Quelques mots à propos du mariage gay
Ceux qui me suivent sur Facebook ou sur Twitter ont pu constater ces derniers temps mon engagement en faveur du mariage gay (accessoirement, je préfère cette expression à celle de « mariage pour tous », parce qu’il vaut toujours mieux appeler un chat un chat). Je ne prétendrai pas le contraire : généralement, mes contacts et moi sommes largement ici sur la même longueur d’ondes, et m’exprimer à ce sujet sur ces supports revient donc largement à prêcher des convaincus. Il n’en va pas forcément de même sur ce blog, où j’évite d’habitude, certes, de traiter de politique. Mais là, une fois n’est pas coutume, j’en ai envie. Et une remarque incidente d’un citoyen blogueur sur « l’importance » toute relative de la chose (j’y reviendrai à la fin) m’incite à écrire quelques mots sur cette question, à lui offrir un développement qu’un tweet ou un statut Facebook n’autorisent pas.
Je commencerai par rappeler simplement, même si j’en tire des conséquences sans doute radicales (on y vient), que la famille humaine et le mariage n’ont rien de « naturel » (ce qui invalide déjà pas mal le prétendu argument du caractère « contre-nature » du mariage homosexuel, que les cons ne cessent de nous assener), mais sont fonction des temps et des mœurs, autrement dit de la culture. L’humanité a expérimenté bien des formes de familles et de mariages, ainsi que l’a récemment et à très juste titre rappelé l’anthropologue Maurice Godelier. Aujourd’hui encore, de par le monde, la famille basée sur « un papa, une maman » n’a rien d’universel, et ne va pas forcément de soi. Ici, la biologie s’efface devant le droit, et on ne le répètera jamais assez : le mariage comme la filiation sont des constructions juridiques, qui n’ont rien à voir avec la nature.
Ceci étant – et c’est là que je m’amuse à jouer au petit radical libertaire –, le mariage tel que nous le connaissons et la famille telle qu’on la conçoit dans l’Occident contemporain me paraissent constituer de tristes archaïsmes. En d’autres termes, à m’en tenir à une position générale, je suis contre le mariage, et contre la famille, institutions qui ne sont à l’heure actuelle fondées sur rien d’autre que la tradition, ce qui a toujours été la plus stupide des « raisons ». Il me semble que l’humanité gagnerait à s’en passer, les tribunaux aussi accessoirement, et que ce serait parfaitement possible. À titre individuel, bien sûr – après tout, personne n’oblige personne à se marier, dans la France contemporaine en tout cas (je mets de côté les délires communautaristes…) –, mais aussi au-delà. Dans mes fantasmes libertaires, je me prends à rêver d’une forme d’union pouvant dépasser le couple, fondée sur la simple communauté d’intérêts, et pouvant donc dépasser également la sexualité, sans l’exclure pour autant (et toutes les sexualités). Mais c’est un rêve… Bon. Tant pis.
On pourrait se demander, dès lors, s’il n’y a pas contradiction à militer – à mon échelle, et avec mes maigres moyens – en faveur du mariage gay. Je ne pense pas. Parce qu’intervient alors la question de l’égalité des droits. Peu importe, dès lors, mon rejet global du mariage : le sujet, ici, c’est de savoir si les homosexuels peuvent se marier. Et, pour dire les choses crûment, il me semble que les gays ont parfaitement le droit d’être aussi cons que les autres. Non, plus sérieusement : le fait est que le mariage ouvre droit à un certain nombre d’avantages, dont rien ne justifie qu’ils soient limités aux seuls hétérosexuels. Et je n’ai encore vu aucun argument justifiant véritablement cette exclusion. On nous balance à la gueule des conneries comme le « contre-nature » ou la « porte ouverte » (si seulement !), mais qui ne se fondent jamais que sur la tradition (voir plus haut) ou la conviction, pour ne pas dire la foi, pour ne pas dire les préjugés. On me les a promis, les arguments pertinents contre le mariage gay. Je les attends toujours… Dès lors, si rien ne vient légitimer une différence de traitement, et si l’égalité est bien un de nos principes fondamentaux (je l’espère, du moins…), j’aurais presque envie de dire que la question ne se pose même pas (ou qu’idéalement elle ne devrait pas se poser) : bien sûr, que les homosexuels doivent obtenir le droit de se marier ; rien ne saurait l’interdire valablement, et c’est notre droit, de même que l’état de notre société, qui viennent l’exiger.
L’état de notre société, oui. Il y a une chose qui me sidère, dans ce débat (aha), c’est l’impression que donnent les opposants au mariage gay (faut-il vraiment parler de cet ultime con de Dassault ?) que l’ouverture du droit au mariage aux homosexuels « multipliera » l’homosexualité. C’est d’une stupidité sans nom. Déjà, j’aurais envie de dire : et quand bien même ? mais cela reviendrait sans doute à faire leur jeu. Essayons d’ôter leurs œillères : mariage ou pas mariage, les couples homosexuels existent (heureusement) déjà, et ce n’est pas cette modification législative qui va augmenter leur nombre ; il faudrait vraiment être le dernier des niais pour le croire.
De même, les familles homoparentales existent déjà. Et, ici, je dois confesser avoir évolué sur cette question. Longtemps – parce que, contrairement à ce que d’aucuns prétendent, ce n’est pas comme si le débat (aha) venait tout juste de débarquer : en France, on en cause minimum depuis le pacs… –, longtemps, donc, si je n’avais aucune hésitation en ce qui concerne le mariage gay, j’étais plus réservé à l’égard de la filiation, et donc ici essentiellement l’adoption. Parce qu’il me semblait – et, à certains égards, c’est toujours le cas – que, dans ce cas précis, ce n’est cette fois pas une question d’égalité de droits qui se pose : je ne considère pas l’enfant comme un droit, voilà. Et c’est bien l’intérêt de l’enfant qui doit primer dans cette histoire. Aussi avais-je quelques doutes… Je ne les ai plus. Tout simplement, donc, parce que les familles homoparentales existent déjà, et n’ont, une fois n’est pas coutume, pas attendu la loi pour exister (celle-ci a presque toujours un temps de retard) ; or, on n’a pas constaté de différences significatives dans le sort des enfants élevés par une famille homoparentale. Ici, c’est l’empirisme qui parle, et, du coup, là encore, les prétendus arguments des opposants (on retrouve inévitablement ce stupide « contre-nature ») ne tiennent pas la route. J’ai cru, un temps, que l’intérêt de l’enfant pouvait justifier ici une différence de traitement ; mais le simple fait de regarder un peu ce qui se passait autour de moi a suffi à me convaincre que cette exclusion n’était pas plus légitime que celle concernant le mariage (même si, donc, je ne la fonderais pas cette fois sur l’égalité de droits). J’ajouterais qu’à l’heure actuelle, on ne compte pas les familles monoparentales, et que, du coup, faire péter le scandale au nom du ridicule « un papa, une maman » est d’autant plus stupide. Et comme le disait une pancarte qu’on a vu circuler dans les manifestations et sur les réseaux sociaux, « Mieux vaut avoir deux mamans [ou deux papas, d’ailleurs] qu’un père et une mère homophobes ».
Parce que, en définitive, c’est bien l’homophobie, quoi qu’en disent les principaux intéressés, l’aberrant Mgr Vingt-Trois en tête, qui fonde l’hostilité au mariage gay. Un préjugé qui vaut bien le racisme et toutes les autres formes de haines communautaires. Fut un temps, après tout, où l’on considérait que l’union, disons d’un Noir et d’une Blanche, mais vous pouvez varier les exemples, était « contre-nature » ; qui oserait le prétendre aujourd’hui, à part les derniers des fafs ? Imaginerait-on des manifestations contre le mariage interracial dans la France de 2012 ? Imaginerait-on même le simple fait de se poser la question ? Me semble bien que non, et c’est tant mieux (j’ai beaucoup de raisons de désespérer de l’humanité en général et des Français en particulier, mais pas sur ce point). Or c’est la même chose en ce qui concerne le mariage homosexuel… La vérité, c’est que, dans cette affaire, les opposants, les manifestants au premier chef, ne font qu’étaler leurs préjugés au grand jour. Et on peut légitimement se demander pourquoi : après tout, ce n’est pas comme si on les obligeait eux à se marier avec quelqu’un du même sexe ! C’est comme s’ils avaient le sentiment terrorisé que légitimer juridiquement l’union homosexuelle reviendrait à leur caler une grosse bite dans le cul. Ben non. On peut trouver ça dommage, en même temps : y en a, ça leur ferait du bien…
Dès lors, le mariage homosexuel, de même que la filiation homoparentale, me paraissent non seulement justes, mais nécessaires. Et, pour ma part, je ne tolèrerai pas de la part du gouvernement de reculade à cet égard. Disons les choses : j’ai, par défaut mais j’assume, voté François Hollande aux deux tours de l’élection présidentielle. D’une part, parce qu’il était moins pire que Naboléon ; d’autre part, non pour des raisons de politique économique (j’ai tendance à croire qu’à l’heure actuelle il est difficile, voire impossible, pour un gouvernement réformiste de se montrer efficace en la matière), mais pour les réformes sociétales que l’on était en droit d’en attendre. Le mariage gay en est une, et non des moindres. Et quand j’ai entendu notre cher président parler de la « liberté de conscience » des maires en la matière, j’ai sauté au plafond, et trouver ça parfaitement scandaleux. Vous me direz – on me l’a dit – que cela ne change pas grand-chose, un maire n’étant jamais obligé de célébrer lui-même le mariage. Sauf qu’il y a le contexte – balancer ça après les manifs, et notamment celle des connards de Civitas, c’était d’une maladresse achevée – et le symbole – or les symboles ont une importance considérable en politique. Parlerait-on de « liberté de conscience » pour un maire qui refuserait de célébrer un mariage entre un Noir et une Blanche ? J’espère bien que non ! Employer ce terme de la sorte, c’est procéder, dans un sens, au même détournement qui nous a vus, ces dernières années, souiller la belle notion de laïcité… Et le droit doit bien être le même pour tous. Montesquieu disait du juge qu’il devait être « la bouche de la loi » ; il en va à mon sens de même de tous les agents publics, qui n’ont pas à opposer leur « conscience » (un bien grand mot !) au droit français, sauf cas extrêmes – en l’occurrence, le commandement d’une autorité supérieure, comme les droits de l’homme.
Dernier point, qui a suscité cet article. On m’a donc dit, je cite : « tu penses pas que ce qui se passe en Palestine occupée est autrement plus important que le mariage gay ? » Et j’avouerai, cher(s) ami(s), que ça m’a énervé. Bien sûr que ce qui se passe en Palestine (ou en Syrie, ou ailleurs, les exemples ne manquent hélas pas) est d’une gravité extrême, et, si l’on y tient, « plus important ». Sauf que, à raisonner de la sorte, on n’en branle pas une : il y a TOUJOURS « plus important » ou « plus grave » ; est-ce une raison valable pour laisser de côté les autres questions ? Bon sang, j’espère bien que non ! D’autant que là, dans cette espèce, il est possible d’agir : le mariage gay est à portée de main, certainement pas la fin du conflit israélo-palestinien. Alors inutile de me parler de ça, ou, pire encore (et hélas on a vu ça, essentiellement dans les rangs de la droite), de la « crise », pour justifier un certain dédain pour cette question, et me détourner de mon engagement. Désolé, les gens, mais c’est pas la bonne méthode ; ça ne marchera pas.
Alors j’attends toujours les arguments des opposants. En attendant, malgré Dassault, malgré Vingt-Trois, malgré Civitas (ou à cause d’eux…), mais aussi malgré Hollande, malgré la « crise » et malgré la Palestine, je continuerai, avec mes maigres moyens, de m’engager en faveur du mariage gay.
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