"Mason & Dixon", de Thomas Pynchon
PYNCHON (Thomas), Mason & Dixon, [Mason & Dixon], traduit de l’anglais (États-Unis) par Christophe Claro et Brice Matthieussent, Paris, Seuil – Points, coll. Signatures, [1997, 2001] 2008, 936 p.
Cela faisait un bon moment que cet énoooOOOooorme volume de Thomas Pynchon me faisait de l’œil. À vrai dire, je l’avais même acheté en anglais ; mais je craignais de ne pas avoir le niveau pour le lire ainsi… ce que cette lecture en français n’a fait que confirmer. Mazette, c’est du lourd… Du coup, histoire de me faire enfin la chose, je me la suis procurée dans la traduction de Christophe Claro et Brice Matthieussent. Et je me suis trouvé un prétexte (un peu con ?) pour la lire : en faire un « prologue », en quelque sorte, à mon « Western winter ». Attention, hein : je ne prétends pas deux secondes que Mason & Dixon est un western… mais il a pour thème, et de manière très concrète, la Frontière, et consiste bien pour une large part en un voyage américain vers un Ouest mythique. Prétexte, vous dis-je…
Mason et Dixon étaient deux personnages bien réels, deux astronomes et géomètres, et Thomas Pynchon s’est inspiré pour ce roman de leur plus célèbre « réalisation » : celle, en 1763-1767, de la « ligne » qu’on appellera par la suite Mason-Dixon, frontière arbitraire et toute droite courant vers l’ouest, et délimitant les États de Pennsylvanie, Delaware, Maryland et Virginie… frontière qui deviendra bien plus concrète environ un siècle plus tard, lors de la guerre de Sécession, car marquant la séparation entre les États abolitionnistes du Nord et ceux, esclavagistes, du Sud. Mais, si la thématique de l’esclavage est très importante dans ce roman, nous n’en sommes pas encore là. Et nous sommes donc bien avant l’époque mythique du western, dans une Amérique encore coloniale… mais plus pour longtemps.
L’épopée de Mason et Dixon, cependant, sous la plume de Thomas Pynchon, prend des traits pour le moins fantasques, qui font qu’on ne saurait même qualifier ce roman « d’historique », en dépit de sa base bien réelle. On y croisera ainsi des chiens qui parlent, ou encore un canard automate de Vaucanson qui s’est fait la belle ; de même, l’aventure des deux astronomes et géomètres sera imprégnée de complotisme, des jésuites avec leur télégraphe aux inévitables franc-maçons, et d’histoire secrète ésotérique, avec des vrais morceaux de race de géants constructeurs de tertres ainsi que de Terre creuse… et forcément de géomancie. Autant dire que ça délire pas mal.
Et, dans un premier temps, j’ai trouvé ça plus que séduisant : tout à fait fascinant, à vrai dire. D’autant que la plume de Pynchon, pour être extrêmement complexe et contournée, n’a pas manqué de me rappeler quelques classiques de la littérature du XVIIIe siècle, période qui m’est chère, et notamment mon chouchou, tout aussi énorme et délirant, à savoir La Vie et les opinions de Tristram Shandy de Laurence Sterne ; avec un bémol, toutefois : j’ai eu l’impression, qui peut s’avérer fausse, que les traducteurs en ont parfois fait « un peu trop », le résultat ne sonnant du coup pas toujours très authentique et son artificialité étant mise en avant – ce qui est peut-être délibéré, après tout.
Quoi qu’il en soit, mon premier jugement concernant ce roman, disons pendant la moitié environ (le long « prologue » durant lequel Mason et Dixon se rendent au Cap et à Sainte-Hélène pour y observer le passage de Vénus devant le soleil, et les premières étapes de leur périple américain subséquent), fut le suivant : je ne savais pas si Mason & Dixon était génial ou quasi illisible, et supposais qu’il était probablement les deux. Génial, très certainement : les personnages hauts en couleurs, la beauté, parfois, de la plume, l’humour surtout, omniprésent, n’ont pas manqué, donc, de me fasciner, caractère exacerbé par le côté mégalomane du roman, d’une ambition sans pareille. Mais aussi quasi illisible, du fait d’un style tout en tours et détours, et, pour citer Fuzati, d’une tendance systématique à passer du coq à l’âne comme dans une partouze à la ferme.
(J’ai cité le Klub des Loosers dans un compte rendu sur Pynchon ; je suis content.)
Mais ça ne devait pas durer éternellement, hélas… C’est que c’est long, Mason & Dixon. Très long. Et à mon sens trop long… Après en gros les 600 premières pages durant lesquelles je me suis globalement régalé, c’est ainsi la lassitude qui l’a emporté, et je me suis retrouvé à ramer péniblement dans ce roman, voire à m’y noyer corps et biens… Non, sans doute, que ces dernières pages soient à proprement parler mauvaises, ni même inférieures au premières : prises indépendamment, je ne doute pas de leur qualité. Mais c’est ici l’effet d’accumulation qui joue : too much, Mr Pynchon. Trop de pages, trop de délire, trop de digressions. Sentiment de ne pas voir où l’auteur va, qui, après avoir été plutôt délicieux – on se laissait volontiers « guider » (?) dans le chaos –, s’avère en définitive frustrant. Et épuisant.
C’est peu dire, du coup, que je suis heureux d’en être parvenu à la fin (après avoir réfléchi plus d’une fois, chose pourtant extrêmement rare chez moi, à la possibilité de l’abandon…) ; non pas tant pour pouvoir clamer à la face de la Nébalie entière : « Je l’ai lu ! », que pour pouvoir enfin passer à autre chose. De moins ambitieux, sans doute ; mais tant pis (ou tant mieux) : je ne suis définitivement pas en état d’embrayer sur un autre monstre du genre, et, au final, je garde hélas de cette lecture l’impression d’un combat incessant, qui n’en valait peut-être pas la peine… Dommage.
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