"McSweeney's. Anthologie d'histoires effroyables", de Michael Chabon (éd.)
CHABON (Michael) (éd.), McSweeney’s. Anthologie d’histoires effroyables, [McSweeney’s Issue 10. McSweeney’s Mammoth Treasury Of Thrilling Tales (Abridged)], édition et introduction de Michael Chabon, traduit de l’anglais par Laurence Viallet, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2002, 2008] 2011, 374 p.
Michael Chabon est décidément un type bien. Non content d’avoir écrit de fabuleux romans tels que Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay (prix Pulitzer ô combien mérité) ou encore Le Club des policiers yiddish (prix Hugo ô combien mérité), il s’est mis aussi à jouer à l’anthologiste pour la revue McSweeney’s : il s’agissait pour lui de retrouver le plaisir de la nouvelle, et notamment de la nouvelle de genre. Il en est résulté aux Etats-Unis un numéro spécial de ladite revue d’excellence, et en France une Méga-anthologie d’histoires effroyables, reprise aujourd’hui en abrégé dans cette Anthologie d’histoires effroyables, mettant justement l’accent sur les genres qui nous intéressent au premier chef. L’occasion de voir neuf auteurs, et non des moindres, habitués ou non, s’exercer au fantastique ou à la science-fiction. Et le résultat est plus qu’alléchant (à tel point, en fait, que j’en suis venu à regretter de ne pas avoir lu la Méga-anthologie à sa sortie, erreur que je vais peut-être tâcher de réparer un de ces jours).
Mais restons-en à cette version abrégée pour le moment. Après une sympathique introduction de Michael Chabon, c’est Dan Chaon qui ouvre le bal avec « Les Abeilles », une nouvelle horrifique très délicatement teintée d’atmosphère fantastique, qui vaut notamment pour son beau portrait de père, ex-salaud alcoolique. Pas mal du tout.
À la différence du texte de Carol Emshwiller, « Le Général », qui m’a semblé constituer le seul léger ratage de cette anthologie. Que ce soit pour ce qui est du fond ou de la forme, j’avoue n’avoir guère trouvé d’intérêt à cette sorte de dystopie abstraite, narrant l’évasion d’un « général » et sa rencontre avec une « famille » perdue dans les montagnes. Mouais…
On passe à quelque chose de bien autrement réjouissant avec « Sinon, le chaos » de Nick Hornby, nouvelle parfaitement jubilatoire dans laquelle un adolescent nous conte comment il a perdu son pucelage. Ce qui en soi ne serait guère intéressant, s’il n’y avait en sus ce magnétoscope acheté 50 $ à un vieux hippie sur le retour… et qui explique tout. Un texte très drôle et bien vu, une authentique réussite.
Autre réussite pour le moins enthousiasmante, « Le Seau de Chuck » de Chris Offutt mêle « ghost story » et histoire de voyage dans le temps, sur un mode farceur et caustique très bien vu. La nouvelle est émaillée de clins d’œil aux petits camarades de l’auteur (en l’occurrence, Michael Chabon et Harlan Ellison), et est parfois à se tordre. On ne fait pas vraiment dans « l’effroyable » ici, mais on se régale.
Suit Michael Moorcock avec « L’Affaire du canari nazi ». Bon, déjà, j’aime le titre. Pour ce qui est du contenu, disons-le tout de go, ce n’est certes pas ce que Moorcock a fait de meilleur (lisez Mother London). Mais cette pochade uchronique dans laquelle un détective métatemporel (lié aux Von Bek) et son assistant, émules de Holmes et Watson, viennent en aide à un Hitler pas encore au pouvoir, est tout de même plus que sympathique, et se conclut fort bien. Pas mal, donc.
Sherman Alexie, ensuite, est le seul à faire véritablement dans « l’effroyable » avec « La Danse des esprits », nouvelle zombifique passablement gore, tenant de « l’épiphanie » tant vantée par Michael Chabon dans son introduction. Plus que correct.
Suivent les « Derniers Adieux » de Harlan Ellison (dont je vous ai vanté il y a peu les mérites du très bon I Have No Mouth & I Must Scream), là encore une pochade, où un homme en quête du Paradis (Cœur de l’Insatiable Perfection, Nid de la Réalité Inéluctable, Corpus de la Perception Nocturne, Abîme de l’Aurochs Prophétique, etc.) tombe, en plein Himalaya, sur un fast-food métaphysique. Rigolo.
Suit une longue novella très dickienne de Rick Moody, « Notes sous Albertine », qui prend place dans un futur où New York a été détruit par une explosion nucléaire, et met en scène une drogue permettant de revivre ses souvenirs… ou de voyager dans le temps, dans de véritables réalités partagées. Un excellent texte, du genre qui fait mal au crâne parfois, mais qui se révèle brillant de la première à la dernière ligne.
Et l’anthologie de s’achever sur le premier chapitre de « L’Agent martien, roman d’aventures planétaire » de Michael Chabon, qui nous la joue donc feuilletoniste. Rien de martien pour le moment, mais une sympathique uchronie dans laquelle les Etats-Unis n’existent pas mais, en plein XIXe siècle, sont toujours sous la férule de l’empire britannique. On aimerait bien lire la suite… prévue pour une autre Méga-anthologie d’histoires effroyables.
Au final, cette Anthologie d’histoires effroyables est donc de très bonne tenue. Si tout n’y est pas excellent, j’ai aimé, à des degrés divers, tous les textes qui la composent, en dehors de celui de Carol Emshwiller. En fait, comme je l’ai mentionné plus haut, j’en suis venu à regretter, une fois la dernière page tournée, de ne pas avoir lu la Méga-anthologie… S’il doit y avoir une deuxième fournée, je ne commettrai pas la même erreur.
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