"Marion Mazauric", d'Agnès Olive
OLIVE (Agnès), Marion Mazauric, Marseille, Éditions La Belle Bleue, coll. Les Conversations au soleil, 2010, 90 p.
La collection « Les Conversations au soleil » des Éditions La Belle Bleue est faite d’interviews de personnalités du Midi par Agnès Olive. Première femme à intégrer la collection : Marion Mazauric, l’éditrice, disciple de Jacques Sadoul chez J’ai lu, puis, et c’est surtout cela qui intéresse Agnès Olive (et le Nébal par la même occasion) fondatrice des éditions Au Diable Vauvert en l’an 2000, à Vauvert justement, dans le Gard. Bien loin de Paris, donc… ce qui n’était pas gagné d’avance, a priori. Pourtant, aujourd’hui, Au Diable Vauvert a incontestablement gagné sa place dans l’édition française, une place assez unique et qui n’est pas pour me déplaire, loin de là, puisque souvent caractérisée par ses tendances borderline, dira-t-on, ou, si l’on préfère, interstitielles ou transfictionnelles.
Ce petit ouvrage – et long entretien – est l’occasion de revenir sur l’enfance, la jeunesse et la carrière de Marion Mazauric, de ses plus jeunes années jusqu’au jour d’aujourd’hui. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ! (Et d’avoir Albert Soboul pour parrain…) On y reviendra souvent au cours de ces pages. Fille de profs, communistes militants, Marion Mazauric baigne dès sa plus tendre enfance dans une culture du devoir, de la laïcité, du rousseauïsme, qui l’influencera fortement par la suite. Elle-même deviendra d’ailleurs militante communiste dans les syndicats étudiants. Et cela continuera de l’influencer par la suite, jusqu’à lui donner des difficultés quand il s’agira pour elle de devenir patron (horreur glauque !) ; elle ne mâche bien évidemment pas ses mots quand elle en vient à parler de Sarkozy, et témoigne de son intérêt pour la pensée post-marxiste.
Mais revenons en arrière, à ses études. Après une Seconde C (mais avec latin, grec et allemand…), elle fait hypokhâgne et khâgne, puis, parallèlement, des licences de lettres classiques et modernes, et enfin le tout récent DESS d’édition à Villetaneuse, créé par Jean-Marie Bouvaist. Elle commence alors par faire des petits boulots, puis un stage chez Actes Sud (à Arles, dans la région, donc…), avant d’être embauchée pour un temps chez Jeanne Laffitte, à Marseille ; c’est là qu’elle achève d’apprendre le métier.
Et elle rentre ensuite chez J’ai lu. Là, elle a deux patrons, avec lesquels elle s’entend remarquablement bien : Jacques Goupil et Jacques Sadoul (dont je vous ai déjà parlé à propos de ses mémoires, au passage). Elle va très vite y fonder deux collections d’importance : « Bien-être », gros succès commercial avec des années d’avance sur la concurrence, et surtout « Nouvelle Génération », une collection littéraire qui sortait un peu J’ai lu de sa mauvaise réputation à cet égard, et se montrait totalement en phase avec l’esprit du temps. « Une nouvelle génération d’auteurs pour une nouvelle génération de lecteurs. »
Je m’en souviens encore, personnellement : c’est comme ça que j’ai découvert pour ma part certains auteurs français, comme Michel Houellebecq (Extension du domaine de la lutte) ou Virginie Despentes (Baise-moi), mais aussi anglo-saxons, comme John King (l’excellent Football Factory) ou Poppy Z. Brite (Le Corps exquis)… Pour une fois, une collection de poche donnait envie au jeune crétin boutonneux que j’étais d’essayer les auteurs contemporains : c’était une réussite sur toute la ligne, je puis en témoigner…
Bref : à J’ai lu, Marion Mazauric a fait du beau boulot. Mais c’était à Paris, bien loin du Gard… Et donc de son époux et de son enfant. Un aménagement de son emploi du temps fut bien tenté, mais les allers-retours incessants étaient épuisants. C’est alors qu’un ami lui suggéra une solution qu’elle n’avait pas osé envisager d’elle-même : monter sa propre maison d’édition. Elle y réfléchit, prépara tout au mieux avec cet ami, établit un programme pour trois ans, et lança Au Diable Vauvert pour l’an 2000. Avec notamment au catalogue ces « auteurs de SF inédits [qu’elle publiait] en poche et dont aucune maison généraliste ne voulait en grand format, Ayerdhal, Bordage, Gaiman, Gibson, Morrow, Butler, Brite…, plus Nicolas Rey et Thomas Gunzig, qui débutaient et cherchaient alors un éditeur » (pp. 52-53). Du beau monde ! Certains ont dû s’en mordre les doigts, depuis… Et de continuer aussi dans le foulée de « Nouvelle Génération » (pp. 65-66) : « Aussi étonnant que cela paraisse, alors qu’ils étaient traduits et reconnus partout dans le monde, en France Wallace était libre, Coupland était libre, Welsh en déshérence, et Gaiman, Gibson, Ayerdhal et Bordage n’étaient que des auteurs de science-fiction de poche, pas encore des écrivains ! »
Puis, après une digression sur la culture pop à l’origine du Diable Vauvert (où l’on retrouve Jacques Sadoul) et sur la politique (où se pose la question du pessimisme et de l’optimisme, à court ou à long terme…), Agnès Olive revient sur un sujet qui fâche (enfin, pas entre elles, elles sont d’accord) : la tauromachie.
Marion Mazauric est en effet une passionnée de taureaux et de corridas ; elle s’était jurée de ne jamais publier de livres traitant de ce sujet Au Diable Vauvert, mais elle a fait une exception, Taches d’encre et de sang de Simon Casas, et elle a ensuite créé le prix Hemingway Au Diable Vauvert, qui récompense chaque année en Feria nîmoise une nouvelle inédite d’un auteur français ou étranger dont l’action se situe dans l’univers de la tauromachie, de la fête, de la région ; après quoi, l’année suivante, les meilleures nouvelles sont sélectionnées et publiées Au Diable Vauvert. Agnès Olive et Marion Mazauric consacrent plusieurs pages à l’évocation de la tauromachie, à l’hostilité des anti-corridas, etc. Pour ma part, je figure parmi ces derniers, mais sans doute pas pour les raisons habituelles, et je ne prône pas l’interdiction des corridas ; je trouve juste ces spectacles d’une beauferie et d’une bêtise sans nom. Mais bon, ce n’est pas le sujet…
Au final, un entretien intéressant, où, contrairement à ce que je craignais au départ, le régionalisme ne se montre pas trop envahissant. Un beau portrait d’une éditrice talentueuse, bien digne d’être admirée.
Commenter cet article