"Pourquoi je ne suis pas chrétien", de Bertrand Russell
RUSSELL (Bertrand), Pourquoi je ne suis pas chrétien et autres textes, [Why I Am Not A Christian, And Other Essays On Religion And Related Subjects], traduit de l’anglais par Guy Le Clech, préface de Normand Baillargeon, postface de Paul Edwards, Montréal, Pauvert – Lux, coll. Instinct de liberté, [1957, 1964] 2011, 199 p.
Il y a quelque temps de cela, tandis que je furetais dans le salon L’Autre Livre, j’ai été notamment attiré par le stand de l’éditeur québécois d’obédience anarchiste/libertaire Lux, dont la production me semblait parfois fort intéressante. Je me suis donc livré à quelques emplettes, dont cet éloquent Pourquoi je ne suis pas chrétien du philosophe et mathématicien Bertrand Russell. Je dois confesser une fois de plus que mes connaissances en matière de philosophie contemporaine sont pour le moins limitées, aussi ne savais-je somme toute pas grand-chose du bonhomme, même si j’en avais bien évidemment entendu parler et le savais humaniste et libre-penseur. Raison suffisante, sans doute, pour vouloir en apprendre davantage, d’autant que le thème m’intéressait tout particulièrement.
Je suis en effet à la recherche, depuis pas mal de temps maintenant, de l’ouvrage à même de consolider mes convictions pour l’heure faiblement étayées en matière de religion. Aussi peut-il être utile, chers lecteurs, de vous toucher deux mots à ce sujet (eh : c’est mon blog, après tout…). S’il est deux penseurs qui sont déterminants à mes yeux en la matière, ce sont à n’en pas douter Protagoras et Lucrèce (oui, ça remonte un peu…). C’est pourquoi – et la question est abordée dans la préface de cet ouvrage – je préfère me qualifier d’agnostique plutôt que d’athée. Il me semble en effet – j’ai conscience que cet argument est employé à tort et à travers par des fondamentalistes religieux, mais cela ne l’invalide pas pour autant à mon sens – que l’athéisme est lui aussi une foi, par nature indémontrable (même si, ce qui nous ramène immédiatement à Bertrand Russell, ce n’est probablement pas à l’athée d’avancer des preuves en faveur de la non-existence de Dieu, mais au religieux d’en apporter quant à Son existence : c’est l’argument célèbre, mais très brièvement évoqué ici, de la « théière cosmique »). J’accepterais volontiers, cependant, le qualificatif d’athée : le fait est que je ne crois en aucun dieu ; mais il me semble que c’est en ayant conscience du caractère de conviction de ce postulat. Je préfère donc le qualificatif d’agnostique, qui (et Russell semble l’admettre lui-même dans un extrait en préface) me semble plus porteur sur le plan philosophique. Disons donc que je suis un agnostique tendant vers l’athéisme ; je puis être plus précis sur certains points : si je ne me sens pas en mesure de nier frontalement l’existence de Dieu (trop de choses m’en empêchent, pour citer Protagoras), je nie par contre la nécessité du culte qui doit lui être rendu, de même que je nie sa bonté supposée, ou encore la Providence (et il me semble possible, ici, de déployer un argumentaire en ce sens ; mais ce n’est probablement pas le lieu de le faire).
Et je suis donc en quête d’un ouvrage qui saurait étayer, voire affirmer mes convictions, ou au contraire les bouleverser. J’ai pas mal lu en la matière (surtout des classiques, cela dit), sans rencontrer encore cet ouvrage. Et j’ai eu, hélas, notamment dans le microcosme de la science-fiction, l’occasion de lire bien des bêtises sur ce sujet, les intégristes de l’athéisme me semblant potentiellement aussi néfastes que ceux des (autres) religions. Alors c’est parfois amusant – après tout, je suis un grand admirateur de Sade, dont l’athéisme militant était particulièrement blasphématoire, et donc puéril –, mais le plus souvent guère constructif, le « débat » (aha) se limitant vite à des invectives lancées de part et d’autre, et à une fâcheuse tendance à ne prêcher que pour sa chapelle, si j’ose dire. J’espérais trouver auprès de Bertrand Russell les fondements d’une libre pensée, au moins agnostique, et tant qu’à faire athée, un peu plus solide que cela ; autant le dire de suite, ce ne fut pas le cas, et ma quête semble donc devoir se poursuivre…
Ce tout petit ouvrage, outre la préface de Normand Baillargeon et la longue postface de Paul Edwards (édifiante, sur une polémique suscitée par la nomination de Russell à un poste de professeur à New York : les attendus du jugement rendu en sa défaveur sont tout simplement hallucinants…), contient trois brefs textes, très faciles d’accès – cela relève largement, et dans un sens je le regrette un peu, de la vulgarisation : « Pourquoi je ne suis pas chrétien », « La Religion a-t-elle contribué à la civilisation ? » et « Ce que je crois ».
Il s’en dégage un tableau de la pensée de Russell en matière de religion et sujets connexes, ce qui n’exclut pas quelques redites. Il ne me semble pas utile, dans le cadre de ce compte rendu, de reprendre point par point ces trois articles. On peut toutefois en relever quelques traits particulièrement saillants. Notons tout d’abord, même si c’est une évidence, que le titre générique ne doit pas nous tromper : si le discours de Russell s’appuie essentiellement sur le christianisme, sa critique est bel et bien valable pour toutes les religions (parmi lesquelles il fait d’ailleurs figurer le communisme…). En réfutant, avec une aisance remarquable, les arguments traditionnellement avancés en faveur de l’existence de Dieu et de la nécessité de la religion, le philosophe tient bien un discours à portée générale, dépassant le seul champ du christianisme. Il se montre moins convaincant sur d’autres points (il tend ainsi à user lui aussi de cette vieille scie, qui m’a toujours paru inefficace et douteuse, de la remise en cause de l’existence historique du Christ), mais son discours n’en est pas moins à l’occasion fort pertinent : sa diatribe contre l’enfer dans l’enseignement des évangiles vaut le détour.
Et c’est bien sur le plan éthique qu’il se montre le plus séduisant ; sa critique de la religion, sous cet angle, me paraît parfois excessive (notamment dans le deuxième texte, qui résume les apports positifs de la religion au calendrier, en somme ; une blague n’est pas un argument, et il me semble que la religion, si elle a traîné avec elle son cortège d’horreurs, a pu aussi générer le sublime) ; mais il devient plus intéressant quand il expose ce qui constitue en fin de compte sa « religion » (le terme a fait un peu grincer des dents, mais c’est bien de cela qu’il s’agit ; le préfacier préfère cependant, avec d’autres, le terme de « piété » ; pour ma part, « religiosité » ne me paraîtrait pas forcément inapproprié, mais je rejette avec Normand Baillargeon « spiritualité »). Il expose alors une éthique humaniste, dans tous les sens du terme, fondée sur l’amour et le savoir (les deux ensemble, l’un sans l’autre pouvant conduire au pire). Si sa croyance n’est pas exempte à l’occasion d’un certain scientisme qui m’empêche d’y adhérer pleinement, le fait est que Bertrand Russell a ici des choses fort intéressantes à dire, notamment, par exemple, en ce qui concerne la sexualité ou encore l’éducation.
L’ouvrage est donc pertinent, oui, et parfois intéressant. À l’heure du retour en force du religieux sous sa forme la plus répugnante, il pourrait même, abstraitement, être considéré comme salutaire… s’il n’avait ce fâcheux défaut évoqué plus haut, consistant à ne prêcher que des convaincus. Pourquoi je ne suis pas chrétien n’a en rien modifié mes opinions sur la question religieuse, et je suis à peu près certain qu’aucun croyant, de quelque obédience qu’il se revendique, n’y trouvera véritablement de quoi remettre en cause sa foi.
Je ne regrette donc pas ma lecture, mais ne peux m’empêcher de trouver ce petit ouvrage un peu vain, finalement. Et je dois donc poursuivre ma quête…
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