"Persistance de la vision", de John Varley
VARLEY (John), Persistance de la vision, [Persistence of Vision], traduit de l’américain par Michel Deutsch, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1978-1979] 2000, 510 p.
Vous l’avez peut-être remarqué, hélas, à la lecture de mes récents texticules, mais j’ai en ce moment beaucoup de mal à rédiger des comptes rendus… C’est d’autant plus gênant quand j’ai affaire, comme ici, avec un bouquin vraiment excellent : je crains de ne pas être en mesure d’en parler de manière pertinente et convaincante. Croyez-moi donc sur parole, à tout hasard : Persistance de la vision de John Varley est bel et bien à la hauteur de sa réputation ; c’est un recueil de nouvelles de science-fiction tout à fait brillant, probablement un des meilleurs que j’ai jamais lus, rivalisant avec ceux de, disons, Ted Chiang ou Greg Egan.
Je n’ai découvert John Varley que tout récemment, à la lecture du Système Valentine. Mais c’est peu dire que j’ai été conquis, malgré un démarrage un peu difficile. Cet unique roman a en effet suffi à me convaincre que nous sommes là en présence d’un des plus importants auteurs de la science-fiction contemporaine. La densité de trouvailles, l’intelligence du propos, le foisonnement des détails, le jeu habile entre tragique et comique, font de ce pavé un exemple éloquent de ce que la science-fiction peut produire de meilleur. Bien évidemment, je ne comptais pas en rester là… d’autant que j’avais trouvé dans ce roman une sacrée matière à inspiration pour Eclipse Phase, le fascinant jeu de rôle dont je vous ai parlé il y a quelque temps et que je compte maîtriser prochainement. J’aurais pu enchaîner sur d’autres romans situés dans le même univers, comme Le Canal ophite ou Gens de la lune, mais l’excellente réputation du recueil Persistance de la vision, dont plusieurs nouvelles appartiennent également à ce cycle, a finalement décidé de mon choix. Et si, pour tout un tas de raisons plus ou moins valables, j’ai mis le temps pour achever cette lecture, je ne le regrette en rien : qu’est-ce que c’était bon !
Petit avertissement pour ceux qui chercheraient à se le procurer en occasion : faites attention, les gens, le présent recueil en Folio Science-fiction, qui correspond bien à un unique recueil en VO, avait autrefois été publié en deux volumes en Présence du futur, l’un intitulé Persistance de la vision (d’où un risque de confusion…) et l’autre Dans le palais des rois martiens. C’est bien ici de l’œuvre intégrale dont je vais vous entretenir.
Neuf nouvelles – ou sans doute plus exactement novellas – composent ce recueil hors-normes, qui fait son poids, sans jamais qu’il y ait du gras : rien, absolument rien n’est superflu dans Persistance de la vision, ouvrage à nouveau extrêmement dense et foisonnant. L’inventivité de l’auteur n’est jamais prise en défaut, qui sait nous régaler d’astucieuses trouvailles et de thématiques de réflexion passionnantes à chaque page, voire à chaque phrase.
J’avoue ne pas trop savoir au juste comment présenter ce livre de la manière la plus édifiante… Je crains d’avoir à recourir à nouveau à la mauvaise vieille méthode consistant à détailler le sommaire, dans l’ordre du recueil. Bon, on va faire avec…
J’ai tendance à croire qu’il était impossible de trouver une meilleure introduction à ce recueil que « Le Fantôme du Kansas », mais il est vrai que cette nouvelle est une des plus proches de mes préoccupations et de l’univers d’Eclipse Phase, ce qui peut biaiser mon jugement. Fascinante enquête policière, en tout cas, que cette histoire de meurtres à répétition, et que l’on aurait a priori tendance à juger absurdes, dans un univers où la sauvegarde semble garantir une certaine forme d’immortalité… S’y ajoute – et cela semble décidément important chez l’auteur – une belle réflexion sur l’art, en l’occurrence ici une nouvelle forme reposant… sur les manipulations météorologiques. Proche de la perfection.
« Raid aérien » me paraît impossible à résumer, tant l’histoire se met en place progressivement et accumule surprises et rebondissements. Contentons-nous donc de dire qu’il se passe des choses bien étranges dans ce vol d’un avion de ligne… La tragique actualité récente n’a pas manqué de me rappeler ce texte, dois-je dire.
« Un été rétrograde », pour être tout à fait recommandable, se situe probablement un cran en dessous. L’histoire en elle-même n’a rien de bien passionnant, la nouvelle valant surtout pour son cadre et ses personnages, tout à fait réussis. Là encore, grand foisonnement d’idées aisément adaptables à vous savez quoi.
« Le Passage du trou noir », de même, est un texte tout à fait réussi, mais moins bluffant que les plus belles réalisations de ce recueil. On appréciera tout de même là encore la charmante histoire d’amour entre les deux protagonistes, séparés par le vide spatial…
« Dans le palais des rois martiens » nous ramène au meilleur niveau du recueil. L’histoire de cette première expédition martienne et de son sort a priori dramatique – échouée sur la planète rouge loin de tout secours terrien – est d’une richesse exceptionnelle, et débouche sur une superbe utopie, dans un sens. Brillant, à nouveau.
On enchaîne avec « Dans le chaudron », belle nouvelle vénusienne évocatrice du mythe de la Frontière, focalisée sur un duo de personnages des plus sympathiques. Cadre superbe, là encore, et très belles idées. Et pour une fois qu’un happy end ne se montre pas agaçant…
« Dansez, chantez » fait probablement partie de mes nouvelles préférées de Persistance de la vision. Là encore, John Varley traite intelligemment de l’art dans un contexte science-fictif – la musique, en l’espèce. Mais, au-delà, il multiplie les idées géniales qui font de cette expérience une plongée fascinante dans la transhumanité la plus radicale.
On change pas mal de registre avec « Trou de mémoire », très intéressante variation sur les thèmes dickiens, avec lesquels l’auteur s’amuse énormément – et le lecteur avec. N’était une fin un peu abrupte, peut-être, on toucherait là à nouveau au chef-d’œuvre.
Mais, en dépit d’un reproche un peu similaire, c’est bel et bien sur un chef-d’œuvre que se conclut le recueil avec « Les Yeux de la nuit », extraordinaire réflexion sur la communication d’une richesse frôlant l’exhaustivité. On peut à vrai dire se demander s’il s’agit là de science-fiction, malgré le cadre utopique et la manière dont est traité le thème. Mais peu importe : c’est fascinant de bout en bout, d’une intelligence rare, et c’est peut-être bien, même borderline, le point d’orgue de ce recueil.
N’en jetez plus… ou plutôt si, encore ! Qu’est-ce que c’est bon ! On en redemande volontiers… Je me répéterai donc : Persistance de la vision est un recueil de science-fiction absolument génial, digne des tout meilleurs auteurs du genre. Un type-idéal, à vrai dire. Un modèle dont bon nombre d’auteurs feraient bien de s’inspirer. Une source de réflexions quasiment inépuisable. Porté par une langue fluide et un humour délicieux, comme pour achever de vaincre toute résistance, ce recueil de John Varley est donc plus que recommandable : qui s’intéresse au genre fera bien de se le procurer au plus tôt, il lira rarement quelque chose d’aussi puissant. Alors on ne galvaudera pas le terme, que l’on a pu appliquer à certaines nouvelles individuellement : globalement aussi, Persistance de la vision est un chef-d’œuvre. Indispensable.
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