"Quién es ?", de Sébastien Doubinsky
DOUBINSKY (Sébastien), Quién es ?, Paris, Gallimard – Joëlle Losfeld, coll. Littérature française, 2010, 82 p.
« Western Summer », suite, mais avec un auteur français cette fois, même s’il vit au Danemark et écrit également en anglais (c’est pénible, les surdoués). Là encore, il y eut une intense propagande en faveur de Sébastien Doubinsky, mais je n’avais pas encore trouvé d’occasion de le lire. C’est désormais chose faite, avec ce très court roman (cette novella, disons) qui s’inscrit en plein dans mon cycle de lecture estival.
« Qui est-ce ? » Eh bien, non, pour une fois, ce n’est pas le plombier (pardon), mais bien plus probablement Pat Garrett, dans la mesure où il s’agit là des dernières paroles de William Bonney, alias Henry McCarty, alias William Antrim, alias Billy the Kid. Vingt ans, probablement pas toutes ses dents, mais déjà une légende de l’Ouest, une des plus fameuses et fascinantes, sans doute. Billy the Kid, c’est Rimbaud ou Saint-Just avec une Winchester 73, qui traverse l’histoire héroïque et mythique de l’Ouest à la vitesse d’une balle, ce qui suffit amplement pour laisser son empreinte (sanguinolente, comme de juste).
Et, sous la plume inspirée de Sébastien Doubinsky, Billy the Kid se livre. Quién es ? est un monologue, autant dire une confession (à qui ? c’est l’évidence même, mais ne dévoilons pas la fin ici, ce serait mal…). Dans les dernières heures précédant son destin tragique, Billy balance tout ce qu’il a sur le cœur, le bâtard. Et il tourne et vire autour de la notion de commencement, quand c’est bel et bien la fin qui s’approche. Car il faut bien que les choses aient un début. Pour Billy, ce ne fut pas sa naissance de père inconnu et d’une mère qui l’a abandonné, du moins il ne le croit pas ; ce ne fut pas non plus la première fois qu’il a volé du bétail, ou encore la première fois qu’il a tiré sur des boîtes de conserve avec un pistolet ou une carabine, mais bien plutôt quand la brute Windy Cahill a posé sa lourde main sur son épaule à la cantina. Il faut dire que, comme on le lui avait souvent dit, Billy cherche les emmerdes – même si lui pense plutôt que ce sont les emmerdes qui le cherchent.
Et, en confessant tant bien que mal, après moult détours, ce commencement, c’est au final – vraiment final – toute sa courte vie que Billy balaye du regard. Une vie tumultueuse, celle d’un outlaw qui se prend pour un justicier, même s’il n’a rien d’un Robin des Bois. Un desperado, plutôt, donc. Un voleur, oui, mais pas de banques ou de chemin de fer (c’est vulgaire, et il y a des innocents dans les parages). Un tueur, mais pas sans raison, quand bien même la raison peut être mauvaise. Un fils de pute, oui, mais qui trace sa route contre vents et marées, en s’affirmant pour ce qu’il est au-delà de ses identités multiples. « There is honor among thieves », comme c’est qu’on dit, et Billy n’en doute pas un seul instant, lui qui voue un attachement sans faille à ses compadres, à ses Regulators, et n’hésite pas à faire dans la vengeance froide pour dénoncer les exactions de tel shérif, puisque le gouverneur n’agit pas. Oui, Billy rêve de « justice »…
Mais ce Billy-là n’a peut-être pas grand-chose à voir avec la réalité historique de l’outlaw, et bien plus avec sa légende outrée. Pas un hasard, sans doute si, dans Quién es ?, malgré la menace qui pointe toujours pour le lâche auditeur de se faire descendre, même dans le dos, malgré l’alcool dont on suppose l’orateur imbibé plus que de raison, sinon de coutume, le fait est que Billy se montre philosophe, et poète. Je reprends mon Rimbaud où je l’avais laissé tout à l’heure (hop) : le bâtard armé, en tournant autour du pot, s’arrêtant longuement sur le geste fatal de Windy Cahill, s’interroge sur le sens de la vie – sa vie, mais celle des autres aussi, celles des amis morts au combat, celles des salauds qu’il a lui-même abattus en représailles ; et, si son discours est nécessairement décousu, il ne manque pas pour autant de grâce comme de lucidité, celles d’un poète forcément voyant. L’étoile filante de l’Ouest, dans sa confession, se livre à une réflexion complexe, dépassant les seuls moyens que sa maigre éducation a pu lui fournir. Il n’est sans doute pas très crédible, non – mais il est néanmoins vivant, il incarne quelque chose : sa propre légende, dont il a conscience.
On ne fera pas de Quién es ? un incontournable du genre – d’autant que, d’un point de vue bêtement matériel, c’est quand même bien bref et bien cher… Mais c’est néanmoins un petit livre original, bien vu même si guère crédible (peu importe), et qui se lit avec un plaisir constant et un art consommé du suspense, au sens où l’on sait ce qui va se produire, on sait ce qui va se passer avec Windy Cahill, on sait que Pat Garrett attend dans l’ombre, mais on veut quand même lire les choses, pour en avoir la certitude et se délecter de la plume de l’auteur. Ce qui n’est pas rien, et est même assez remarquable.
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