"Mythe & super-héros", d'Alex Nikolavitch
NIKOLAVITCH (Alex), Mythe & super-héros, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Bibliothèque des miroirs, 2011, 194 p.
Ça ne s’est peut-être pas vu, en tout cas depuis un certain temps (il faut dire que, de même que j’ai eu une longue période sans cinéma, j’en ai eu une, un peu plus brève, sans bandes-dessinées…), mais Nébal kiffe les super-héros (également connus sous le nom de « tapettes en collants »). C’est avec les comics, passé un premier temps d’initiation purement franco-belge (comme beaucoup de Franco-Belges), que j’ai fait une bonne partie de mon éducation en matière de BD. Or les super-héros dominent assez largement le genre aux États-Unis (même si l’on ne saurait pour autant négliger le reste de la production américaine, et plus largement anglo-saxonne : il y a tout un monde à découvrir dans la BD indépendante, les strips, etc.). Et donc, gamin tout d’abord, puis plus âgé, je me suis régalé des aventures de ces héros modernes aux costumes bariolés (principalement ceux de Marvel, tels Spider-Man ou les X-Men ; j’ai nettement moins pratiqué DC – je ne parle bien évidemment pas ici de Vertigo, c’est encore autre chose – et Image, pour s’en tenir aux éditeurs les plus connus). Et j’ai fini par y découvrir d’authentiques chefs-d’œuvre : en premier lieu, bien entendu, les extraordinaires « méta-comics » du Divin Alan Moore (qui ne s’est certes pas cantonné à ça), mais ils ne m’ont pas empêché pour autant de dévorer des BD plus « mainstream », récentes comme anciennes (notamment grâce aux « intégrales » éditées par Panini Comics, même si j’ai lâché l’affaire depuis un moment).
Aussi, de temps à autre, je continue de faire dans le plus ou moins régressif à base de super-héros et super-vilains, que ce soit directement en lisant les BD, ou en m’intéressant à tout ce qui gravite autour. Ainsi ce bref essai d’Alex Nikolavitch (par ailleurs scénariste et surtout traducteur de comics, et non des moindres : V pour Vendetta, L’Asile d’Arkham, Uncle Sam…), qui connaît à l’évidence très bien son sujet (l’érudition déployée dans ces pages est impressionnante), et qui cherche donc à établir des passerelles entre mythologie au sens le plus classique du terme et super-héros issus des comic books.
A priori, rien de bien original dans cette approche, qui paraît dans un sens couler de source (a fortiori pour des super-héros tels que Thor, qui orne la couverture de l’essai, et auquel sont consacrées en toute logique quelques pages). Pourtant, ainsi que l’auteur nous le montre très vite en posant les bases de son argumentaire dans l’introduction, cela n’est pas forcément si évident que ça. Ou, plus exactement peut-être, il s’agit de dépasser le lieu commun de l’analogie facile pour voir ce qu’elle recouvre au juste, en retournant aux sources du mythe et à ses traits les plus caractéristiques (il s’agit donc bien de livrer une authentique « mythologie », dans le sens de « discours sur le mythe »), pour voir en quoi les super-héros des comic books (au sens strict : on débute véritablement avec Superman et le premier numéro d’Action Comics, en 1938) convergent ou, peut-être parfois divergent, avec les Gilgamesh, Ulysse et pourquoi pas Jésus (et compagnie).
Alex Nikolavitch se livre donc dans un premier temps à une étude de ces traits caractéristiques des héros antiques, avant de se pencher sur ceux des super-héros contemporains. Et les points communs ne manquent pas, qui permettent véritablement – et cette fois de manière plus raisonnée et argumentée – d’établir des passerelles entre les deux. Au-delà des archétypes que l’on retrouve dans les deux cas (comme le cas particulièrement intéressant du trickster), on peut ainsi noter, pour prendre un exemple qui m’a paru aussi surprenant que pertinent, cette résurgence d’une triade à la Dumézil dans les « super-groupes » que sont la Justice League of America (DC) et les Avengers (Marvel)… C’est à cet ensemble de considérations que se livre le premier chapitre de Mythe & super-héros.
Le deuxième paraît s’éloigner un peu de la problématique, mais ce n’est que pour mieux la retrouver : Alex Nikolavitch s’y penche pour l’essentiel sur les œuvres de deux créateurs géniaux à la philosophie passablement opposée, à savoir Jack Kirby et Steve Ditko. On y envisage les divers aspects de leurs productions respectives (ce qui permet au passage de relativiser le titre – pour le moins parlant quant à la thèse soutenue ici – « d’Homère des temps modernes » que Stan Lee s’est lui-même attribué – ce qui ne vient pas nier pour autant son talent, hein), que ce soit avec leurs héros « mystiques » (Thor pour le premier, Dr Strange pour le second) ou leurs sagas cosmiques (c’est d’ailleurs l’occasion d’envisager également le cas de Jim Starlin, un scénariste mégalo que j’ai toujours bien aimé), ce qui nous permet bien de retrouver les mythes et leur transposition moderne.
Le troisième chapitre traite largement de la relecture des comics de super-héros par eux-mêmes, des « méta-comics » si l’on y tient. Alan Moore, logiquement, y tient une place importante – Watchmen, ce monument de la bande-dessinée tous genres confondus, fut un événement à certains égards digne de l’apparition de Superman ou de l’éclosion du Marvel Universe, mais il ne doit pas faire oublier d’autres relectures peut-être moins célèbres mais également fort intéressantes, telles que Suprême ou Tom Strong, dont je vous avais causé il y a de ça un bail –, mais on y trouve également des auteurs comme Frank Miller, Warren Ellis ou encore Mark Millar (pour m’en tenir à trois que je connais pas mal et apprécie énormément). C’est également l’occasion de se pencher sur les diverses « crises » connues récemment par les comics super-héroïques (la plus célèbre étant probablement l’ascension et le déclin d’Image, avec ses super-héros graphiques et violents), et qui viennent parfois bouleverser les structures mêmes d’un genre qui connaît une sorte de dialectique perpétuelle, et fort difficile à équilibrer, entre continuité et renouvellement, impératifs éditoriaux et commerciaux d’une part et travail d’auteur et création d’autre part..
Si l’essai d’Alex Nikolavitch, abondamment illustré, ne présente pas une thèse bouleversante d’originalité, il sait néanmoins fort bien la défendre, arguments de poids à l’appui, et se révèle plus qu’à son tour des plus pertinents. Une lecture brève mais fort agréable, que je ne manquerai pas de conseiller à tous ceux qui, comme moi, aiment bien quand l’imagination prend véritablement le pouvoir, même sous la forme de types bizarres qui mettent leur slip par-dessus leur pantalon.
Commenter cet article