"Regards sur l'édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005)", de Bertrand Legendre & Corinne Abensour
LEGENDRE (Bertrand) & ABENSOUR (Corinne), Regards sur l’édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005), avant-propos de Philippe Chantepie et Benoit Yvert, Paris, La Documentation française – Ministère de la Culture et de la Communication, DDAI, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), coll. Questions de culture, 2007, 125 p.
Voilà bien un bouquin qu’il s’annonce pas facile à chroniquer, ma bonne dame, à l’instar de son frère jumeau Regards sur l’édition, I. Les petits éditeurs. Situations et perspectives, dont je vous ai néanmoins parlé il y a peu. L’exercice doit pourtant être réalisable, puisque les deux ouvrages faisaient partie, ensemble, de la bibliographie dans laquelle les candidats au Master 2 « Politiques éditoriales » de Villetaneuse étaient amenés à piocher pour réaliser leur fiches de lecture pour le dossier de candidature. Et pour cause, peut-être, dans la mesure où Bertrand Legendre, docteur en sciences de l’information et de la communication et maître de conférence à Paris XIII Nord, dirige ce Master, tandis que Corinne Abensour, qui a les mêmes titres et est en outre agrégée de lettres modernes, y enseigne.
Seulement voilà le problème : comment synthétiser ce qui constitue déjà à la base une synthèse ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec cette étude commandée aux auteurs par le Ministère de la Culture et de la Communication (j’arrête là le quasi copier-coller, eh eh…), étude réalisée à partir de trois sources principales : les annuaires professionnels de Livres Hebdo publiés entre 1988 et 2005 (essentiellement), une analyse systématique de la presse professionnelle pour la même période, et, enfin, une série d’entretiens réalisés auprès d’un échantillon de 26 maisons d’édition jugées représentatives et sur lesquelles l’étude, hors données statistiques, s’attarde plus particulièrement (Aubéron, Bleu autour, Les Cahiers du temps, Cairn, Cassini, Le Castor astral, La Compagnie créative, Le Coq à l’âne, Cornélius, Desjonquères, L’Esprit des péninsules, La Fosse aux ours, Fremok, Gaïa, Jasmin, Maxima, Joca Seria, L’Œil, Petit à Petit, Phaïdon France, Plume, Le Pommier, Le Point du jour, Les Presses du réel, Sciences humaines éditions, Sabine Wespieser éditeur). Il s’agit en outre de comparer les données obtenues pour les années 1988-2005 avec celles des années 1974-1988, que l’on trouvait dans une précédente étude (cf. Jean-Marie Bouvaist & Jean-Guy Boin, Du printemps des éditeurs à l’âge de raison, les nouveaux éditeurs en France, 1974-1988).
Le premier chapitre, consacré au profil des nouveaux éditeurs entre 1988 et 2005, est donc entièrement consacré aux données statistiques, riche en tableaux, et sans surprise d’une lecture très aride. Très difficile à synthétiser pour le coup… On peut néanmoins en tirer quelques enseignements : la baisse régulière du nombre de créations de maison d’éditions sur la période 1988-2005, l’augmentation parallèle du taux de mortalité des maison d’édition ; plus de 80 % des maisons créées et disparues entre 1988 et 2005 n’ont pas dépassé le cap des dix ans ; les maisons à faible catalogue sont celles qui disparaissent le plus facilement, etc. Et il reste encore bien d’autres données, concernant la production annuelle (un programme éditorial fourni est un gage de survie), les effectifs des maisons, leur localisation, leurs spécialités, leurs modes de diffusion, leurs modes de distribution (j’ai toujours un peu de mal à faire la distinction entre les deux, crétin de moi…), etc.
Une première annexe, consacrée aux nouveaux éditeurs de jeunesse (pp. 105-110), nous montrera mieux quel genre d’enseignements l’on peut tirer de semblable étude (p. 105) :
« Ce portrait permet de constater notamment que :
« – à la différence de ce que l’on observe sur l’ensemble de la production éditoriale, il y a équilibre des implantations géographiques entre Paris (qui ne représente que 50 % des implantations) et le reste du pays ;
« – certains ont, en plus de l’activité jeunesse, une grande variété d’autres publications, autant en littérature, qu’en sciences humaines, ou beaux livres. Parmi les autres spécialités, 27 % d’entre eux développent aussi la spécialité histoire ;
« – leur catalogue est plus étoffé que celui de la moyenne des autres éditeurs et le nombre de leurs publications par an plus soutenu ;
« – le taux de survie est de 63 %, alors qu’il n’est que de 51 % pour l’ensemble de l’activité éditoriale ;
« – par contre, en ce qui concerne l’auto-diffusion et la dispersion des diffuseurs, la situation des éditeurs de jeunesse est semblable aux résultats d’ensemble de la filière. »
On met ensuite les tableaux de côté pour les deux chapitres suivants, qui sont davantage des études « qualitatives ». Commençons par le chapitre deux, qui porte sur les politiques éditoriales et les modes de fonctionnement des nouveaux éditeurs. On s’intéresse tout d’abord au profil des créateurs, en distinguant des professionnels du livre, des professionnels venus d’une activité proche de la spécialité choisie (par exemple un mathématicien pour Cassini), et enfin des autodidactes passionnés. Après quoi l’on se penche sur le catalogue et les choix éditoriaux, puis sur les intentions éditoriales au moment de la création et sur les évolutions du projet. On s’intéresse ensuite au fonctionnement des nouvelles maisons d’éditions, en en distinguant quatre types : les éditeurs indépendants, des structures légères dont la fragilité initiale est difficile à dépasser ; les départements éditoriaux d’entreprises existantes (une revue, un conseil régional, un centre d’art contemporain…) ; les antennes françaises d’éditeurs étrangers ; et enfin les maisons conçues pour un développement rapides (exemples : TF1 édition en 1988, ou NRJ fréquence livre en 1989...). On s’intéresse ensuite aux politiques d’auteurs, avant d’accorder un long développement aux « éditeurs régionalistes » et aux « éditeurs en région » (en notant que pour les premiers la dimension militante n’est plus aussi marquée qu’elle a pu l’être).
Le chapitre 3 s’intitule « Les nouveaux éditeurs et le marché » (p. 71). Il s’agit tout d’abord de se pencher sur les politiques de diffusion et de distribution. On note que le contexte s’est durci durant la période 1988-2005. Il y a eu des tentatives multiples pour mettre en place de nouveaux modes de diffusion, mais aussi une succession de crises. Domine généralement un modèle économique minimaliste. Plusieurs initiatives, parallèlement, ont visé à grouper les éditeurs. Mais se pose la question du développement des nouvelles structures éditoriales… encore que certains refusent tout simplement de se la poser. Pour les autres, il y a le problème d’un effet de seuil : ces maisons sont petites, récentes et indépendantes, et craignent de perdre cette indépendance en se développant. Mais il y a en même temps une exigence accrue, qui ne leur facilite pas forcément la tâche. Le développement peut se faire de diverses manières : je ne m’attarderai pas sur le cas « de la revue aux livres », célèbre (pensez à la NRF...), mais qui me paraît à la limite du hors-sujet ; plus intéressants, la diversification des spécialités, la diversification des supports, et le développement par l’international. Mais la grande question reste bien celle de l’indépendance…
Le tableau n’est pas forcément très souriant pour les nouveaux éditeurs. Certes, l’informatique et Internet semblent leur faciliter la tâche, mais la concurrence est rude, et le taux de mortalité élevé… L’étude de Bertrand Legendre et Corinne Abensour, s’il s’agit bien d’une lecture assez aride (on s’en doutait un peu, remarquez…), particulièrement dans sa partie purement statistique, est riche d’enseignements dignes d’être pris en considération, et soulève nombre de questions intéressantes.
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