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"Lovecraft et la S.-F. /1", de Michel Meurger

Publié le par Nébal

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MEURGER (Michel), Lovecraft et la S.-F. /1, avertissement de Joseph Altairac & Michel Meurger, préface de S.T. Joshi, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1991, 190 p.

 

Michel Meurger est Immense. Mais je me répète, là. Depuis que j’ai découvert cet incroyable érudit dans les pages du Visage Vert (d’abord la revue, ensuite les autres publications de la maison d’édition), je n’ai cessé de vous rebattre les oreilles (ou les yeux) avec mon admiration de petit fan pour ce brillant et passionnant essayiste. Aussi, quelle ne fut pas ma joie quand je réalisai qu’il avait signé deux des six volumes des « Cahiers d’études lovecraftiennes » ! Cela dit, le titre de ces ouvrages pas plus que le nom de la série ne doivent nous tromper : Lovecraft n’est pas toujours au cœur de ces articles compilés de Michel Meurger, qui tournent parfois légèrement autour, chez les prédécesseurs comme du côté de ce qui s’est passé ultérieurement. Peu importe : c’est de la bonne, foi de Nébal. C’est toujours aussi bluffant d’érudition, remarquablement édifiant (voire consternant, mais j’y reviendrai), et tout à fait passionnant.

 

On attaque en force avec « « Anticipation rétrograde » : primitivisme et occultisme dans la réception lovecraftienne en France de 1953 à 1957 ». Un article hallucinant, qui montre les contresens impressionnants auxquels se livrèrent les premiers « critiques » de Lovecraft de par chez nous. Avant même la traduction de ses œuvres, nous voyons ainsi des surréalistes fascinés par l’occultisme répandre l’image d’un Lovecraft « initié », consciemment ou non, dont les textes sont autant de témoignages d’une sorte de « mémoire héréditaire ». Thème qui sera bien vite repris par les Bergier, Pauwels et compagnie, qui feront du Maître de Providence une icône de la pseudo-science, dans une logique « primitiviste » consistant à le lire au pied de la lettre, en somme. Le Mythe y est dès lors pris, peu ou prou, pour argent comptant, de même que ses thématiques de civilisations extra-terrestres antédiluviennes (on y reviendra indirectement dans le dernier article de ce recueil, tout aussi consternant). On a du mal, aujourd’hui, à prendre conscience des tissus de conneries que pouvaient gober les gens à cette époque qui fit du Matin des magiciens un best-seller (il faut décidément que je le lise, même si ça me fait peur…), mais cet article est pour le coup particulièrement éloquent. On n’en revient pas indemne, et le pauvre Lovecraft a dû se retourner dans sa tombe plus d’une fois du fait de toutes les sottises qui sont ici rapportées…

 

On s’éloigne ensuite de Lovecraft, mais pour mieux y retourner par la suite, avec « Les Martiens de Wells », article qui montre avec brio la singularité de la création de Wells dans La Guerre des mondes et quelques autres textes. Mais, à vrai dire, l’interprétation qui en est donnée ici était pour une fois déjà mienne – à tel point, d’ailleurs, que j’ai du mal à concevoir qu’il puisse y en avoir d’autres. Mais Michel Meurger élabore une dissertation très érudite et convaincante de bout en bout sur ces céphalopodes martiens.

 

Ce qui nous amène directement à « « The awful squid head » : sources anthropologiques du personnage de Cthulhu », à nouveau un article très savant (ben voui, c’est du Meurger) qui s’intéresse aux inspirations possibles du célèbre Grand Ancien. De « l’être à trompe » à la « tête de pieuvre », sont ainsi envisagées bien des pistes (liées entre elles) relevant de la science, de la pseudo-science ou de la fiction, expliquant la genèse du prêtre de R’lyeh, mais aussi, malgré tout, l’originalité foncière de ce personnage « autre ».

 

Prolongement : « De Cthulhu à Khalk’ru. Sous le signe de la pieuvre cosmique ». Il s’agit ici de s’intéresser aux inspirations diverses du personnage de Khalk’ru, qui fait quand même vach’ment penser à Cthulhu, dans Les Habitants du mirage d’Abraham Merritt. Le thème muvien/lémurien du roman est également développé (là encore, on y reviendra dans le dernier article). On découvre ainsi tout un faisceau d’influences où Lovecraft et Merritt ont pu piocher (de même qu’ils se sont empruntés mutuellement). Passionnant.

 

Suit un article tout aussi passionnant, mais également très dense et complexe (j’en suis ressorti épuisé, dites donc…), « Le Thème du Petit Peuple chez Arthur Machen et John Buchan ». On s’y plonge avec délices dans les mystères de la « Pygmy Theory », très en vogue fut un temps, et l’on y amalgame dans la joie le Petit Peuple des fées (pas très sympathiques et kawaï pour le coup) avec les nains et autres pygmées nordiques, les Pictes, les Brownies… Tout cela est fort édifiant, et permet d’éclairer la genèse de certaines nouvelles d’Arthur Machen puis, plus tard, du « No Man’s Land » de John Buchan. Mais il y a tellement d’informations dans cette communication que je suis loin d’en avoir tout retenu…

 

Et de clore ce premier recueil en fanfare, avec l’hallucinant article intitulé « Les Astronefs de Lémurie : la S.-F. du passé dans Amazing Stories de 1939 à 1948 ». Il s’agit pour l’essentiel d’une très savante dissertation sur le « shavérisme » qui avait envahi les pages du célèbre pulp vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Shaver était de toute évidence un illuminé, une sorte de schizophrène, mais le rédacteur en chef Palmer lui a accordé un crédit consternant (cynisme ? conviction ?). On débouchait ainsi sur un apologue de la « SF du passé », censée, par le biais de la « mémoire héréditaire », révéler l’histoire secrète de notre planète (bien loin de ne constituer que des fictions, donc). Ici, la SF (mais mérite-t-elle encore ce nom ?) devient tout simplement pathologique. Une fois de plus, on n’en sort pas indemne… Mais comment pouvait-on gober toutes ces bêtises ? Hallucinant, vous dis-je ; mais passionnant une fois de plus.

 

Comme l’ensemble de ce recueil, donc, qui confirme s’il en était besoin que je suis décidément un petit fan de Michel Meurger (cœur cœur cœur). Hâte de lire le second volume, du coup.

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G
Oui, Michel Murger est un très grand chercheur et il est bien dommage, que l'Université, sauf erreur de ma part, ne s'en soit pas encore avisée. Il mérite deux ou trois doctorats. Le seul reproche<br /> que je lui ferai et que je lui ai parfois fait de vive voix car nous nous sommes beaucoup fréquentés, c'est souvent de privilégier l'érudition à la synthèse. C'est aussi une façon d'obliger le<br /> lecteur à la faire lui-même; ce qui est somme toute assez pédagogique.<br /> <br /> Oui, ce qu'on pouvait lire et croire dans ces années 1950 dans les milieux "littéraires" est assez incroyable. Il faut avoir lu l'Anthologie de l'occultisme de Kanters et Amadou, et les<br /> inénarrables Denis Saurat. Une étude fouillée devrait être consacrée cette époque et ses aberrations. Il faut y voir d'une part le refus de la science et d'autre part, le côté obscur de la Force du<br /> surréalisme expirant. Ces gens, dont j'en ai connu plusieurs, espèrent récupérer l'héritage du grand Breton qui, il faut bien le dire n'est pas toujours net en ces domaines. J'ai bien connu aussi<br /> René Alleau. C'est tout un milieu. En un sens, le Matin des Magiciens va le liquider, clore la séquence et c'est un de ses rares aspects positifs insuffisamment soulignés.<br /> Sa lecture, surtout aujourd'hui, n'est pas si redoutable. Il a perdu ce qu'il pouvait avoir de force à l'époque et il me semble beaucoup plus facile au lecteur moderne de faire la part entre le<br /> canular évident de Bergier et l'exploitation thaumaturgique de Pauwels qui tente de traire le premier pour se faire passer pour un Maître; sur la voie de l'Initiation. Par ailleurs la photocopieuse<br /> n'existait pas mais des passages entiers, à peine retouchés sont tirés d'autres ouvrages antérieurs du même jus.<br /> Au total c'est les Marx Brothers (Bergier) collaborant avec un faux Claudel (Pauwels). Ainsi vu, c'est souvent assez hilarant.
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