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"Surface de la planète", de Daniel Drode

Publié le par Nébal

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DRODE (Daniel), Surface de la planète, Paris, Hachette, coll. Le Rayon fantastique, 1959, 254 p.

 

Où l’on continue la découverte des classiques de la science-fiction française de la période 1950-1980, avec ce livre rare (deux éditions seulement, sauf erreur) qui me faisait de l’œil depuis un certain temps déjà – j’en avais entendu causer, en tout cas, même si je ne sais plus précisément comment –, mais qui m’est apparu comme une lecture indispensable à cause de la thèse de Simon Bréan sur  La Science-fiction en France. J’ai finalement trouvé la première édition de cette antiquité – dans un état, je vous raconte même pas – et m’en suis prestement emparé, en entamant presque aussitôt la lecture. Ce qui était sans doute une mauvaise idée : parce que, du coup, je l’ai lu en parallèle du fente à bulleux  Enig Marcheur de Russel Hoban, roman avec lequel il partage – avec une sacrée longueur d’avance, certes – quelques points communs ; sauf qu’à la comparaison, il souffre un peu… Mais j’y reviendrai.

 

Ceci dit, qu’est-ce qui m’a poussé à faire l’acquisition de cette vieillerie, me direz-vous ? C’est simple : d’après Simon Bréan, il s’agissait visiblement là d’un OVNI – pardon, OLNI – dans le champ de la science-fiction française de l’époque, et qui fut accueilli comme tel ; d’une part, il reçut immédiatement le prix Jules Verne ; d’autre part, il se fit recevoir plutôt fraîchement par la critique (nombreux développements sur un article de Fiction assez catégorique), même s’il s’en trouvait pour le défendre (dont Gérard Klein, qui réédita donc le roman en Ailleurs & Demain). C’est que, avec Surface de la planète, on est bien loin de la traditionnelle « SF à papa » qui faisait alors les grandes heures du Fleuve Noir « Anticipation ». Le roman – le seul de son auteur, ai-je cru comprendre – est a priori d’une ambition sans commune mesure, notamment – pierre de touche récurrente dans l’histoire du genre – sur le plan stylistique. On a pu dire de Surface de la planète qu’il mêlait science-fiction (plus exactement la variante post-apocalyptique) et Nouveau Roman. Ce qui a paru plus ou moins pertinent, et a plus ou moins convaincu.

 

Nous sommes « en 3850 après l’Hydrogène ». L’humanité – du moins la majeure partie de ce qu’il en reste – s’est réfugiée dans des souterrains, où elle bénéficie du Système : les individus sont séparés les uns des autres, vivant chacun en autarcie dans une cellule ; s’ils peuvent communiquer entre eux par le biais du phone, ils passent néanmoins la majeure partie de leur existence parfaitement seuls, à bouffer les tablettes nutritives que leur fournit un distributeur automatique, seul moyen de découper le temps, et à se plonger dans la Vision, sorte de réalité virtuelle avant l’heure qui les introduit dans des souvenirs du temps d’avant, leur faisant incarner d’autres vies.

 

Mais, un jour – dès le début du roman, en fait (« Ainsi venait de se détraquer le distributeur de tablettes, et celles-ci sortaient du mur en jaillissement continu », première phrase) –, le Système connaît des dysfonctionnements à répétition. La – courte – première partie de Surface de la planète, à la troisième personne, nous présente un certain nombre d’individus baignant dans le Système et la Vision, mais qui sont bientôt contraints de quitter leurs cellules du fait de ces dysfonctionnements, et de prendre le chemin de la Surface – une poignée d’entre eux tout du moins.

 

Puis l’on passe à la seconde partie, qui occupe tout le reste du roman, et est cette fois à la première personne. Le narrateur anonyme fait partie de ces individus ayant regagné la Surface de la planète. À certains égards – au début tout du moins –, il en est même le meneur, multipliant les initiatives quant à ce qu’il faut faire dans cet environnement hostile accablé par le Soleil. Mais bien vite, plus ou moins contraint, plus ou moins par choix, il se retrouve seul, à errer sans véritable but à la Surface. Il y fera un certain nombre de rencontres : on notera ainsi celle d’une communauté d’évadés du Système comme lui, avec un chef, ce qui ne lui sied guère, puis (surtout ?) celle d’un natif de la Surface aux discrètes mutations et à la politesse déstabilisante – car il y eut bien des rescapés pour ne pas s’enfoncer sous terre dans le Système. Il découvrira aussi un environnement étrange, aux dangers parfois imprévisibles – ainsi ces zones dangereuse tombées sous la coupe d’un Réseau bidimensionnel (ici, je n’ai pu m’empêcher de penser, avec un peu d’avance, au gigantesque  Stalker des frères Strougatski), dont le narrateur semble persuadé qu’elles sont vouées à s’étendre jusqu’à englober tout. Mais, pour l’essentiel, son errance a tout de même quelque chose d’absurde et de désabusé, voire nihiliste, jusqu’à la conclusion ambiguë et, dans un sens et de manière toujours aussi anachronique, dickienne avant l’heure.

 

On le voit, du moins je l’espère, à la lecture de ce résumé : Surface de la planète, s’il présente une trame relativement classique (ou qui l’est devenue depuis…), contient bon nombre d’éléments de fond fort intéressants, et parfois visionnaires.

 

Cependant, c’est surtout la forme qui retient l’attention. Le roman témoigne d’une grande ambition stylistique, sans doute rare à l’époque de sa rédaction. Il tient parfois, dans les digressions du narrateur, du poème en prose, vaguement surréalisant, impression renforcée par des jeux de mise en page divers et variés. Mais ce qui frappe surtout – et a un peu parasité ma lecture, donc, puisque le parallèle avec  Enig Marcheur est ici flagrant –, c’est sa manière de triturer le langage, de multiples façons, pour constituer une véritable langue du futur. Rien d’aussi extrême que le parlénigm, non ; mais l’oralité s’écrit, sous forme de raccourcis (« ia » pour « il y a », « dla » pour « de la », etc.), et l’auteur multiplie en outre les mots-valises (sans donner une impression de jargon SF pour autant) ou encore les brusques changements de registre, ponctuant une écriture dans l’ensemble assez soutenue, et usant parfois de mots rares, par des percées de familiarité. Tout cela est aussi déstabilisant qu’intéressant, et, à nouveau, visionnaire.

 

On comprend donc fort bien le choc qu’a dû constituer Surface de la planète à sa parution en 1959. Ce roman ne ressemblait probablement à rien d’autre alors, et avait une bonne longueur d’avance. Pourtant, arrivé à ce point, et tout en reconnaissant les multiples qualités dont le roman de Daniel Drode fait preuve, et qui sont indéniables, je ne peux qu’avouer ma déception (relative). En effet, malgré toutes les bonnes idées dont il fait preuve, le fait est que je l’ai trouvé passablement chiant, ce roman visionnaire… Si la première partie m’a énormément parlé, de même que le début de la seconde, j’avoue m’être assez vite lassé des digressions philosophico-pouétiques du narrateur et de son errance sans but teintée de vague à l’âme ; ce qui fait assurément partie du projet, mais ne m’a pas séduit. Passé l’enthousiasme de la première moitié du roman, en gros, je me suis donc plutôt ennuyé à la lecture de ce roman pourtant court.

 

Il faut dire que la « concurrence » n’arrangeait rien à l’affaire : j’ai donc lu ce livre en parallèle d’Enig Marcheur, et ce dernier, publié une vingtaine d’années plus tard il est vrai, l’a emporté haut la main dans mon estime ; avec le roman de Russel Hoban, nous sommes véritablement en présence d’un chef-d’œuvre qui, trente ans plus tard, n’a rien perdu de son intérêt, et garde toujours quelque chose de singulier et visionnaire (d’autant qu’il se montre à bien des égards plus extrême). Surface de la planète, de son côté, m’a fait l’effet d’une œuvre d’avant-garde, en tant que telle bourrée de qualités, mais qui n’a pas su conserver l’intemporalité qui fait les chefs-d’œuvre tels qu’Enig Marcheur : en fait, ainsi que cela a été souvent noté, rien ne vieillit aussi vite que l’avant-garde, et Surface de la planète en témoigne…

 

D’où ma déception relative. Objectivement, Surface de la planète est sans doute un bon roman ; en son temps, sa singularité en faisait même sans doute un très bon roman, largement au-dessus du lot. Je ne nie certes pas son caractère visionnaire, l’astuce dont il fait preuve, le soin rare apporté au style, ou encore l’intelligence de l’ensemble. Mais voilà : d’une part pour des raisons qui ne tiennent qu’à lui, d’autre part du fait de la « concurrence » mal placée avec Enig Marcheur, le roman de Daniel Drode, avec toutes ses qualités que je n’ai aucunement l’intention de remettre en cause, m’a ennuyé. Aujourd’hui, il ne constitue plus à mon sens qu’un intéressant témoignage de ce que la science-fiction la plus avancée pouvait produire à la fin des années 1950 ; en tant qu’objet d’étude, il est fascinant ; mais sa lecture aujourd’hui, pour l’amateur lambda, ne présente qu’un intérêt très relatif.

CITRIQ

Commenter cet article

G
C'est aussi ce que disait celui qui avait lu la Bible en BD et en 52 planches.
Répondre
G
Il aurait mieux valu le lire dans la réédition que j'en ai faite dans Ailleurs et demain classiques, avec une présentation et des (toutes?) nouvelles de Drode dont l'œuvre qui s'annonçait<br /> importante a été interrompue par sa mort prématurée. Le lien avec le Nouveau Roman est évident à plusieurs titres même si le livre semble passé inaperçu des sectateurw de la Chapelle de Minuit.
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N
<br /> <br /> Ben j'ai pris ce que j'ai trouvé, hein.<br /> <br /> <br /> <br />