"Mais qui a tué Harry ?", de Jack Trevor Story
STORY (Jack Trevor), Mais qui a tué Harry ?, [The Trouble With Harry], traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Rossi, Paris, Cambourakis, [2012] 2013, 156 p.
Au milieu de mes lectures baxtériennes, j’ai voulu m’accorder une petite pause – et ainsi renouer avec ce blog délaissé, je vous prie encore une fois de bien vouloir m’en excuser –, le temps de cette délicieuse friandise qu’est Mais qui a tué Harry ? de Jack Trevor Story (le livre date de 1949, la traduction de 1956). Un bouquin très court, mais sacrément réjouissant, je vais d’ores et déjà briser le suspense, si j’ose dire. En effet, on pouvait se douter que ça serait bien, à en juger par la fameuse adaptation qu’en fit naguère Alfred Hitchcock himself ; un film qui détonne un peu dans la carrière de Hitch, et n’a semble-t-il pas remporté un grand succès sur le moment, mais qui n’en est pas moins une sacrée réussite, sur tous les plans. Même si ça fait un bail que je ne l’ai pas vu, j’en garde un excellent souvenir. Aussi, quand, il y a quelque temps de cela – mais pas tant que ça non plus –, j’ai croisé cette récente parution de Cambourakis dans une de mes librairies de prédilection, ni une, ni deux, hop, j’ai pris et, à terme, j’ai lu.
Nous sommes en Angleterre, dans le charmant et bucolique trou paumé à base de bungalows qu’est Sparrowswick (au passage, je me souviens encore des merveilleux décors sylvestres du film, qui ont sans surprise imprégné ma lecture…). Un endroit idéal pour tirer le lapin, flâner en chantonnant, ou encore partir à la chasse aux papillons, et probablement prendre le thé chez la voisine sur le coup de cinq heures. Mais voilà : il y a Harry, et Harry pose problème.
Le problème, c’est qu’il est mort.
Le Capitaine, qui jouait du fusil dans les environs, craint l’accident de chasse, et est bien embarrassé (on le serait à moins). Il l’est d’autant plus que toute la petite communauté semble s’être donné rendez-vous là où est étendu le cadavre d’Harry. Mais, étrangement, cela ne semble pas rajouter tant que ça au problème… Les gens – couple adultère, mari jaloux, digne vieille dame, gamin terrible, jeune mère, artiste en vadrouille, vagabond de passage, obsédé du papillon… – passent, voient le macchabée ou tombent littéralement dessus, mais n’y prêtent pas plus attention que ça, semble-t-il. Voire se félicitent de ce que Harry soit mort.
Mais il n’est pas encore enterré.
L’enterrer. Voilà qui pourrait être une bonne idée, pense le Capitaine. Mais peut-être pas tant que ça… D’autant qu’il est bien possible que la mort de Harry ne soit pas le résultat d’une de ses balles perdues. C’est que la charmante communauté so british a son lot de secrets, qui seront révélés en leur temps, du simple fait de l’horizontalité de Harry…
Et c’est ainsi tout un petit monde qui passe et repasse auprès du cadavre, l’enterre, le déterre, l’enterre à nouveau, l’exhume au cas où, se demande si, mais peut-être que non, et…
Bref. Harry pose problème.
Sur ce postulat délicieusement simple, Jack Trevor Story brode un court roman littéralement à mourir de rire (pardon). Mais qui a tué Harry ? est en effet un petit bijou de vaudeville fleurant bon l’humour noir et l’absurde, avec un peu de grivoiserie en prime, enchaînant sans faillir gags qui ont de quoi laisser pantois et bons mots qui mériteraient tous la citation. Un vrai régal, entre comédie policière et comédie de mœurs, où chaque page recèle de quoi éclater de rire. Les personnages, tous plus merveilleusement campés et flegmatiques les uns que les autres, s’attirent inévitablement la sympathie du lecteur, qui sourit jusqu’aux oreilles de la première à la dernière page, quand il ne succombe pas à l’hilarité pure et simple, irrépressible et salutaire.
Illustration éloquente de la possibilité de rire de tout, même de la mort, en passant par les petits travers et les mesquineries de nos semblables, Mais qui a tué Harry ? est un vrai bonheur, dont je recommande chaudement la lecture à tous, que vous ayez vu ou pas le film d’Hitchcock (que je vous recommande aussi, cela dit) ; peu importe en effet de connaître déjà l’histoire, la plume (bien servie par la traduction de Jean-Baptiste Rossi, plus connu sous le nom de Sébastien Japrisot), l’astuce et – bien entendu – l’humour de Jack Trevor Story font mouche à coup sûr.
Allez, je retourne auprès de Stephen Baxter. Mais cette petite pause m’a fait un bien fou : pile poil ce qu’il me fallait.
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