"Roméo et Juliette", de William Shakespeare
SHAKESPEARE (William), Roméo et Juliette, traduction [de l’anglais] de François-Victor Hugo, préface de Marc-Henri Arfeux, Paris, Pocket, coll. Classiques à petit prix, [1594-1595, 1860, 2005] 2010, 134 p.
(Bon, autant vous prévenir, j’ai à moitié la crève, donc ça s’annonce pas facile…)
Nébal n’est pas seulement un con, c’est aussi un ignare. Figurez-vous que je n’avais jusqu’à présent jamais lu la moindre pièce de Shakespeare. Je dis bien : « lu », car il m’avait par contre été donné d’en voir un certain nombre d’adaptations cinématographiques diverses et variées, plus ou moins fidèles et de plus ou moins bon goût (j’avais d’ailleurs eu l’occasion, en ces pages, de vous causer du brillant Macbeth d’Orson Welles). Mais lire Shakespeare, ben, étrangement, non. Et, tout aussi étrangement (…), il se trouve donc que j’entame ma découverte de l’œuvre du Barde avec une de ses pièces les plus célèbres, mais probablement pas pour les bonnes raisons, à savoir Roméo et Juliette.
Ah, Roméo et Juliette… L’Amûûûûûûûûûr, avec un « A » tellement majuscule qu’il vient étouffer toute autre considération… Tout le monde connaît les amants de Vérone et leur (putain de) balcon. On a fait de cette histoire, ainsi que le note Marc-Henri Arfeux dans sa préface (par ailleurs un peu condescendante et s’adressant à un supposé « jeune lecteur »), le type idéal de l’histoire « romantique ». Les guillemets s’imposent ; parce que ce « romantisme »-là n’a pas grand-chose à voir avec le vrai romantisme, largement postérieur, torrents de larmes mis à part : là, on parle plutôt du « romantisme » fade et cucul-la-praline – encore plus postérieur, certes – des barbaracartlanderies, harlequinades, dellys et autres comédies dites « romantiques ».
Or, Roméo et Juliette, ben, en fait, c’est pas ça du tout.
Je vous rassure : Roméo et Juliette s’aiment bien d’un Amûûûûûûr majuscule, on pleure beaucoup, ça finit mal (enfin… bon, voir plus bas). Mais il y a bien plus dans cette pièce qu’une histoire d’amour (j’ai failli écrire « vulgaire ») destinée à faire se pâmer la ménagère. Et avant d’être une histoire d’amour, Roméo et Juliette est une histoire de haine : celle qui oppose deux lignages, les Capulet et les Montaigu (rendus ici en Montague par la traduction – classique – de François-Victor Hugo).
La scène est à Vérone (pour l’essentiel ; il y aura dans le cinquième et dernier acte quelques séquences à Mantoue). La ville est déchirée par la haine que se vouent les deux maisons, brillamment mise en avant dès la première scène par Shakespeare… sous l’angle de la comédie satirique, n’hésitant pas à verser à l’occasion dans la grivoiserie. On le voit, on est bien loin, d’entrée de jeu, de la fadeur du « romantisme » aseptisé. Et on voit également là, immédiatement, tout ce qui fait le génie de Shakespeare, et que (cet imbécile de) Voltaire n’avait pas su apprécier : son don pour mêler des intervalles de comédie dans les tragédies les plus noires, notamment par le biais des personnages des valets (j’avais rapidement évoqué la question en traitant de The Castle of Otranto). Cette première scène est en effet hilarante, et pose d’emblée le vrai problème de la pièce : comment empêcher cette bande de jeunes crétins au sang chaud et obnubilés par le point d’honneur et les délires de la virilité de mettre Vérone à feu et à sang ? C’est sur cette question que se grefferont les amours de Roméo Montague et Juliette Capulet.
Roméo, dans un premier temps, n’a d’yeux que pour la chaste Rosaline, qui ne partage pas son amour ; aussi se languit-il… Ses amis décident alors de s’infiltrer avec lui, masqués, à la fête annuelle des Capulet pour qu’il y voie d’autres beautés et comprenne qu’il n’y a pas que Rosaline dans la vie, après tout. Mauvais calcul : Roméo rencontre ainsi Juliette, la fille de son ennemi mortel par le lignage, et en tombe éperdument amoureux. Mais cette fois, son amour est partagé… Avec la complicité de leur confesseur, le frère Laurence, qui y voit un moyen de sceller enfin la paix entre les deux maisons rivales, les deux tourtereaux, gentiment couillons (Roméo peut-être un peu plus que Juliette, à vrai dire) et un brin expéditifs, s’épousent en secret. Las, le même jour, (ce con de) Tybalt, de la maison de Capulet, commet l’irréparable, et Roméo le tue… Il est condamné au bannissement par le Prince. Capulet entend alors sauver sa fille, qui se répand en sanglots mal interprétés, en la mariant – de force – avec le comte Pâris. Le frère Laurence tente une complexe machination pour sauver le mariage secret… mais il en résulte une catastrophe, et, à la fin, tout le monde crève.
(Merde, j’ai pas dit « Spoiler »…)
Et c’est comme ça que les familles ennemies, en définitive, se réconcilient. Il aura fallu un drame atroce pour leur faire enfin ouvrir les yeux.
Bouhouhou, c’est triste…
Mais c’est beau, aussi. Et ça reste étonnement puissant, et d’une actualité certaine, plus de quatre siècles après sa composition. Justement parce que ce n’est pas vraiment l’histoire d’amour, en fin de compte, qui importe vraiment. Davantage que dans les pièces de Molière riches en mariages arrangés, celle-ci n’est qu’un symbole : celui d’une rébellion contre un ordre pré-établi, qui voudrait que le nom, le lignage, passe avant l’être, la personnalité, les actes. C’est ceci qui importe véritablement dans la célébrissime scène du balcon, ainsi que le note le préfacier, citations à l’appui. On peut, dès lors, trouver la conclusion finalement assez optimiste, en dépit des flots de larmes et de sang répandus… C’est en tout cas mon sentiment.
…
Bon, m’en reste plein à lire, moi. Pfff… Vais jamais y arriver…
Commenter cet article