"Praetoria Prima"
Praetoria Prima
Bizarrement, ou peut-être pas tant que ça, mon intérêt pour Rome a été assez tardif. Si j’ai toujours été passionné par l’histoire, et notamment celle de l’Antiquité, j’en ai longtemps eu une vision assez biaisée, et ai eu – nécessairement – tendance à valoriser la Grèce et dans une moindre mesure l’Égypte par rapport à l’Empire. Clichés à la Astérix, peut-être (mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je révère les albums de Gosciny)… Mais franchement : entre un philosophe grec épris de raison et un vulgaire militaire romain amateur de sanglants jeux du cirque, mon cœur ne balançait guère. Bien entendu, cette vision est fausse, mais il m’a fallu du temps pour m’en débarrasser ; et, à vrai dire, même si j’étais nettement meilleur en latin qu’en grec ancien, ces cours n’y ont pas changé grand-chose… Je crois, en fait, que c’est la découverte de l’extraordinaire édifice du droit romain, dans mes études supérieures, qui a probablement changé la donne. Et même si mon mémoire de Maîtrise de science politique portait encore sur ces satanés Grecs, j’avais fini par comprendre que la réalité historique n’avait rien d’aussi simple que ce que je croyais auparavant (la lecture de Thucydide, surtout, et, mais d’une tout autre manière, celle de Platon, m’amenant d’ailleurs à reconsidérer les vieux clichés sur la Grèce). Et puis il y a eu la série Rome produite par John « du sexe et du sang » Milius, dont je me suis régalé… Bref. Tout ça pour dire que, si mon intérêt véritable pour Rome est assez tardif, il est néanmoins assez prégnant.
Mais ce n’est que tout récemment que je me suis mis à chercher des jeux de rôle adoptant un cadre antique ; je suis tombé notamment sur Agôn, que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire, mais je désirais quelque chose de moins « mythologique », de plus réaliste. Praetoria Prima me tendait donc les bras, même si je n’en savais encore rien ; à vrai dire, je suis tombé dessus totalement par hasard, en fouinant dans une boutique. Le cadre romain m’intriguait (donc) ; le temps de jeter un œil à quelques critiques dans l’ensemble très positives, et j’ai cédé à ma pulsion d’achat…
Praetoria Prima est un jeu de rôle de Sébastien Abellan, dit « Mercutio », qui a connu une certaine carrière en tant que jeu indépendant avant d’être édité par les Éditions Icare (dont c’était, si je ne m’abuse, le premier titre ; je me suis du coup intéressé aux autres, et vous parlerai sans doute bientôt de Würm et de Cats !). Le livre est assez cheap… Mais on n’est pas à ça près, hein ?
Nous sommes donc peu de temps après l’accession au trône de Néron. Le jeune prince est adoré des Romains, on n’en est pas encore, loin de là, à l’image de l’incendie de la ville éternelle, avec l’autre dingue qui joue de la lyre… Mais il n’est pas en sécurité pour autant : dans l’ombre, les complots sont nombreux, qui visent à se débarrasser de l’Empereur, pour telle ou telle raison… D’où la Praetoria Prima, une sorte de légion de l’ombre, composée de l’élite de l’Empire, dont la tâche est de protéger le prince… sans même que ce dernier ne soit au courant. Il faut dire, cependant, que d’aucuns dans la Praetoria Prima considèrent que leur mission est de défendre l’Empire avant même l’Empereur… et peut-être à ses dépends.
Les joueurs sont donc invités à incarner de ces légionnaires d’exception, à la fois soldats, enquêteurs et espions (et tous des hommes, même si j’ai cru comprendre que, dans le livret de l’écran, je crois, des pistes sont données pour incarner malgré tout des femmes…). Ils sont répartis grossièrement en cinq « classes » : Bellator, Emissarius, Medicus, Orator, Vates. Ils peuvent être originaires de tout l’Empire, même si l’auteur a pris le parti (nécessaire, sans doute) d’une présentation simplifiée qui, au-delà de Rome en elle-même, n’envisage que la Gaule, le Grèce et l’Égypte.
Quand on jette un œil à la fiche de personnage sans rien connaître du système, il est difficile de ne pas songer au « Monde des Ténèbres »… et l’auteur, dans une brève postface, explique sans surprise que Vampire l’a beaucoup influencé, notamment d’ailleurs pour son aspect de politique de l’ombre. Nous avons donc trois valeurs, Virtus, Fides et Pietas (en très gros, physique, social, intellect) dont dépendent trois couples de caractéristiques, puis trois ensembles de compétences, avec moult petits ronds à remplir à côté.
Le système, pourtant, n’a rien à voir avec celui de Vampire, et il ne faut donc pas se fier aux apparences. En gros, la valeur détermine le nombre de dés que l’on jette, parmi lesquels on ne retiendra que celui qui fait le plus gros score, auquel on ajoutera caractéristique et compétence pour déterminer face à un seuil la réussite ou l’échec. C’est donc moins intuitif que le « Monde des Ténèbres », mais reste assez simple, même s’il y a bien sûr des cas particuliers qui viennent un peu compliquer la chose (dont le combat, sans surprise).
L’originalité réside probablement dans les prières. Le joueur, en fonction de sa foi et de sa ferveur, peut adresser des prières à son dieu pour en retirer une bénédiction ou jeter une malédiction sur un adversaire. Concrètement, si la prière réussit, et donc si le dieu est à l’écoute, il y aura, par exemple, un bonus sur un jet de dés. C’est plutôt bien fait… et pourtant ça me gêne, à un double titre : d’une part, cela introduit dans Praetoria Prima un vague élément « surnaturel » dont il aurait à mon sens gagné à se passer (mais bon, ça, c’est moi, hein…) ; d’autre part, cela procède d’une vision quand même très schématique et hautement critiquable de la religion à Rome, question complexe, et bien éloignée sans doute des conceptions qui nous ont été imposées ultérieurement par les religions universelles de salut (notez, on peut jouer des chrétiens ou truc, hein ; on peut même jouer des athées, mais cela revient à se passer des bonus des prières, et procède là d’une vision vraiment très réductrice, trop sans doute…).
Voilà en gros pour les aspects techniques, lesquels, vous l’aurez compris, sans être mauvais pour autant, ne constituent pas le point fort de Praetoria Prima. Non, le véritable intérêt, comme la vérité, est ailleurs : dans un cadre absolument superbe, et présenté avec beaucoup d’adresse. Si l’on ne peut que regretter la simplification (bien compréhensible, cela dit) qui vient réduire l’Empire à seulement trois provinces majeures en dehors de l’Urbs, le fait est que Sébastien Abellan fait preuve d’un grand talent pour immerger le lecteur (et donc le joueur ?) dans l’Empire du début du règne de Néron ; la « visite guidée » de Rome est un véritable modèle, et la présentation ultérieure de PNJ notables, riche d’une multitude d’idées de scénarios, est également très bien faite et tout à fait enthousiasmante. Le scénario d’introduction proposé en fin de volume est de même intéressant, non seulement pour sa trame policière, classique mais bien foutue, mais aussi pour le conflit de valeurs qu’il suscite en définitive, et qui constitue à mon sens le cœur même des intrigues auxquelles Praetoria Prima peut donner vie.
La lecture de ce livre assez court et très aéré, somme toute agréable dans la partie « technique », devient ici tout à fait passionnante, et l’on est vite pris d’envie de constituer une décurie de l’ombre pour l’envoyer aux quatre coins de l’Empire (même si d’abord à Rome, sans doute) défendre la personne de Néron… ou pas. La tâche n’était probablement pas aisée, mais l’auteur s’en est très bien acquitté.
Au final, et malgré la petite réserve – le doute, disons – concernant le système des prières, Praetoria Prima m’a l’air franchement intéressant, et j’en maîtriserais volontiers quelques parties… même si cela semble hélas peu probable dans l’immédiat. Parce que Rome, c’est cool. Na.
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