"Terreur apache", de W.R. Burnett
BURNETT (W.R.), Terreur apache, [Adobe Walls], traduit de l’anglais (USA) par Fabienne Duvigneau, postface de Bertrand Tavernier, Arles, Actes Sud, coll. L’Ouest, le vrai, [1953] 2013, 213 p.
Terreur apache de W.R. Burnett est un des premiers titres parus dans l’alléchante collection « L’Ouest, le vrai » dirigée par Bertrand Tavernier chez Actes Sud (décidément, le western littéraire semble avoir le vent en poupe en ce moment, et ce n’est certainement pas votre serviteur qui va s’en plaindre). Du fait de ce statut bien particulier, on peut être tenté – et je ne m’en prive pas – d’y trouver une éventuelle dimension programmatique. Si tel est bien le cas, « L’Ouest, le vrai » s’annonce particulièrement sauvage et violent… Car Terreur apache est un roman sans concessions, comme on dit (on nous dit aussi qu’il se trouve aux antipodes du « politiquement correct » ; certes, certes…) ; un roman âpre et violent, qui traite le mythe de la Frontière avec « réalisme » (comme on parle de paradigme « réaliste » en relations internationales, aurais-je envie de dire…), bien loin de tout angélisme. Ce qui peut susciter quelques nœuds dans l’estomac du lecteur, et votre serviteur n’a pas été épargné. Ici, soyez prévenus, les Indiens – les Apaches, donc, en l’occurrence – sont des sauvages et/ou des traîtres ; mais les Blancs ne valent pas vraiment mieux. Et le « héros » (les guillemets s’imposent sacrément), le chef des éclaireurs Walter Grein, est passablement repoussant ; à vrai dire, tous les personnages du roman sont antipathiques au possible, et il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Ce qui n’est certes pas une critique, juste un constat, mais qui en dit long sur le positionnement philosophique du roman (de même que la qualification proposée par Bertrand Tavernier dans sa postface, qui nous décrit plus ou moins l’auteur – célèbre notamment pour ses romans noirs tel Quand la ville dort et ses scénarios dont celui de Scarface – comme correspondant à la figure, si ambiguë qu’elle relève à bien des égards elle aussi du mythe, de « l’anarchiste de droite »).
Mais l’histoire, tout d’abord. Nous sommes en 1886 en Arizona. Les Apaches, guerriers hors-pairs mais particulièrement sanguinaires, sont – comme de juste ? – relégués dans des réserves. Mais un jeune chef apache, Toriano – qui a été éduqué chez les Blancs, on pense nécessairement à ces « colonisés » devenus leaders indépendantistes après avoir été formés chez les colonisateurs – quitte la réserve avec une petite troupe, et – c’est le titre – se met à semer la terreur dans les environs. L’armée n’est guère qualifiée pour le combattre : Toriano mène une véritable guérilla caractérisée par sa souplesse dans une région aride et dangereuse, et se révèle très vite insaisissable. Aussi, pour mettre fin à ses activités séditieuses, on fait appel au chef des éclaireurs dans la région, le dénommé Walter Grein. Celui-ci, à la tête d’une expédition particulièrement réduite, et composée de parias – un ivrogne, un muet, des Apaches renégats… –, lance donc la chasse à Toriano. Une aventure qui s’annonce bien difficile… d’autant que Grein aura également maille à partir avec la bêtise et l’inconscience des politiciens de l’Est, à la vision édulcorée des événements.
Le maître-mot de Terreur apache, à mon sens, est celui de « haine ». Notamment parce que Grein, dont on adopte le point de vue, est dévoré par elle. Salaud aussi charismatique, compétent et lucide que répugnant, c’est un « anti-héros » remarquable, qui n’est pas pour rien dans la réussite du roman de W.R. Burnett. Car Terreur apache est à n’en pas douter un bon roman. Annonciateur de la cruauté de westerns ultérieurs tels que Méridien de sang de Cormac McCarthy ou Chevauchée avec le diable de Daniel Woodrell, il se montre rude et appuie avec un plaisir pervers là où ça fait mal. L’affrontement entre les Blancs et les Apaches est une lutte sans merci, où tous les coups sont permis, et une identification s’opère entre chasseurs et proies (on surnomme Grein « l’Apache blanc », ce qui ne lui fait pas exactement plaisir, mais correspond indéniablement à une certaine réalité). Et l’Indien, ici, n’a certes rien du « bon sauvage », ni même de la « victime sans défense de l’oppression des Blancs ». L’Apache, qu’on se le dise, c’est l’ennemi :
« Vous dites, « les Indiens ». Mais il ne s'agit pas juste des Indiens. Il s'agit des Apaches. De nombreux Indiens répondent à la gentillesse : les Pueblos, par exemple, ce sont des gens très aimables ; ou même les Navajos, qui ont renoncé à leurs mauvaises coutumes. Mais pas les Apaches. Savez-vous ce que veut dire « Apache » ? C'est un mot zuni qui signifie « ennemi ». Les autres Indiens les ont désignés ainsi – eux-mêmes se nomment les « N'De ». En réalité, « ennemis » est bien le terme qui convient : ennemis de la race humaine et de tout ce qui est vivant. »
Rien de moins. Et tant pis pour l’angélisme des pieds-tendres. Et je me dois d’avouer – moi qui pour le coup ai peut-être à mon tour succombé au « politiquement correct » vilipendé par le directeur de collection – que cette vision unilatérale, qui constitue à n’en pas douter une force du roman, en tant qu’elle lui donne cette saveur haineuse si particulière, m’a parfois un peu gêné ; sans verser dans l’angélisme à mon tour, j’avoue tout de même y préférer largement – pour ma bonne conscience, peut-être – un autre « réalisme », plus fin, plus subtil, tel celui de Dorothy M. Johnson dans son superbe recueil de nouvelles Contrée indienne, dont je ne cesserai pas de vous dire le plus grand bien jusqu’à ce que vous l’ayez tous lu.
Mais foin de ces considérations politico-morales sans doute teintées de « bien-pensance » et peut-être aussi d’anachronisme. L’important, c’est que, justement en raison de ce parti-pris, Terreur apache fonctionne. Si l’identification avec Grein se fait à contre-cœur, elle opère néanmoins, et le récit se montre aussi palpitant que rugueux, ce qui n’est pas peu dire.
Un bon roman, donc. Très bon ? Je n’irais peut-être pas jusque-là, et dois en fait avouer une légère déception. Terreur apache, avec ses indéniables qualités – et son côté maladif n’est pas la moindre, j’ai toujours eu tendance à considérer qu’une œuvre qui met mal à l’aise a forcément quelque chose d’intéressant –, souffre aussi de quelques écueils, à mon sens. J’en ai trouvé le style terne, notamment, ou plat, disons ; je lui ai aussi trouvé moins d’ambition qu’à bon nombre des westerns que j’ai pu lire jusqu’à présent ; et j’ai renaclé devant ce qui constitue à mes yeux quelques fautes de goût, et au premier chef une pénible amourette – façon « je t’aime, moi non plus », avec des clichés gros comme moi – entre le chef des éclaireurs et la femme du colonel.
Mais rien de rédhibitoire, vous l’aurez compris. Dès l’instant que l’on accepte le point de vue singulier adopté par W.R. Burnett à travers le personnage de Walter Grein, et donc que l’on accepte de troquer son esprit de Français bon-teint du XXIe siècle contre celui d’un dur-à-cuire de « L’Ouest, le vrai », on ne peut que s’avouer convaincu par Terreur apache. Mais avec un léger malaise, peut-être, et sans non plus verser dans l’enthousiasme démesuré.
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