"Quake", de Nine Inch Nails
NINE INCH NAILS, Quake.
Tracklist :
02 – Quake Main Theme
03 – Aftermath
04 – The Hall Of Souls
05 – It Is Raped
06 – Parallel Dimensions
07 – Life
08 – Damnation
09 – Focus
10 – Falling
11 – The Reaction
Dans la désormais abondante discographie de Nine Inch Nails, il est hélas un titre que l’on a trop souvent tendance à oublier – et pour cause : il n’est jamais sorti officiellement en tant qu’album (même s’il y eut des version pirates, comme par exemple Soundquakes) : il s’agit de la bande originale du jeu vidéo Quake, le fameux FPS (on disait alors Doom-like…) sorti en 1996, qu’il était possible d’écouter à même le CD du jeu (d’où cette numérotation qui commence à la deuxième piste). Or il serait dommage que cette excellente B.O. sombre dans l’oubli en même temps que le jeu, aujourd’hui largement dépassé techniquement, quand bien même il a généré une franchise culte.
Tout simplement parce qu’il s’agit à mes oreilles d’un des meilleurs enregistrements de Trent Reznor. Parfois, quand l’enthousiasme me gagne, j’en arrive même à me dire qu’il s’agit DU meilleur. C’est sans doute exagéré, et j’y mets un peu de provocation… Mais quand je dis un des meilleurs, je suis mortellement sérieux.
J’avais déjà affirmé, en chroniquant The Fragile, combien Trent Reznor me semblait plus convainquant pour la musique instrumentale que pour la chanson : Quake, à l’instar du plus tardif mais non moins passionnant Ghosts I-IV, me paraît justement en témoigner. Le problème, c’est que, du coup, chroniquer Quake, de même que, plus tard, chroniquer Ghosts I-IV, ça ne s’annonce pas facile…
Mais c’est peut-être pire encore pour Quake, dans la mesure où cette musique s’inscrit dans une veine très minimaliste et cauchemardesque, qu’on pourra allègrement qualifier d’indus death ou de dark ambient (jamais su faire la différence…), à la Raison d’Être ou Megaptera (avec néanmoins une touche propre à Nine Inch Nails – ou faut-il dire Trent Reznor ? mais les références à Nine Inch Nails émaillaient le jeu lui-même… – par-dessus).
Mais j’ai quand même une bonne et heureuse nouvelle pour Quake : j’en ai trouvé toutes les pistes sur le ouèbe. Gloria, gloria ! Cela vous permettra au moins de vous en faire une idée par vous-mêmes, si ma prose insipide ne parvient pas à retranscrire l’intérêt de « l’album ».
Commençons donc par le commencement, avec le d’abord tonitruant – et ce sera le seul exemple de grosses guitares et de rythmique à l’avenant de tout l’album – « Quake Main Theme » : un superbe riff d’intro bruitiste, qui laisse bientôt la place aux ambiances sombres qui caractériseront le reste de l’album, un semi-hurlement en fond effectuant la transition vers un passage de pures nappes atmosphériques plus ou moins affirmées et/ou dissonantes. Une merveille, l’introduction parfaite.
Suit le bref « Aftermath », avec une très légère rythmique « cardiaque » (d’autant plus oppressante). Un morceau de transition, très efficace dans son genre.
On passe à quelque chose de bien plus impressionnant avec « Hall Of Souls » et ses voix chuchotées (à l’envers, si je ne m’abuse), qui, perso, ont pu me faire penser à Boyd Rice. Ambiance… Là encore, un pied « cardiaque » est à l’œuvre, avec un charley électronique nerveux pour l’accompagner, et quelque notes de guitare à la Throbbing Gristle. Tandis que les nappes se font plus ou moins présentes… Puis finalement c’est un riff de guitare qui se met en place, tandis que la rythmique se fait plus définitive et stressante ! Et retour au point de départ. Un chef-d’œuvre du genre, et une de mes pistes préférées de l’album.
« It Is Raped » joue sur un registre différent, avec ses longues nappes plus ou moins saturées revenant sans cesse, imperturbables, accompagner des cuivres (des saxophones, je suppose ?) torturés. Belle ambiance malsaine et lourde. Très bon.
Mais on y préfèrera encore l’excellent « Parallel Dimensions »… où se dégage un semblant de mélodie ! Mais là encore, ce que l’on remarque avant tout, c’est une pulsation « cardiaque », qui prend bientôt des allures quasi tribales alors que la très légère, insidieuse et grave mélodie se met en place, très angoissante… À nouveau un petit chef-d’œuvre du genre, d’une efficacité redoutable.
En parlant de « rythmique cardiaque », voilà que Trent Reznor nous sort le grand jeu avec le terrible « Life »… Cette fois, l’expression est employée au plus juste. Par-dessus, nappes, et bruissements stridents – pouvant évoquer certaines compositions ultérieures de Kenji Kawai – s’enchevêtrent dans un délicieux délire claustrophobe. Faut vraiment pas être allergique à la musique répétitive, hein (mais si c’était le cas, vous ne seriez probablement pas arrivés jusque-là…). Mais sinon, c’est que du bonheur. Glauque, le bonheur, hein. Mais du bonheur quand même.
« Damnation » abandonne ensuite la carte rythmique – ou peu s’en faut : il y a bien quelques martèlements industriels de temps à autre – pour jouer sur les pures ambiances névrosées et cauchemardesques. Tout cela n’est guère joyeux, mais fonctionne très bien.
Après quoi l’on passe à « Focus » et son agaçant (pour le mieux…) bourdon strident. Par-dessous s’égrènent des bruitages liquides, accompagnés par le souffle d’antiques machineries. La sensation de névrose omniprésente est à son comble sur cette piste très efficace.
« Falling » est un morceau bien plus court que la plupart de ceux qui précèdent. On y devine (j’en sais rien, après tout, j’ai à peine joué au jeu quand on me l’avait prêté ; moi, c’était la musique qui m’intéressait… Donc, en réponse à un jeune candidat aux élections présidentielles de 2012 qui me posait la question, je crois que oui, on peut parfaitement dissocier la bande originale du support pour lequel elle avait été prévue, la séparer du cadre dans lequel elle a été composée ; d’ailleurs, moi, j’ai écouté des dizaines de fois Ascenseur pour l’échafaud sans jamais avoir vu le film, hein…), on y devine, disais-je, une descente aux enfers dans un ascenseur lépreux et interminable… Belle ambiance, en tout cas.
Et « l’album » de se conclure sur « The Reaction », morceau ambient débordant de petits bruitages incongrus et oppressants. Un classique du genre pour conclure l’enregistrement, mais certainement pas le morceau qui marque le plus.
N’empêche que, au final, la bande original de Quake figure bien, pour moi, parmi les meilleurs enregistrements de Trent Reznor, avec The Fragile et peut-être (je dis bien : peut-être) juste devant The Downward Spiral et Ghosts I-IV. Alors vous allez peut-être dire que j’en rajoute un peu, que je provoque un peu, et c’est peut-être le cas, je ne sais pas. Mais, ce que je sais, c’est qu’il serait dommage que cette excellente bande originale sombre dans l’oubli en même temps que le jeu ; car elle est bel et bien une œuvre majeure de Nine Inch Nails, même si on ne tient pas à la faire figurer dans le tiercé de tête.
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