"Que faire ?"
… comme disait l’autre ? Oh, je n’ai certes pas ses prétentions révolutionnaires – je ne les partage même pas, à dire vrai –, mais je ne manque pas de m’interroger. Et cette petite question, toute sotte, revient régulièrement, de plus en plus fréquemment, même, ces derniers temps : « Que faire ? » Je n’en sais rien. Eh ! C’est bien le problème… Et la raison d’être de cet article. J’en ai assez de m’interroger tout seul dans mon coin. J’irai même plus loin : je n’en peux plus, là, présentement. J’en ai marre. Je suis à bout. Parce que les principes qui me tiennent le plus à cœur sont tous les jours bafoués, instrumentalisés par des connards de la pire espèce, chose en soi passablement désagréable ; mais, peut-être pire encore, il semblerait que tout cela se fasse sans que personne ou presque ne s’en indigne. Comme si ce n’était pas grave. Ou comme si, bah, de toute façon, hein, ma bonne dame, qu’est-ce que vous voulez que l’on y fasse…
Hein ?
D’abord, je ne suis pas une dame.
Ensuite, je n’en sais rien.
Mais justement, je vous pose la question : « Que faire ? »
Le problème, donc. Il paraît qu’il concerne la « laïcité ». Laissez-moi rire…
Aha.
C’est marrant, mais, moi-même – qui suis agnostique tendant vers l’athéisme, s’il faut que je sorte mon passeport idéologico-religieux –, je me suis toujours considéré comme proche de la libre-pensée, anti-clérical et assurément laïcard, prônant même une laïcité dite « de combat » sur certaines questions qui fâchent encore aujourd’hui (l’école, pour n’en citer qu’une). Seulement j’ai toujours concilié ça avec un vieux fond de libéralisme politique – qui fait dans une égale mesure partie du pacte républicain. Or ce pacte garantit comme libertés fondamentales la liberté de culte, la liberté de conscience, la liberté d’opinion, la liberté d’expression et la liberté d’association. Ces libertés, qu’elles figurent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu’elles soient considérées comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, font partie du bloc de constitutionnalité sur lequel le Conseil constitutionnel se fonde pour exercer son contrôle de la constitutionnalité des lois. En d’autres termes : c’est du lourd. Des notions qu’on ne manie pas à la légère. Le jeu, c’est de concilier l’intervention de l’État et la liberté des citoyens. Or le principe de la laïcité, tel qu’exposé dans la fameuse loi de 1905, est simple : séparation des Églises et de l’État. Autrement dit, l’État et les cultes n’ont rien à voir ensemble.
(En principe : pour la bonne bouche, on pourrait dire à ces messieurs-dames de l’UMP qui font mumuse avec la « laïcité » de jeter un coup d’œil à ce qui se passe en Alsace-Moselle, où le régime de 1905 ne s’applique toujours pas… Il y a d’ailleurs d’autres exceptions, mais celle-ci est juste la plus flagrante.)
Comme Michou, je cite Wikipédouille :
« La laïcité en France est un principe qui distingue le pouvoir politique des organisations religieuses – l’État devant rester neutre – et garantit la liberté de culte (les manifestations religieuses devant respecter l’ordre public) ; il affirme parallèlement la liberté de conscience et ne place aucune opinion au-dessus des autres (religion, athéisme, agnosticisme ou libre-pensée), construisant ainsi l’égalité républicaine. »
Posons les choses autrement : la laïcité – du moins telle qu’on me l’a présentée et telle que je l’ai toujours conçue – est une règle de droit public, qui s’exerce dans la sphère publique. Dans la sphère privée, par contre, le principe, de la part de l’État, est celui de la neutralité, et, pour le citoyen, c’est celui de la liberté.
Donc, quand on parle de « laïcité » pour prohiber des comportements de la part des usagers du service public, moi, ça m’agace. Parce qu’il me semble bien que le principe de laïcité, dans ce sens, ne s’applique – et ne doit s’appliquer – qu’aux agents du service public. Alors les propositions saugrenues, comme celle de Pécresse suggérant la création d’un assez peu vraisemblable « diplôme de laïcité », vous imaginez bien ce que j’en pense, et où elle peut se le carrer…
Évidemment vous allez me dire : « Et l’ordre public ? » Et je vous dirais : « Oui, certes. C’est la limite imposée à la manifestation du sentiment religieux. Mais jusqu’à présent ça n’a pas posé de problème, alors pourquoi en inventerait-on ? »
…
PARCE QUE C’EST DES BOUGNOULES, PARDI !
C’est qu’il est là, le vrai problème – qui ne se posait pas du tout en 1905, quand il ne s’agissait que de se séparer des cathos, de briser le concordat qui avait succédé à l’alliance du trône et de l’autel (la France, fille aînée de l’Église…). Cessons un peu l’hypocrisie quelques secondes, voulez-vous ? Surtout à l’heure où nos chers « laïcards » de droite (au passage, si la laïcité était une valeur de droite, depuis le temps, ça se saurait) témoignent de leur attachement aux « racines chrétiennes » de l’Europe, refusent l’adhésion de la Turquie à cette même Europe, etc. Ce prétendu « débat » (sans opposants) sur la « laïcité » n’est jamais qu’une charge même pas déguisée contre une religion bien déterminée, la petite bête qui monte, qui monte, et qui fait peur : l’Islam.
Pas besoin d’être un subtil analyste pour s’en rendre compte : il suffit de les écouter parler, ces misérables petites putes de Guéant, de Copé et compagnie, qui racolent à tour de bras un électorat populaire qui leur a glissé entre les pattes pour rejoindre la vague bleue Marine. En fait de neutralité, on a ainsi pu entendre notre « croisé » de ministre de l’Intérieur dire – attention les yeux et les oreilles – que « le nombre de musulmans en France pose problème ». La droite, plus que jamais décontractée du Guéant (© Humour de droite), ne se cache pas et affiche bien haut et fort ses intentions. Et ceux qui boudent le débat, par conviction ou stratégie, les Fillon, les Baroin, se voient qualifier en gros de traîtres… Il s’agit de suivre la ligne générale voulue par l’omniprésident, qui y tient, à son « débat », comme il tenait à son avant-goût déjà nauséabond, le prétendu « débat » sur « l’identité nationale » (avec en corollaire des charters de Roms ; moi, pendant ce temps-là, je devais faire cours sur le nationalisme et le racisme à des 1ère année d’AES – joie : j’ai pris le parti de m’étendre sur Renan, et d’expliquer que, fut un temps, on qualifiait son « plébiscite de tous les jours », son « vouloir-vivre ensemble », de « conception française de la nation » – par opposition aux conceptions dites « objectives » fondées sur le territoire, la « race », la langue, l’intérêt économique… ou la religion ; puis je me suis longuement penché sur le racisme : après tout, on sait jamais, ça pouvait toujours servir…).
Donc. Il paraît que « le nombre de musulmans en France pose problème ». Moi, il ne me pose pas de problème. Enfin, je veux dire, pas plus que le nombre de n’importe quels croyants, quelle que soit leur religion. Et encore, tant qu'ils ne viennent pas m'emmerder en m'imposant leurs idées, je ne peux pas dire que ça me gêne... Je ne suis pas pris d’une attaque quand je croise une femme avec un voile sur les cheveux dans la rue (dans mon quartier, vaut mieux, en même temps). J’ai même un, non, deux exemplaires du Coran chez moi – de même que de la Bible, parce que je considère que cela devrait figurer dans toute bonne bibliothèque (et, rappelez-vous, je suis agnostique tendant vers l’athéisme ; seulement c’est pas une raison pour ne pas avoir de culture ; et en tant qu’apprenti historien, a fortiori des idées, j’ai dû régulièrement fouiner dans tout ça). Mais il semblerait que ce soit un problème pour notre bon ministre, pour nombre de ses comparses de l’UMP… et, hélas, pour une masse non négligeable de GROS CONS qui ont une carte d’électeur.
Et c’est effrayant, tout ça. Je trouve. Parce qu’on dépasse cette fois les délires isolés d’un Dantec, ou d’un Michou (avec tout le respect que j’ai par ailleurs pour son œuvre) qualifiant bêtement l’Islam de « religion la plus conne » (en substance), ou d’un Taguieff obsédé par « l’islamo-gauchisme ». On n’en est plus à l’amalgame beauf : « musulman = islamiste = terroriste », en vogue depuis 2001 (au plus tard) dans les PMU. Cette fois – et vous aurez beau me dire qu’il n’y a pas de débat à l’Assemblée, je vous répondrai que ça ne change rien au problème – ces questions et leurs sous-entendus puants sont traînés sur le devant de la scène publique par des représentants du peuple français ou des membres de l’Exécutif. Rien de moins. C’est le parti de la majorité qui fait une convention spécialement sur cette question. Rien de moins. Il n’y a pas de loi en débat ? Mais c’est pire ! Sur une loi, on peut exercer un contrôle ! Là, rien ! Et je trouve ça grave. Très grave. Infiniment grave. Parce qu’on assiste là à ce qu’il faut bien appeler une banalisation de l’islamophobie, au mieux (un mieux très relatif, hein…), voire de la xénophobie, au pire. La chasse gardée du FN, de De Villiers, bref, de l’extrême droite, se voit squattée par l’UMP, qui est censée représenter la droite « traditionnelle » et « républicaine » en France. Et ça craint. Parce que si ça fait des années que je me pose la question : « Où est la gauche ? » sans obtenir de réponse, j’en viens maintenant à me demander : « Où est la droite ? », i.e. la « vraie droite », la droite respectable, celle avec laquelle on peut débattre… et à n’avoir pour seule réponse que l’écho de ma propre question.
Banalisation de l’islamophobie, voire de la xénophobie. Grave, très grave. Pourtant, des fois, j’ai l’impression d’être le seul ou presque – j’exagère, j’en connais bien quelques-uns, je ne vous oublie pas… – à m’en indigner. Et voilà qui m’effraie plus encore, comme je le posais en introduction de ce texticule.
Hier, j’ai fait un coup de sonde – après plusieurs tentatives avortées – sur le forum d’ActuSF. Pourquoi là-bas ? Parce qu’il y a un sujet fourre-tout où il me semblait possible d’exprimer impunément mes craintes, d’une part, et, d’autre part, parce qu’il y avait eu sur ce site une forte mobilisation au moment d’Hadopi, loi qui avait entraîné de vives réactions dans la communauté science-fictive. Je reproduis ici mon message – tout simple (pour voir sur le forum, hop) :
« Bon.
« Je suis décidément écœuré par les Guéant, les Copé et compagnie, et le pseudo-débat aha sur la soi-disant « laïcité » – mais comment osent-ils souiller ce beau nom ? – qui a lieu à l’heure actuelle.
« Et je suis, on va dire, « étonné », ou « déçu », du peu de réactions que cela semble susciter.
« Parce que, désolé, mais tout ça me paraît mille fois plus grave qu’Hadopute, pour citer un autre « débat » qui a par contre entraîné de vives réactions ici.
« Faut quoi pour que ça bouge ? »
On m’a répondu qu’il n’y avait pas de débat à l’Assemblée, que les présidentielles, c’était dans treize mois, que de toute façon rien à foutre, que « l’indifférence est le plus grand des mépris ».
Et moi qui pensais être pessimiste et désabusé…
Alors que franchement, Hadopute, moi, j’en avais pas grand-chose à foutre… Mais dois-je en conclure que, quand on tape sur nos ordinateurs, c’est la guerre, mais quand c’est sur le Bougnoule en bas de la rue qui nous vend la binouze quand tout le reste est fermé, boarf, de toute façon, hein, bon ?
Ben merde.
D’où ma question : « Que faire ? »
Je n’en sais rien.
Ce que je sais, c’est que je trépigne tous les jours devant les conneries que je lis sur Internet ou que j’entends à la radio (j’ai pas la télé, c’est toujours ça de pris…). Et que j’ai envie de faire quelque chose. Pas une quelconque bisounourserie, c’est pas l’esprit de la maison. La militance, ça ne l’est pas vraiment non plus (certainement pas s’il faut prendre une carte). Mais quelque chose. Quoi ?
Je ne sais pas.
« Que faire ? »
Je vous pose la question.
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