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"Roma Mater", de Poul & Karen Anderson

Publié le par Nébal

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ANDERSON (Poul & Karen), Roma Mater. Le Roi d’Ys, 1, [The King of Ys – Roma Mater], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Daniel Brèque, Paris, Calmann-Lévy – LGF, coll. Le Livre de poche Fantasy, [1986, 2006] 2009, 566 p.

 

Si Poul Anderson est probablement surtout connu pour ses récits de science-fiction, il ne s’est cependant pas limité à ce seul genre, loin de là, et a commis quelques merveilles en fantasy – à vrai dire, même sa science-fiction, touchant plus qu’à son tour à l’histoire et au mythe, en a parfois la saveur. Et dans cette production sans boulons, pour reprendre le célèbre mot de Terry Pratchett, une place particulière doit être attribuée, sans doute, au grand cycle qu’il a écrit avec son épouse Karen, consacré à la cité mythique d’Ys.

 

Allons bon.

 

Ys.

 

Ys !

 

Malgré ma haine viscérale de la Bretagne et des Bretons, je ne pouvais pas décemment passer à côté de ça. D’autant que – ça remonte, hein – la lecture d’Orphée aux étoiles de Jean-Daniel Brèque avait aiguillé mon intérêt sur la fantasy andersonienne, et tout particulièrement sur ce cycle tardif. Le prochain Bifrost étant consacré à Poul Anderson, c’est tout naturellement que je me suis proposé pour traiter de cette œuvre qui m’intriguait fort… et ce en dépit de son triste parcours éditorial français : en effet, seul les deux premiers tomes en ont été traduits, les deux derniers restant inédits dans la langue de (ce con de) Molière, et ça risque à vue de nez de rester un bon moment comme ça… Dommage, tout de même. Oui, dommage ; car je peux d’ores et déjà le dire : à la lecture, du moins, de ce premier tome qu’est Roma Mater, « Le Roi d’Ys », c’est de la bonne. Et même de la très bonne.

 

Notamment du fait d’un cadre brillant, et extrêmement documenté (nombreuses notes en fin de volume ; parfois très intéressantes, certes, mais j’avoue ne pas les avoir toutes lues, tant cela vient rompre le rythme de lecture…). Nous sommes en effet à la lisière de l’Antiquité et du Moyen-Âge : Rome est sur le point de tomber. La pax romana n’est plus qu’un lointain souvenir enjolivé. Les débris de l’Empire sont scindés en Orient et Occident (au mieux). Les barbares sont aux portes, et les franchissent allègrement quand l’envie leur en prend. Quant aux vieilles religions, elles tombent sous les coups de boutoir aussi geignards qu’intolérants des sectateurs du Christ.

 

D’où Gratillonius. Centurion romain, il combat sur le mur d’Hadrien, contre les Scots et les Pictes. Adepte de Mithra, dont le culte est persécuté, il est assurément une relique d’un autre temps. Mais la mission que va lui confier son général Maxime, bien décidé à devenir Empereur, va le conduire hors du temps. En effet, la guerre civile que projette ledit Maxime ne saurait être envisagée à la légère, et il a besoin d’hommes de confiance pour maintenir le calme, si ce n’est forcément provoquer l’adhésion, dans les principales régions de Bretagne et de Gaule.

 

Et c’est pourquoi Maxime envoie Gratillonius à Ys, à la pointe de l’Armorique. Ys ! Cité de fantasmes, à demi cachée, « oubliée » par la chronique, et sur laquelle courent bon nombre de légendes… Gratillonius se rend donc sur place pour y voir de plus près, et s’assurer la neutralité bienveillante de l’ancienne colonie carthaginoise.

 

Mais, à peine arrivé sur place, la tradition ysane s’empare de Gratillonius pour chambouler son destin. Les Gallicenae, les neuf sorcières épouses du Roi d’Ys, le cruel Celte Colconor, ont manipulé celui-ci pour qu’il provoque en duel le centurion au Bois du Roi. Gratillonius l’emporte… et la tradition veut dès lors qu’il devienne à son tour le Roi d’Ys ! Hop, il épouse les Gallicenae, et accepte le titre (en refusant le symbole de la couronne, prohibé par Mithra). Et découvre ainsi tout un univers fascinant, aux us et coutumes très particuliers.

 

La double allégeance de Gratillonius, envers Rome et désormais envers Ys, ne facilite pas nécessairement les choses… pas plus que son culte de Mithra, dont on peut craindre qu’il entrave quelque peu sa dévotion envers les trois protecteurs de la cité, Taranis, Bélisama et Lir, s’il ne la prohibe pas.

 

Or le centurion compte bien user de ce statut imprévu pour remplir à bien sa mission, notamment en repoussant, par la magie et par l’épée, une offensive des Scots sur le Liger. En résulte une malédiction, dont on connaît bien l’issue… mais ceci est une autre histoire.

 

Ce premier tome nous emmène donc à la suite de Gratillonius, du Mur en Bretagne à la cité armoricaine d’Ys ; il s’achève avec la naissance tragique de Dahut, dont on devine l’importance cruciale pour la suite. Et il est passionnant de bout en bout.

 

On ne peut pas dire, pourtant, que l’action soit le maître-mot de Roma Mater ; à vrai dire, si l’on excepte le duel avec Colconor et la bataille contre les Scots, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent en la matière… Mais peu importe, tant la description de cet univers en bout de course est poignante et entraînante. Le cadre superbement détaillé est donc un atout majeur de ce premier volume du « Roi d’Ys ». La complexité du personnage de Gratillonius en est un autre. Si l’on y ajoute les délicieuses manœuvres politiques des Gallicenae et autres notables ysans, on a d’autant plus de quoi se régaler. Reste une dimension qui est loin d’être négligeable : la dimension sentimentale, voire érotique, dès lors que l’on traite des rapports du Roi d’Ys avec ses neuf reines. Ce qui pourrait faire peur à vue de nez, mais les deux auteurs manient fort adroitement le thème.

 

Aussi ce tome introductif est-il pleinement une réussite. Le livre a beau être assez volumineux, les références ont beau être nombreuses et complexes, on se passionne pour ce mythe très particulier, reconstitué avec adresse et passion par Poul et Karen Anderson, qui ont su accorder la place nécessaire au hors-champ pour que le cœur de l’intrigue n’en ressorte que mieux. Un modèle de conception, du coup, qui ne peut que susciter l’enthousiasme du lecteur avide d’excellence en matière de fantasy.

 

On a même envie de poursuivre le travail, en en apprenant plus de son côté… Cependant, même si je connais déjà en gros le fin mot de l’histoire, je préfère ne pas me spoiler indûment, et laisser la priorité au beau récit de Poul et Karen Anderson.

 

Suite au prochain épisode, donc : Les Neuf Sorcières.

CITRIQ

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E
Je le note, merci !
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N
<br /> <br /> Bah de rien, hein.<br /> <br /> <br /> <br />