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Territoires et architectures judiciaires

Publié le par Nébal

Les vendredi 5 et samedi 6 décembre 2008, j’ai (à nouveau…) assisté à un colloque d’histoire du droit (et plus si affinités). C’est en effet à Toulouse que se sont tenues cette année les Journées régionales d’histoire de la Justice, organisées par l’Association Française pour l’histoire de la justice (AFHJ), avec le parrainage de la cour d’appel de Toulouse et le soutien du Centre Toulousain d’Histoire du Droit et des Idées Politiques (CTHDIP), de l’Université de Toulouse 1 Sciences Sociales, de l’Académie de Législation de Toulouse, de l’École des avocats du Sud-Ouest Pyrénées, de la Chambre interdépartementale des notaires du ressort de la cour d’appel de Toulouse, de l’École nationale de la Magistrature (ENM), des Archives départementales de la Haute-Garonne, et enfin de la Mairie de Toulouse. Ouf.

 

Le thème en était donc les territoires et architectures judiciaires. Pour ce qui est des territoires, c’est indéniablement un thème d’actualité, en ces temps de réforme – houleuse – de la carte judiciaire (remercions décidément madame Dati pour son sens aigu du dialogue…) ; c’était donc l’occasion de s’interroger sur cette question dans une perspective à la fois historique (première journée) et contemporaine voire prospectiviste (deuxième journée). Y mêler la question de l’architecture judiciaire peut étonner de prime abord, mais se justifie en fait aisément, à nouveau par l’actualité : les travaux du nouveau Palais de justice de Toulouse sont en effet quasiment achevés (ils le seront « officiellement » début 2009), et la thématique de l’architecture, envisagée dans une dimension sociale, renvoie largement à celle des territoires ; on retrouve dans les deux cas des questions assez proches, renvoyant à la symbolique et aux coutumes, mais aussi à la rationalisation… pour ne pas parler de logique gestionnaire et d’économies.

 

Hélas, je ne serai pas en mesure d’en faire un compte rendu aussi complet (quand bien même lapidaire…) que celui que j’avais récemment fait pour la rencontre consacrée aux Facultés de droit de province au XIXe siècle. En effet, je n’ai pu assister à l’ensemble des communications, d’une part pour des raisons personnelles, d’autre part parce que nous autres doctorants et jeunes docteurs du CTHDIP avons été plus ou moins « réquisitionnés » pour encadrer la manifestation, accueillir les participants, etc. (l’Université ne disposant d’aucun personnel à cet effet…). Je vais donc devoir me contenter d’évoquer en quelques mots les communications que j’ai pu suivre (d’une oreille plus ou moins distraite)…

 

La journée du vendredi était consacrée à l’approche strictement historique de la question, et se tenait à la cour d’assises de Toulouse. Une bonne idée : les Archives départementales de la Haute-Garonne ont organisé une petite exposition dans l’entrée de la cour, ce qui fut l’occasion de présenter au public quelques très belles pièces (présentant souvent les magistrats toulousains sous un jour peu sympathique, au passage…) : entre autres, les lettres patentes de Charles VII ordonnant la création du Parlement de Toulouse en 1444 (Toulouse, rappelons-le – et cela a eu son importance pour le colloque –, est une vieille capitale judiciaire, et le site du deuxième parlement de France et du premier parlement de province), l’enregistrement – tardif… – du célèbre édit de Nantes par le Parlement, mais aussi quelques pièces issues des plus célèbres procès toulousains de l’époque moderne – la fameuse affaire « Martin Guerre », la condamnation à mort de Vanini, et, bien sûr, celle de Calas… –, et enfin quelques pièces plus contemporaines, concernant le coup d’État du 2 décembre 1851 et la répression qui l’a suivi (des documents passionnants que j’avais déjà utilisés pour mon mémoire), ainsi que la surveillance des anarchistes à la fin du XIXe siècle.

 

La cour d’assises, récemment restaurée, est une assez jolie salle – quoique, sans suprise, fort intimidante, et par ailleurs assez sombre – datant du XIXe siècle. La symbolique en est intéressante : le plafond, très élevé, est essentiellement orné d’une imposante reproduction du célèbre tableau de Prud’hon La Justice et la vengeance divine poursuivant le crime (1808 ; l’original se trouve au Louvre) ; j’avoue avoir pensé immédiatement – à tort, semble-t-il – à Abel et Caïn… Supposition renforcée par les cartouches entourant le tableau, et préconisant labor, fortitudo, probitas… et religio. Mais si cette symbolique religieuse a été conservée dans les différents réaménagements du Palais de justice, les aigles napoléoniennes ont par contre été grattées. J’aurais l’occasion de revenir sur ces bizarreries symboliques…

 

La journée commença inévitablement par quelques discours d’ouverture : celui, peu convaincant à mon sens, de Jacques Nunez, premier président de la cour d’appel fut suivi par celui autrement intéressant de l’avocat général et magistrat délégué à l’équipement Jean-Louis Bec (remplaçant le procureur général Patrice Davost), qui nous dit quelques mots sur l’histoire de la salle dans laquelle nous nous trouvions ; un orateur érudit et passionnant, mais j’aurai l’occasion d’y revenir. Après quoi le thème du colloque fut plus précisément développé, tout d’abord par Claude Gauvart (professeur, Paris I ; vice-présidente de l’AFHJ), ensuite par Jacques Poumarède (professeur, Toulouse I ; il n’a par contre pas donné de communication « académique » sur le thème « Présentation de la problématique : Qu’est-ce qu’un ressort de justice ? », contrairement à ce qui avait été annoncé).

 

Les communications de la journée obéirent largement à la chronologie. La matinée fut consacrée « Aux origines des territoires de justice », sous la présidence de Claude Gauvart. Je ne suis pas en mesure de dire grand chose des premières communications, que je n’ai pu véritablement suivre : Christian Lauranson-Rosaz (professeur, Lyon III) livra une communication très érudite intitulée « À l’origine des territoires de justice : districtus, vicaria et périmètres de paix », allant essentiellement (pour ce que j’en ai entendu, du moins) de l’époque carolingienne à l’an mil ; j’avoue n’avoir absolument rien retenu de cette allocution complexe, pour une époque que je maîtrise mal, d’autant que je n’ai pu y assister que par petits bouts… Il en est allé plus ou moins de même pour la communication suivante, due à Hélène Couderc-Barraud (agrégée d’histoire, docteur en histoire médiévale), « La Territorialisation de la justice en Gascogne (XIIe – XIIIe siècles) ». Quant à la communication de Béatrice Fourniel (maître de conférences, centre universitaire J.F. Champollion de Rodez ; elle a par ailleurs été primée le lendemain pour sa thèse), « Le Bailliage et siège présidial d’Aurillac, un ressort entre pays de coutumes et pays de droit écrit », je n’ai pas pu y assister du tout… Je n’ai pu assister ensuite qu’à la fin de la communication de Jean-Marie Augustin (professeur, Poitiers), qui nous parla des « Grands Jours, une cour supérieure foraine sous l’Ancien Régime », ce qui fut assez intéressant. Jack Thomas (professeur, Toulouse II – Le Mirail), enfin, conclut la matinée avec « Toulouse « capitale judiciaire » à l’Époque moderne, essai de cartographie » : on vit ainsi la multitude des ressorts de justice toulousains, ce qui fut pour le moins édifiant ; j’en ai surtout retenu l’existence de la juridiction du Canal du Midi, avec son ressort si particulier (le canal et les chemins de halage qui le bordent), large de moins de 100 mètres, mais long d’environ 240 kilomètres !

 

L’après-midi fut consacrée à « La Formation de la carte judiciaire moderne », sous la présidence de Pierre Truche (premier président honoraire de la cour de Cassation, président de l’AFHJ). Je n’ai pas pu assister à la communication de Pierre Bonin (professeur, Nantes), « La Notion de ressort judiciaire dans les dictionnaires et la doctrine juridique ». Mais Didier Catarina (docteur en histoire moderne) évoqua ensuite « Les tentatives de rationalisation de l’espace judiciaire languedocien entre 1740 et 1789 » : une présentation passionnante, montrant de manière édifiante le rôle de l’État – et de ses besoins financiers (c’est essentiellement ici qu’apparaît la thématique économique, mais en sens contraire de ce que l’on verra par la suite)… – dans la complexification progressive de la carte judiciaire, jusqu’à générer un chaos invraisemblable totalement ingérable… Jean-Pierre Royer (professeur émérite, Lille II), spécialiste de l’histoire de la justice s’il en est, prit le relais : « Du simple à l’économe : les évolutions de la carte judiciaire à l’époque révolutionnaire » ; l’occasion de s’intéresser aux contradictions entre idéal et pragmatisme dans la formation de la carte judiciaire… Je n’ai pas pu assister aux deux dernières conférences, celle de Laurence Soula (maître de conférences, université du Littoral), « Entre Bordeaux et Toulouse, les vicissitudes du ressort de la cour d’appel d’Agen », et celle de Frédéric Chauvaud (professeur, Poitiers), « Les Tribulations de la réforme judiciaire de 1926-1930 » ; j’en ai eu cependant des échos très favorables.

 

Le lendemain matin, le colloque reprit à l’Académie de Législation, dans le bel hôtel d’Assézat, siège des académies et sociétés savantes toulousaines (et notamment de la plus fameuse d’entre elles, l’Académie des Jeux Floraux, probablement la plus vieille académie littéraire d’Europe). Sous la présidence de Bertrand Garrigues, président de l’Académie de législation, il fut d’abord procédé à la remise des prix de thèse (deux, cette année), après quoi la première des deux tables rondes de la matinée fut entamée : « Les Ressorts judiciaires au XXIe siècle : une réflexion prospective ». La table ronde était animée par Jacques Commaille (professeur, ENS Cachan) ; étaient présents Christian Licoppe (professeur, École Nationale des Télécoms), Laurence Dumoulin (chargée de recherches CNRS, ENS Cachan), Jean-Paul Jean (avocat général près la cour d’appel de Paris), Jean-Louis Matheu (ancien bâtonnier du barreau de Toulouse) et Annie Thomas (secrétaire nationale de la CFDT) – Isabelle Faujour, directrice adjointe de l’Union Fédérale des Consommateurs, n’a pu venir. Je n’ai pu suivre les débats que d’une oreille distraite, depuis l’entrée… Dans ces conditions, il ne m’est pas possible d’en dire grand chose. Je me contenterai donc de noter que les débats furent dans l’ensemble très calmes, là où le sujet, plus brûlant que jamais, pouvait facilement susciter la polémique (mais j’avoue : je me suis surtout intéressé à cette question par le biais des articles autrement incisifs de l’excellent Me Éolas ; alors, évidemment…). Reste cette remarque éloquente, selon laquelle Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, aurait pu noter « Carte judiciaire : supprimer des tribunaux »… Par contre, la table ronde s’est longuement prolongée, dépassant l’emploi du temps initialement prévu de pas loin d’une heure…

 

Aussi la deuxième table ronde, présidée par Denis Salas (secrétaire général de l’AFHJ), a-t-elle été passablement raccourcie. Le thème en était « Les Nouveaux Palais de justice : quelle conception architecturale ? ». Étaient présents Jacques Commaille, Jean-Louis Bec et Laure-Estelle Moulin (docteur en histoire de l’art, chargée de recherches à la fondation Le Corbusier)… mais hélas pas Pascal Prunet, l’architecte auquel on doit le nouveau palais de justice toulousain. On traita essentiellement de la place des symboles dans l’architecture judiciaire, des pompeux et intimidants temples de la justice du XIXe siècle aux bâtiments fonctionnels et « neutres » (type « allocations familiales », disait-on…) de 1958 à nos jours.

 

L’après-midi, justement, fut consacrée à une visite guidée du Palais de justice. Il était possible de suivre trois guides : Jean-Louis Bec, déjà évoqué par deux fois, Gilbert Cousteaux (premier vice-président du TGI de Toulouse) et Norbert Saint-Ramon (vice-président du TGI de Toulouse). Pour ma part, j’ai décidé de suivre Jean-Louis Bec, dont j’avais trouvé les précédentes interventions passionnantes, et qui, en tant que magistrat délégué à l’équipement, me semblait le plus qualifié pour en parler ; et je ne l’ai certainement pas regretté ! Cette visite fut bien le clou du colloque, le site valant assurément le détour : le Palais de justice se situe au cœur même du vieux Toulouse, là où se dressait la ville romaine déjà importante au IIe siècle avant J.-C., puis sur le site même de l’ancien Parlement. Cette visite permit ainsi d’envisager plus de 2000 ans d’histoire locale. Lors des travaux, à peine eut-on un peu creusé… que l’on tombait sur des restes de l’ancienne voie romaine et de la Porte Narbonnaise (la plus importante, tournée vers Rome), mais aussi du Château Narbonnais, la principale forteresse de la ville, résidence des comtes de Toulouse, et enfin des murailles du XVIe siècle. Évidemment, ce ne fut pas sans entraîner quelques difficultés pour ce qui est des travaux (nécessaires) de réaménagement du tribunal (devenu bien trop étroit, et relativement insalubre) : ceux-ci ont pris du retard, et ont coûté plus cher que prévu (enfin… plus cher que ne l’avaient prévu ceux qui n’avaient pas entendu parler du Château Narbonnais, etc.). Le problème, dans cette zone de Toulouse, est que les moindres travaux mettent à jour des reliquats du riche passé toulousain (200 mètres plus loin à peine, les travaux de la ligne B du métro ont ainsi mis à jour un important cimetière mérovingien…). Jean-Louis Bec a ainsi précisé que, pour plusieurs endroits, il avait tout simplement été décidé de ne pas creuser, devant les dépenses qu’un chantier archéologique « inopiné » ne manqueraient pas de susciter… Autre problème : passées les missions archéologiques de sauvetage, que faire de ces restes ? Bien souvent, il fallut les raser… Mais l’architecte a heureusement su en préserver une bonne part, et l’intégrer adroitement dans le nouveau Palais de justice, mêlant ainsi l’ancien et le nouveau, le symbolique et le fonctionnel (j’avouais que l’extérieur me laissait plus sceptique encore que l’ancien bâtiment du XIXe siècle, et que les travaux m’avaient tout d’abord quelque peu effrayé, mais il semble bien, finalement, qu’ils aient été plus bénéfiques que néfastes pour les ruines les plus intéressantes, et l’intérieur est tout à fait réussi). Les restes du Château Narbonnais, de la Porte Narbonnaise et de la Voie romaine, ont ainsi été préservés dans la « crypte » du tribunal, qui devrait prochainement être ouverte au public. Mais ce site était également l’emplacement de l’ancien Parlement, et en a conservé des traces intéressantes : la Grand-Chambre, derrière sa façade gothique préservée, date ainsi du XVe siècle, quand bien même elle a connu de nombreux aménagements depuis (notamment du fait de l’inévitable Viollet-le-Duc, qui a rehaussé le plafond à sa manière « médiévale idéalisée »). On y retrouve les bizarreries symboliques précédemment mentionnées : le « K » (pour « Karolus », c’est-à-dire Charles VII) des tapisseries murales a été plus ou moins déguisé en un « R » pour « République », mais les symboles monarchiques et religieux abondent encore dans la pièce : on y trouve en effet un obélisque dédié au « martyr » Louis XVI… et même une chapelle datant de Charles X, ce qui est plus ou moins incongru pour ce lieu qui se veut républicain et laïque autant que possible ! Au-delà, il est encore bien des choses à voir dans le vieux Palais de justice, et notamment les deux imposants salons, le Salon d’Hercule de la fin du XVIIe siècle (dont le toit est orné de sculptures impressionnantes – une autre, murale, représentant le jugement de Salomon, auquel le sculpteur a donné les traits du jeune Louis XIV… –, et qui abrite également la bibliothèque du Palais de justice, riche en précieux volumes), et le plus tape-à-l’œil Salon Doré. On est ici bien loin des ternes salles d’audience contemporaines…

 

Si je n’ai guère pu profiter de ce colloque, je garderai néanmoins un très bon souvenir de cette visite instructive, témoignant de l’ancienneté et de la richesse du patrimoine toulousain, comme de l’importance de la vie judiciaire dans l’histoire de la ville rose.

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