"Rouge gueule de bois", de Léo Henry
HENRY (Léo), Rouge gueule de bois. Derniers jours de Fredric Brown, [s.l.], La Volte, 2011.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 63 (pp. 81-83).
Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
EDIT : Hop :
On connaissait jusqu’à présent Léo Henry nouvelliste ; que ce soit en solo ou en collaboration avec son compère Jacques Mucchielli (Yama Loka Terminus, Bara Yogoï), on avait donc déjà pu prendre toute la mesure de son talent, très justement récompensé par un Grand Prix de l’Imaginaire. Avec Rouge gueule de bois, le voici aujourd’hui qui franchit le cap du premier roman ; mais – hasard ou pas – il en profite pour rendre hommage à un grand maître de la forme courte, justement, à savoir Fredric Brown.
Est-il vraiment nécessaire de présenter Fredric Brown aux lecteurs de Bifrost ? Probablement pas, mais bon, quelques mots pour la forme : le bonhomme a livré quelques classiques de la science-fiction, notamment – mais pas uniquement – humoristique, Martiens, go home ! en tête. Mais on lui doit aussi, outre L’Univers en folie, autre roman tout à fait recommandable, tout un ensemble de nouvelles, souvent très courtes – quelques lignes, éventuellement… –, parfois grivoises, toujours ou presque d’une efficacité remarquable. Mais Brown fut également un auteur de polars très apprécié, qui livra une œuvre abondante dans le genre, là encore tant en romans qu’en nouvelles (on pourrait citer par exemple La Fille de nulle part, qui n’est pas sans lien avec le livre qui nous intéresse).
Et, comme le titre du roman de Léo Henry le laisse entendre, il avait comme un problème avec l’alcool. On parlera donc beaucoup de boisson dans Rouge gueule de bois, les cuites s’enchaînant sur un train d’enfer. Mais on y parlera de bien des choses, tant, à vrai dire, que cela en rend toute tentative de résumé pour le moins hasardeuse – d’autant plus que la surprise fait partie intégrante de l’intérêt de la chose… Essayons tout de même.
Nous sommes en Arizona en 1965. C’est-à-dire ce fameux été qui vit Buzz Aldrin marcher sur la Lune (« Dans l’cul les communistes ! »). Fredric Brown n’écrit pas. Il n’écrit plus depuis un bon moment, d’ailleurs. La machine à écrire, c’est sa femme Elizabeth qui s’en sert, pour rédiger une improbable biographie de son supposé écrivain de mari – ou une autobiographie de femme de supposé écrivain, comme on voudra. Non, Fredric Brown passe plutôt ses journées à glandouiller, à jouer aux échecs, et à se pinter la gueule.
C’est ainsi qu’un jour, parti glandouiller en jouant aux échecs et en se pintant la gueule, il fait la rencontre incongrue du réalisateur français Roger Vadim (non, on ne le présentera pas). Les deux hommes jouent ensemble, boivent ensemble, parlent, aussi.
Ils parlent du crime parfait.
Et cette idée, de manière très insidieuse, fait son chemin dans le cerveau embrumé par les vapeurs éthyliques de l’écrivain. Il en vient à choisir de le commettre, ce crime parfait. Et, pour cela, il se rend à Taos, Nouveau-Mexique, requérir bien malgré lui les services de son sosie George Weaver.
Mais, évidemment, tout ne se passe pas comme prévu.
Sauf qu’ici, quand ça dérape, ça dérape vraiment.
Et Fredric Brown se retrouve bientôt contraint de trace la route à toute bringue en compagnie de ce bon vieux Vadim, lequel est en quête de sa dernière épouse en date Jane Fonda, et qui, ça tombe bien, aime autant la vitesse que les liqueurs fortes. Avec, dans le rétroviseur, tout un ramassis de cinglés armés jusqu’aux dents qui apparaissent tout de suite là maintenant beaucoup plus menaçants pour leur santé qu’une très éventuelle cirrhose dans les années à venir, à supposer qu’il en reste. Et on n’en dira pas plus, de crainte de gâcher le plaisir du lecteur…
« Road novel » totalement foutraque et jubilatoire, Rouge gueule de bois balade son lecteur d’un événement improbable à un autre tout aussi peu vraisemblable, et on en redemande. Cycle infernal de l’alcoolisme ! Sauf qu’ici, le garçon ne remet jamais la même chose. Léo Henry, dans ce court roman, fait preuve d’une imagination débridée, et sait toujours surprendre ses compagnons de route et de cuite. Et c’est drôle, infiniment drôle ; et finalement émouvant, aussi : de beaux portraits de personnages oscillant sans cesse entre médiocrité et stature « bigger than life », et une peinture de l’amitié qui vaut le détour…
Et c’est – sans surprise – magnifiquement écrit. Léo Henry est décidément une des plumes les plus intéressantes de l’imaginaire francophone, et sans doute cette classification est-elle encore trop restrictive (le bouquin est semble-t-il vendu comme un polar… déjanté, tout de même, le polar ! à vrai dire, on n’osera guère proposer de « genre » précis : c’est de la littérature « bizarre », « transfictionnelle » si l’on y tient). Son style imagé et sonore coule avec une aisance rare, et c’est tout juste si l’on peut lui reprocher à l’occasion – rare, l’occasion – quelques tics d’écriture, mais qui tiennent peut-être autant de la signature que du maniérisme.
Sous le couvert d’une pochade, Léo Henry livre donc un petit bijou d’écriture, loin d’être aussi crétin qu’il n’y paraît, et qui ne peut que susciter l’enthousiasme. Une vraie réussite que ce premier roman.
Finalement, on n’a en effet pas grand-chose à lui reprocher… si ce n’est, peut-être, d’avoir gaspillé des pages et de l’encre pour un long – très long – index pas forcément nécessaire, quand bien même il autorise quelques blaguounettes supplémentaires et, surtout, contient les recettes des fameux cocktails de Brown et Vadim. À ne pas manquer, par contre, le « Vade mecum » en fin de volume, ensemble de citations et notes de voyage : une conclusion superbe, sur un ton plus sérieux, qui achève de confirmer tout le bien que l’on pense de Léo Henry.
Commenter cet article