"Pollen", de Jeff Noon
NOON (Jeff), Pollen, [Pollen], traduit de l’anglais par Marc Voline, [s.l.], La Volte, [1996] 2006, 379 p.
Allez, petite pause dans les lovecrafteries, pour retourner à un auteur plus contemporain mais également fascinant, le Mancunien Jeff Noon, avec son deuxième roman Pollen, qui fut, en son temps, le premier livre de l’auteur édité par La Volte (avant de poursuivre avec la réédition du premier, Vurt, qui m’avait un peu déçu, puis avec l’excellent recueil de nouvelles Pixel Juice et le roman NymphoRmation, dont je vous parlerai prochainement, et tout récemment avec Descendre en marche).
Un roman pas si facile que ça à aborder – je ne vous cacherai pas que j’ai dû m’y reprendre à deux, voire à trois fois – et dont je sens qu’il ne va pas être facile de causer, mais bon, hein, bon : un petit effort, Nébal, parce que ça en vaut vraiment la peine ; en effet, autant le dire de suite, Pollen est à mon sens bien meilleur que Vurt et, si l’on n’ira peut-être pas jusqu’à parler de chef-d’œuvre – parce qu’il faut (malgré tout) raison conserver –, on peut bien dire sans hésitation que c’est un putain de bon bouquin, dès l’instant que l’on a réussi à l’adopter.
Pollen s’inscrit dans la lignée de Vurt. On y retrouve donc cet étrange monde des rêves qu’est le Vurt, auquel on accède le plus souvent en se glissant des plumes dans la bouche (pourquoi pas, hein). Mais là où Vurt, à mon sens tout du moins, restait finalement assez classique, fortement connoté cyberpunk à la William Gibson (même si, comme on le notait déjà, il y a avait aussi un petit côté Alice au pays des merveilles pour venir foutre le bordel), Pollen envoie la sauce, et Jeff Noon s’y lâche complètement. Et c’est tant mieux. Parce que c’est bien son côté franchement barré qui fait son charme.
Un futur indéterminé, à Manchester. Le dimanche 7 mai, à 6h19, a lieu le grand éternuement. Aaaaaaaaaaaaaaattttttttttttccccccccccchhhhhhhhhhhhhhooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuummmmmmmmmmmm !!! Mais sur trois pages… Ce qui donne le ton.
Mais revenons en arrière, le lundi 1er mai. Ce jour-là, au petit matin, le taxi-chien Coyote (oui, parce que, dans ce Manchester-là, du fait de Fertilité 10, on trouve, en plus des humains « classiques », des croisements divers : chiens, robots, « Zombies », « Ombres », « Vurt »…) accepte une course qui le conduit dans les Limbes, dans la banlieue de Manchester infestée de Zombies. Mais Coyote est le meilleur taxi noir, après tout (pas un de ces Xcabs jaunes à la noix) ; aussi, il attend son client en écoutant les élucubrations psychédéliques de Gombo Ya Ya, le fameux animateur hippy pirate, obsédé par la hausse du taux de pollen (qui ne cesse en effet de grimper tout au long du roman). Le client – la cliente, en fait – arrive ; une jeune fille de douze ans du nom de Perspéphone… qui, arrivée à destination, tue Coyote avec des fleurs.
Deux policiers sont chargés de l’enquête : Sibyl Jones, une ombre-flic (ou « Dodo » : elle dispose dès lors de certains pouvoirs qu’on qualifiera de « télépathiques » et est insensible au pollen, mais n’a pas accès aux rêves, et donc au Vurt – ce qui amène d’emblée à se demander si le pollen ne serait pas vurtuel…), et le chien-flic Zoulou – ou Zéro – Clegg. Mais il y a des pressions pour que l’affaire soit classée au plus tôt : on craint en effet un regain des émeutes canines… Il s’agit donc de trouver un coupable idéal, en l’occurrence un Zombie. Mais Sibyl sait que ce n’est pas un Zombie qui a tué Coyote ; aussi refuse-t-elle de lâcher l’affaire…
Parallèlement, nous suivons également Boda, une chauffeuse de Xcab qui était plus ou moins la petite amie de Coyote et lui avait refilé le tuyau pour sa dernière course, fatale. Ce qui, en soit, constitue déjà une bonne raison pour s’interroger sur les circonstances du drame ; mais, du fait de sa curiosité, Boda est bientôt exclue des Xcabs, et donc de la Carte. Pire encore : on tente de la buter à son tour, et des informations circulent, notamment par le biais de Gombo Ya Ya, qui tendent à l’accuser du meurtre de Coyote ! Boda doit prendre la fuite à bord de son « Chariot », avec quasiment tout Manchester à ses trousses… et bien sûr, dans le tas, Sibyl Jones.
Ainsi débute Pollen, sorte de polar déjanté dans un univers loufoque mêlant science-fiction et fantasy, tantôt onirique, tantôt morbide, parfois drôle, parfois salement déprimant. Et c’est une réussite incontestable, un vrai bonheur de lecture – même si, donc, dans un premier temps tout du moins, il faut faire un petit effort pour s’accrocher : c’est que Jeff Noon nous balance tout son délire dans la gueule, sans jamais faire dans le didactisme – une bonne chose, assurément, mais qui ne facilite pas la prise de contact.
Ceci dit, passé cette première approche, on ne peut que se régaler à la lecture de Pollen. Tout y est brillant : on a déjà parlé de l’univers, aussi fou que séduisant ; mais les personnages ne sont pas en reste, tous très bien campés, complexes, humains, et souvent fort attachants ; et puis il y a cette plume – je parle du style de l’auteur, là, hein, pas d’accès au Vurt (quoique… c’est peut-être la même chose…) – tout simplement phénoménale (et, cette fois, remarquablement bien traduite par Marc Voline, alors que son travail sur Vurt m’avait laissé un peu sceptique). C’est un style d’une fluidité rare, coloré, vivant, musical. Un critique (Thomas Day, en l’occurrence) avait reproché à Pollen de faire trop usage de vocable anglais qu’il aurait été facile de traduire, mais je suis d’un avis différent ; certes, la langue de Shakespeare imprègne le texte français de Pollen, on pourrait difficilement prétendre le contraire ; mais, à mon sens, cela contribue notablement à la phénoménale richesse et musicalité de ce texte – qui fait partie de ceux, rares, que l’on aime à se réciter à voix haute. C’est beau, putain ; et ce franglais a quelque chose de séduisant, de réjouissant même, et d’authentique. Personnellement, j’aime beaucoup, mais je comprends le reproche, et vous laisse juges.
Quoi qu’il en soit, Pollen mérite bien qu’on s’y jette corps et âme : c’est un roman fascinant, étrangement léger après la prise de contact malgré sa richesse indéniable, mais sans jamais sombrer dans la superficialité. Un régal pour tous ceux qui voudront bien – et ils feraient bien – de prendre le risque. C’est que Jeff Noon est fort, très fort : c’est tout juste s’il ne m’a pas refilé le rhume des foins avec son roman, tant l’immersion y est totale… Le bilan ne saurait donc faire de doute : nettement plus convaincant que Vurt, même si peut-être pas aussi bon que le grandiose Pixel Juice (mais j’aime beaucoup le format nouvelle…), Pollen est un très bon roman, dont je vous recommande chaudement la lecture.
Aaaaaaaaaaaaattttttttttttccccccccccccccchhhhhhhhhhhhhhhhhhooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuummmmmmmmmmmmm !!!
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