôt, donc, avec Le Maître du passé.
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