"Lonerism", de Tame Impala
TAME IMPALA, Lonerism
Tracklist :
01 – Be Above It
02 – Endors Toi
03 – Apocalypse Dreams
04 – Mind Mischief
05 – Music To Walk Home By
06 – Why Won’t They Talk To Me
07 – Feels Like We Only Go Backwards
08 – Keep On Lying
09 – Elephant
10 – She Just Won’t Believe Me
11 – Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control
12 – Sun’s Coming Up
Aujourd’hui, parlons bien (enfin, essayons…), parlons peu, parlons pop. Bon, pas exactement non plus la plus basiques des pops – d’ailleurs elle n’est même pas anglaise, alors bon –, mais pop quand même. Eh oui, ce n’est pas forcément une évidence quand on regarde les précédents albums chroniqués sur ces pages interlopes, mais il arrive au Nébal d’écouter des albums (presque) normaux, avec des morceaux courts (!), du chant, des mélodies accrocheuses, voire un certain optimisme ambiant (!) qui se traduit en chansons plus ou moins sucrées et douces à l’oreille. Dingue, ça.
Comme j’ai eu l’occasion de vous l’expliquer en traitant du premier album (excellent) de Liesa Van der Aa et du dernier album (excellent) de Godspeed You! Black Emperor, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas tenu au courant de l’actualité musicale. Mais récemment, la curiosité m’a repris, et je prête désormais plus d’attention à ce qu’écoutent les gens bien de ma connaissance, et même parfois à ce sur quoi la presse musicale tend à s’extasier (si, si). C’est comme ça que j’ai découvert (à la bourre sans doute) Tame Impala, présenté comme un groupe australien, mais qui est largement le projet d’un seul homme à ce que j’en ai compris, le multi-instrumentiste Kevin Parker, qui s’occupe quasiment de tout sur ce Lonerism, deuxième véritable album du « groupe » (sous ce nom, en tout cas). Un tweet est passé par là, relayant une critique alléchante, et surtout proposant d’écouter – et je ne vais pas me gêner pour faire de même – le premier single issu de cet album, « Elephant ».
Et là, j’avoue m’être pris comme une baffe, en tout bien tout honneur et toutes choses égales par ailleurs. Pour dire la vérité, je crois que c’est le meilleur single que j’ai entendu depuis… mmmh, c’est compliqué, d’autant que je ne me suis pas trop intéressé à ce qui est sorti ces dernières années (donc)… mais j’aurais quand même envie de dire depuis le fantabuleux « Atlas » de Battles (oui, ça remonte), avec lequel il partage peut-être une certaine parenté, notamment au niveau de la rythmique basse/batterie.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : Tame Impala ne fait certainement pas dans le math rock déglingué, la musique expérimentale affichant foncièrement son originalité et tournée vers le futur. C’est presque exactement le contraire, à vrai dire : pour être un groupe contemporain, et ne pas hésiter à l’occasion à user de sonorités modernes – notons tout de suite la production tout à fait remarquable de l’album, pourtant enregistré d’après ce que j’ai pu en lire par bribes aux quatre coins du monde ; c’est très certainement home studio et lo-fi, mais pour un résultat irréprochable (et visiblement boosté par le semble-t-il très recommandable Dave Fridmann) –, Tame Impala a largement un œil, si ce n’est un pied – si, d’ailleurs, c’est probablement un pied, voire deux – dans le passé ; disons la fin des années 1960. Oui, la grande époque de ces putains de hippies, abjects chevelus drogués qui, non contents de décader dans la joie, se permettaient d’être résolument optimistes, les cons.
Lâchons le mot : Tame Impala fait en effet dans le rock psychédélique, et Lonerism sent bon la régression joviale vers une époque et une musique peut-être idéalisées. J’avoue ne pas vraiment m’y connaître en rock psychédélique, et ne saurais donc multiplier avec pertinence les références, mais, du moins, je n’ai pu m’empêcher de penser (avant tout) aux premiers Pink Floyd – la période Syd Barrett et les albums qui ont immédiatement suivi en attendant la prise de pouvoir par Roger Waters – ou, dans un genre un peu différent et moins connoté (quoique), certains vieux trucs de krautrock, comme (surtout) Amon Düül II, voire Can (notamment pour l’art de la nuance et de la discrétion de ce dernier groupe, que j’avoue trop mal connaître pour pouvoir m’étendre plus longuement à son sujet). Et puis bien sûr il y a les Beatles… d'autant que tout cela prend la forme de chansons chouettement entêtantes, qu'on est pris d'une irrésistible envie de fredonner.
Et tout cela se retrouve à mon sens dans ce bluffant « Elephant », porté par un surpuissant riff de basse vaguement bluesy (qui évoque pour le coup le meilleur Black Sabbath – je m’en suis d’ailleurs fait une petite rétrospective des cinq premiers albums ces derniers jours, et c’était juste rhaaa, pardon pour cette interruption) quand il ne pratique pas les montagnes russes floydiennes, à la mélodie gentiment décalée, un peu naïve et souriante, et – surtout ? – au superbe break instrumental emmené par un vieux synthé cheapos (ça sent le moog). Même s’il a quelque chose de relativement (très relativement) moderne dans le pied et parfois dans la production – impeccable, donc –, ce single magnifique, à l’image de l’album dont il vient faire la promotion, rappelle à notre bon souvenir une époque mythifiée faite de cheveux gras et d’acide à foison. Et, aussi étrange que cela puisse paraître à première vue, j’aime ça. J’aime beaucoup ça, même. J’adore, disons-le. En fait, je me suis même passé « Elephant » en boucle avant comme après avoir acheté Lonerism, dont il est sans aucun doute le morceau le plus immédiatement efficace (il semblerait, étrangement – ou pas –, qu’il s’agisse pourtant d’une des plus vieilles compositions de Tame Impala ; ben s’ils ont encore d’autres merveilles de ce genre dans leur coffre poussiéreux au grenier, faut qu’ils les sortent de toute urgence, parce que c’est quand même vraiment de la bonne).
Mais si rien – à mon sens, tout du moins – ne se montre aussi brillant que ce morceau à peu de choses près parfait sur Lonerism – ç’aurait été beaucoup demander, en même temps –, il ne faudrait pas pour autant s’arrêter là ; ça ne saurait être l’éléphant qui cache le troupeau… Le reste aussi, c’est de la bonne, un très bon trip qui fait l’effet d’une délicieuse machine à voyager dans le temps. L’album ne se prête pas vraiment au décortiquage, sans doute – comme tout album de pop, aurais-je envie de dire – mais, du assez moderne dans son approche de la musique électronique « Be Above It » qui l’ouvre avec sa rythmique folle à sa conclusion sur la ballade sucrée « Sun’s Coming Up », Lonerism fait preuve d’un bon goût certain – étonnant pour des putains de hippies – et multiplie mélodies efficaces et délicates, riffs doucement puissants et délicieuses envolées psychédéliques pour un résultat largement plus que correct.
Si ce n’est certainement pas l’album du siècle, ni même le plus inventif, catchy et intelligent des disques sortis ces dernières années, Lonerism se révèle dès la première écoute une réussite indéniable, qui parvient à maintenir tout du long une qualité constante et à éviter toute faute de goût. Aussi se laisse-t-on volontiers emporter par les compositions de Kevin Parker, typiques d’une certaine conception de la pop de qualité, gentiment barrée, mais avant tout subtile et souriante. Cet album colle le smiley aux lèvres, qui reste accroché de la première à la dernière note, avec quelques hausses de tension – mais chaque morceau a son intérêt –, à la joliesse réconfortante.
Je vous encourage donc à procéder en deux temps : tout d’abord, régalez-vous de ce petit bijou qu’est « Elephant ». Et si ça vous botte, n’hésitez pas à prolonger l'expérience avec le reste de ce très sympathique Lonerism ; vous n’y trouverez probablement rien d’aussi immédiatement excitant, mais ça vaut néanmoins amplement le coup qu’on s’y arrête. Comme un chouette album de pop agréablement régressive et lumineuse. Lonerism fait du bien, et c’est déjà beaucoup. Pour ma part, au fond, je n’en demandais pas davantage. Et, plus que convaincu par cette première approche, je m’en vais tâcher de jeter une oreille – voire deux, soyons fous – sur Innerspeaker, le premier Tame Impala, à l’excellente réputation.
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