"Lettres à sa fille", de Calamity Jane
CALAMITY JANE, Lettres à sa fille, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Sully et Grégory Monro, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Rivages, [1979, 1997, 2006] 2007, 126 p.
Où l’on persévère dans le western, mais avec un texte un peu particulier. En effet, bien que cette édition française n’en fasse pas du tout mention, même pas pour s’interroger à ce sujet, les Lettres à sa fille de la célèbre Calamity Jane sont un canular gros comme moi. Et probablement l’œuvre de Jean McCormick, celle, donc, qui se prétendait la fille de Calamity Jane (et de Wild Bill Hickok, tant qu’à faire – lisez ou relisez Deadwood de Pete Dexter). Mme McCormick, élevée dans l’Est par un certain Jim O’Neil auquel sa « mère naturelle » l’aurait confiée à l’âge de trois ans, fait cette révélation le 8 mai 1941, au micro de l’émission « We the People » sur CBS. Et elle n’en démordra jamais. Calamity Jane était bien sa mère, et a écrit pendant vingt-cinq ans ces lettres sur un cahier (une sorte de journal, finalement).
Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que le personnage qui transparaît dans ces lettres détonne avec l’image canonique de Calamity Jane, telle que l’histoire la rapporte, ou qu’on la retrouve « magnifiée » dans Lucky Luke (nostalgie…) ou Deadwood (donc). Celle qui avait hérité de ce surnom pour son attitude très mâle et son langage de charretier, gâchette mais aussi tour à tour conductrice de diligence, infirmière et prostituée, probablement analphabète qui plus est, devient ici une mère aimante (malgré son abandon…), rongée par les remords et la solitude. Au fil de ces lettres apocryphes se dessine une figure maternelle ambiguë, où la légende pleine de bagarres de bar, de Sioux et de hors-la-loi, se mêle à des considérations sentimentales variées aussi bien… qu’à des recettes de cuisine (les féministes n’ont pas du tout apprécié ce « détournement », bien lointain de la figure d’Américaine émancipée avant l’heure qu’elles avaient collée à celle qui se présente ici régulièrement comme « Mme Hickok »…).
Ce court texte, a fortiori du fait de son caractère fantasmé, est donc largement anecdotique. Bien évidemment dénué du moindre intérêt littéraire, il est tout au plus rigolo dans son délire… Il est cependant assez touchant, par ailleurs. Tant dans son portrait improbable de l’héroïne de l’Ouest victime de sa solitude et de ses obsessions, mère aimante qui ne peut témoigner de son amour, que dans ce qu’il laisse supposer de la personnalité de l’auteur probable de ces lettres. Finalement, bien plus que Calamity Jane, c’est en effet ici Jean McCormick qui devient une figure de légende, dans un registre pathétique. Celle que l’on est tenté de qualifier de mythomane au dernier degré émeut dans sa pathologie, qui ne manque pas d’évoquer celle de « sa mère » telle qu’elle est exposée dans Deadwood (et j’imagine qu’il n’y a là pas de hasard), notamment dans sa manière de prétendre à l’amour éternel que se vouaient Jane et Wild Bill.
Au fil des pages, on est ainsi tour à tour charmé et amusé. Ces lettres n’ont qu’un intérêt très limité, donc, mais elles n’en exercent pas moins une certaine fascination. Et finalement, malgré leur caractère de canular, elles en viennent, bien malgré elles sans doute, à interroger de manière pertinente l’héroïne de l’Ouest, et, plus largement, le processus d’accaparement des figures légendaires de la Frontière afin de constituer un mythe contemporain. L’histoire des hurlements poussés par les féministes à la lecture de ce texte en est un bon témoignage. Des personnages de la stature de Calamity Jane ou Wild Bill Hickok ne s’appartiennent plus, ils deviennent des phénomènes de foire exhibés par des « héritiers », certes généralement d’ordre « spirituel » et non « biologique » comme ici, amenés à servir bien malgré eux une cause ou une autre.
« Print the legend », comme disait l’autre… Les nombreuses rééditions de ce « fake » qui ne trompe plus personne aujourd’hui sont un témoignage de la pertinence de cette sentence. Et quand bien même c’est par la petite porte un peu honteuse des inconnus désireux de se forger à tout prix une légende, Jean McCormick a finalement réussi son pari : elle est entrée dans l’histoire.
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