"Singulier Pluriel", de Lucas Moreno
MORENO (Lucas), Singulier Pluriel, Vevey, Hélice Hélas, 2012, 227 p.
Après Vincent Gessler et Laurence Suhner (entre autres : je n’évoque ici que ceux qui ont écumé récemment ces pages interlopes), voilà-t-y pas que Lucas Moreno rejoint à son tour le Complot Suisse pour la Domination de la SF Francophone. Lucas Moreno, on s’en souvient notamment pour feu Utopod. Mais il a également commis quelques nouvelles ces dernières années, compilées dans le présent recueil publié par un éditeur au nom chelou. J’en avais pour ma part déjà lu trois, l’une dans Dimension Suisse et les deux autres dans Bifrost, et, ma foi, c’était plutôt convaincant. De là à lire ce court (très court, en fait) volume, il n’y avait qu’un pas, vite franchi.
Adonc. Singulier Pluriel, le premier livre de l’auteur, comprend neuf des dix nouvelles qu’il a publiées à ce jour. Ce qui peut faire un peu peur : on peut en effet craindre que tout cela flirte un peu trop avec l’amateurisme, certes rafraîchissant et enthousiaste, mais bon, quand même ; un recueil, c’est (ou cela devrait être) plus que la somme des nouvelles qui le composent, il ne suffit pas d’atteindre un certain quota pour que le recueil puisse sortir. Et, en effet, Singulier Pluriel, recueil le cul entre deux chaises, donne davantage une impression un brin fâcheuse de dispersion plutôt que celle, louable, de l’éclectisme. Ce qui se traduit dans les faits par deux parties : la première, comprenant cinq nouvelles, fait dans le fantastique et l’horreur (grosso merdo) ; la seconde, avec quatre nouvelles (dont les trois que je connaissais déjà…), est résolument SF, et, à mon sens, plus convaincante.
Commençons donc par les nouvelles « fantastiques ». Ça commence plutôt bien avec « Singulier Pluriel » (donc), nouvelle sur un étrange voisinage qui n’est pas sans évoquer Rosemary’s Baby mâtiné de Society. « Le Meilleur’ Ville dou monde », qui suit immédiatement, témoigne d’obsessions assez similaires, et fonctionne également plutôt bien. La plume de Lucas Moreno est assez agréable, sait éviter les lourdeurs et maladresses si communes aux débutants, les personnages sont bons, l’ambiance aussi. Rien de transcendant, n’exagérons rien, mais ça se lit bien. Mieux, sans doute, que « Shacham », dont le préambule fait un peu peur, même si la suite est plus intéressante (le cadre himalayen y est pour beaucoup). « Dellamorte Dellamore » (bah oui, comme le chouette film de Michele Soavi) est également très correcte, avec sa femme qui ne cesse de revenir d’entre les morts. Le polar fantastique « Comme au premier jour » convainc un peu moins (et sent un peu le réchauffé). Bilan de cette première partie : c’est du correct. Rien d’exceptionnel, mais, disons, moyen +.
La partie SF est à mon sens plus réussie. Je vous avais déjà dit tout le bien que je pensais de « L’Autre Moi » en traitant de Dimension Suisse, il me paraît donc inutile d’y revenir ici. Suit « Demain les eidolies », déjà lue dans Bifrost, et qui m’avait fait une forte impression. Cette histoire de « maïeutique de surface », avec en outre des éléments dickiens et d’autres relevant d’une science-fiction plus classique, me paraît constituer le meilleur du recueil : c’est irréprochable. « Trouver les mots », la seule des nouvelles de SF que je n’avais pas lues, est également assez séduisante : une SF sombre et désenchantée, qui m’a fait penser au Quinzinzinzili de Régis Messac (l’humour en moins). Et le recueil de se conclure sur une autre nouvelle bifrostienne avec « PV » et son jardin d’Eden truqué. L’impression globale ? Moyen ++, voire bon. Pas encore tout à fait ça, mais pas mal.
Au final, avec Singulier Pluriel, Lucas Moreno nous livre un court bilan de sa production passée, qui se dévore d’une traite (le livre se lit en quelques heures à peine), et séduit plus qu’à son tour. Sans jamais convaincre pleinement, certes – toujours, de temps à autre, cette impression d’amateurisme –, mais ça n’en fait pas moins une lecture dans l’ensemble plutôt recommandable, et surtout un témoignage éloquent des capacités latentes de l’auteur, que l’on qualifiera selon l’usage de prometteur. Et c’est déjà bien.
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