"Rossz csillag alatt született", de Venetian Snares
VENETIAN SNARES, Rossz csillag alatt született.
Tracklist :
01 – Sikertelenseg
02 – Szerencsétlen
03 – Öngyilkos vasárnap
04 – Felbomlasztott mentokocsi
05 – Hajnal
06 – Galamb egyedül
07 – Második galamb
08 – Szamár madár
09 – Hiszékeny
10 – Kétsarkú mozgalom
11 – Senki dala
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Ici, en effet, je suis désolé, mais pour vous faire comprendre l’attachement tout particulier que je voue à cet album (de génie, of course), il va me falloir m’étaler un peu, et raconter un peu ma life, comme dirait l’autre. Mais les conditions très particulières de réalisation de cet album n’y sont sans doute pas étrangères, ainsi que nous allons le voir.
Mais commençons par le commencement. Venetian Snares est un des nombreux pseudonymes (on pourrait citer également BeeSnares, Last Step, Puff, Snares Man!, Ventriloquist Snakes, Senetian Vnares, Snares ou encore Vsnares – oui, le monsieur a de la suite dans les idées) du musicien canadien Aaron Funk. Celui-ci œuvre dans une branche de techno expérimentale assez difficile à classifier, même si, à la première écoute, on ne peut s’empêcher de penser à des artistes du label Warp tels que LFO, Aphex Twin ou Autechre. Alors on pourra parler de breakcore (semble-t-il l’appellation qui revient le plus souvent), d’IDM (mais, personnellement, je déteste cette désignation, que je trouve à la fois stupide et puante…), de drill’n’bass (ça, par contre, j’aime beaucoup ; et pour ma part, c’est ce que je retiendrai), plus simplement de drum’n’bass (après tout…), plus largement d’avant-garde (ce qui peut vouloir dire tout et n’importe quoi…), de noise si l’on y tient (mais bon, bof…), d’illbient à l’occasion… Mais, après tout, on s’en fout un peu, non ?
Contentons-nous ici de décrire ce qu’il en est pour cet album fascinant qu’est Rossz csillag alatt született (que l’on peut traduire par « Né sous une mauvaise étoile ») : la musique est essentiellement classique (néo-classique si l’on veut, éventuellement « contemporaine » sur certaines pistes – ainsi la deuxième), mais accompagnée de rythmiques très rapides, extrêmement syncopées et souvent violentes, le tout produisant un décalage assez unique en son genre qui fait toute la saveur de l’album. Vous vous souvenez, en son temps, de l’excellent « Girl / Boy Song » d’Aphex Twin ? Ben y’a un peu de ça, mais en plus extrémiste… et, généralement, beaucoup, beaucoup plus noir.
Où l’on en vient aux origines de l’album. Celui-ci trouverait son point de départ dans un voyage effectué par Aaron Funk en Hongrie (d’où les titres improçon… inço… imprononçables). Et d’un délire sur les pigeons. Après tout, pourquoi pas ? Mais aussi d’une variation (la troisième piste, comprenant par ailleurs des samples de Billie Holliday – l’album est bien évidemment gavé de samples, notamment de musique classique) sur une chanson hongroise que la légende urbaine rend responsable d’une multitude de suicides.
Et en effet, l’ambiance de cet album n’est guère joyeuse. De la première à la dernière piste, si l’on excepte quelques rares passages où la lumière montre le bout de son nez, ce sont néanmoins les sentiments d’oppression, de dépression, de claustrophobie et de psychose qui dominent.
J’ai pour ma part découvert cet album en deux temps. Et tout d’abord grâce à un ami très cher, qui vient de temps à autre en ces lieux interlopes, signant alors du nom de Bat-Aurèle. Le monsieur se disait que ça devrait me plaire, et ne s’est pas trompé, mazette… Dès la première écoute, je suis resté scotché.
Je passerai rapidement sur la brève introduction « Sikertelenseg » (« Échec »), dont le seul propos est d’annoncer la couleur (noire, noire, noire).
Mais ce qui m’a de suite fasciné, c’est la deuxième piste, l’extraordinaire « Szerencsétlen » (« Malchanceux »), morceau tellement bluffant que j’ai bien dû l’écouter dix fois de suite avant de passer au reste de l’album (au passage, j’aime beaucoup la vidéo dont je vous ai donné le lien, et il est vrai que la musique, de psychotique, peut aisément virer au cartoonesque, et, d’hystérique, devenir finalement assez drôle…).
… et en fait, je crois bien en être plus ou moins resté là pendant un moment.
…
Puis j’ai fait une rechute de dépression, ce qui m’a valu mon deuxième séjour en clinique. Et le hasard a voulu que, sur ma clé USB / baladeur mp3 de 256 Ko, se trouvaient alors uniquement deux albums : celui-ci et – ce qui n’a strictement rien à voir, mais je vous en parlerai quand même bientôt – Fantasy Black Channel de Late of the Pier.
Et je crois que c’est dans ces conditions bien particulières que j’ai vraiment découvert cet album, et son incommensurable richesse. Faut dire, je l’ai écouté au moins une fois par jour pendant un mois et demi…
Mais, du coup, plus récemment, quand j’ai à nouveau fait une rechute de dépression qui m’a valu un troisième séjour en clinique, et quand bien même, le progrès technologique aidant, j’avais cette fois un baladeur mp4 de 4 Go, je n’ai pas pu imaginer un seul instant retourner au Village sans avoir dans mes oreilles Rossz csillag alatt született et Fantasy Black Channel. Impossible. Il fallait que. Et c’est bien pour cela que je vous en cause aujourd’hui, et que je vais vous causer beaucoup de musique ces prochains jours, avant de revenir à la littérature.
Presque tous les jours, j’écoutais au moins quelques pistes de cet extraordinaire album de Venetian Snares, si ce n’était l’album en entier. Et, autant le dire tout de suite, j’ai bien acquis la conviction qu’il s’agit là d’un des albums majeurs de ces dernières années.
Poursuivons donc avec « Öngyilkos vasárnap » (« Dimanche suicidaire ») ; la voilà, la fameuse chanson du suicide. Tout ceci n’est guère joyeux, certes, mais pourtant, ce morceau finalement assez trip-hop est loin, à mes yeux, de constituer le moment le plus obscur et le plus rude de l’album – et certainement pas, soyons franc, et en dépit de la voix reconnaissable entre toutes de la grande Billie, son moment le plus intéressant.
« Felbomlasztott mentokocsi » (« Ambulance désintégrée »), une fois n’est pas coutume, est un morceau totalement dénué de rythmique. Une belle piste classique, à écouter impérativement au casque (ou la tête coincée entre les baffles) pour se faire délicieusement vriller le crâne à coup de perceuse violonée.
Avec « Hajnal » (« Aube »), on retourne (au bout d’un certain temps…) aux rythmiques folles, rassurez-vous. Un morceau étrange que celui-ci, qui prend son temps pour démarrer, débute classique (et violoneux virtuose, avec de faux airs tziganes), se poursuit étrangement jazzy, retourne au classique (un peu maladroitement, d’ailleurs…), puis – ah ! – le charley se fait entendre, ça monte, ça monte, et PAF ! une explosion drum’n’bass jubilatoire, avant un finale dantesque comme il se doit. Et en définitive, une réussite.
« Galamb egyedül » (« Pigeon, seul ») est à nouveau un court et obscur morceau dénué de rythmique. Pas grand chose à dire, il s’agit plus d’une transition qu’autre chose.
Il en va tout autrement de « Második galamb » (« Second pigeon »), qui, pour commencer sombre mais relativement calme, s’élève progressivement jusqu’à des sommets de fureur psychotique difficilement concevables ; la conclusion constituant un grand moment de portnawak bruitiste, jusqu’aux dernières secondes où un incongru kick gabber achèvera de terrasser les oreilles de vos voisins (tant pis pour eux). Ouf.
Puis on calme le jeu, mais de fort belle manière, avec le très très beau « Szamár madár » (« Stupide oiseau » ; tenez, une seconde vidéo ici, version courte mais avec un joli visuel) ; j’assume entièrement le « très très beau ». Il est vrai que, des morceaux « à rythmique » de Rossz csillag alatt született, et si l’on fait l’impasse sur la longue intro « contemporaine », celui-ci est sans conteste et de très très loin le plus facile d’accès ; pour tout autre artiste que Venetian Snares, j’entendrais déjà hurler les Intégristes du Bizarre, clamant leur écœurement devant ce sinistre éclat de « commerce » ; mais voilà, je les empapaoute en préventif. Parce que le fait est que c’est beau, oh, oui, c’est beau. Et c’est une porte d’accès idéale. Une manière douce d’initier les gens, de les amener à s’intéresser à ce genre de choses. Moi, ça me va très bien.
« Hiszékeny » (« Crédule »), de nouveau sans rythmique, est cette fois un morceau bien plus lumineux que tout ce qui a précédé, composé d’harmonies subtiles, et qui n’est pas sans évoquer la manière d’Aphex Twin. Un moment de calme avant la tempête, fort appréciable.
Car vient LE chef-d’œuvre, à mes oreilles en tout cas, à savoir « Kétsarkú mozgalom » (« Mouvement bipolaire », le bien nommé…). Un morceau extrêmement déprimant et en même temps très violent ; la mélodie est porté par un violon jouant à fond sur le pathos, les rythmiques sont plus complexes que jamais, les voix plus dépressives que tout ce que l’on pourrait imaginer. Un morceau parfait, de la première à la dernière note, et que j’ai fini par identifier à chacun de mes séjours en clinique. LE chef-d’œuvre, vous dis-je (même si j’ai mis du temps à le reconnaître, étant d’abord fasciné par « Szerencsétlen » et « Szamár madár »).
Et de conclure enfin sur une ultime note de noirceur et de déprime avec le bref et arythmique « Senki dala » (« Chanson de personne »). Non, décidément, tout cela n’est guère joyeux.
Mais, putain, qu’est-ce que c’était bon… Je me répète, je le sais, mais, pour moi, il ne fait aucun doute que Rossz csillag alatt született est un album majeur de ces dix dernières années. Un must have, comme on dit. Alors vous savez ce qu’il vous reste à faire. Et plus vite que ça. Hop.
…
Mais maintenant vient le temps des aveux.
…
Putain, j’ai honte.
…
Bon, voilà : j’aime tellement cet album, je le trouve tellement parfait, que je n’ai jamais osé écouter un autre album de Venetian Snares, de peur d’être déçu.
Je sais, c’est idiot.
J’ai écouté quelques pistes, par-ci, par-là, excellentes d’ailleurs, mais aucun album en entier.
Je sais, c’est crétin.
…
Le pire, c’est que j’en ai à portée de main.
…
Bon, allez, je vais me faire Winter In The Belly Of A Snake.
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