"The Boiling Point", de Clark Ashton Smith, Forrest J. Ackerman, H.P. Lovecraft...
SMITH (Clark Ashton), ACKERMAN (Forrest J.), LOVECRAFT (H.P.) and many others, The Boiling Point, West Warwick, Necronomicon Press, [1933-1934] 1985, [n.p.]
The Boiling Point, c’était le nom d’une rubrique du Fantasy Fan, important fanzine (donc) du début des années 1930, rubrique de courrier des lecteurs qui se voulait résolument polémique. Ben ça n’a pas manqué… Ce tout petit fascicule, qui ne fait qu’une petite dizaine de pages, offre ainsi au lecteur épouvanté un aperçu pour le moins consternant du fandom des origines, qui n’était visiblement pas beaucoup plus appréciable que celui qui vivote aujourd’hui.
Tout commence avec une lettre du jeune critique Forrest J. Ackerman, qui, dans le numéro de septembre 1933, met avec joie les pieds dans le plat, en dénigrant vigoureusement la publication d’une nouvelle de Clark Ashton Smith, « Dweller in Martian Depths », dans les pages de Wonder Stories, revue en principe dédiée à la science-fiction (enfin, on disait encore « scientifiction » ou « stf », alors). Le point d’Ackerman est tout simple : pour lui, la nouvelle en question ne relève pas de la SF, mais davantage de la « fantasy » ou du « weird », et n’avait donc pas sa place dans cette revue ; avec pour corollaire qui coule de source (ou peu s’en faut) l’idée que – en schématisant – c’était mauvais parce que ce n’était pas de la SF…
Dès le numéro suivant, tir de barrage de la défense, représentée par Clark Ashton Smith himself, et ses copains H.P. Lovecraft, August Derleth et R.H. Barlow. Le jeune Ackerman s’en prend plein la tronche (de manière plus ou moins subtile selon les intervenants, mais c’est à la hauteur de l’attaque), la nouvelle est défendue pour ce qu’elle est – un truc a priori pas moins crédible que la plupart des publications estampillées « scientifiction » alors – et, au-delà, c’est la classique (déjà) querelle des genres : « weird » et « fantasy » (au sens anglo-saxon, hein, et des années 1930 encore) sont revalorisés, et la mauvaise SF impitoyablement descendue en flammes. La lettre de R.H. Barlow est à cet égard la plus révélatrice, qui condamne, citons-le, « the conventional type of […] trash printed in the average mercenary scientifiction magazine » : « a few helpless ray-projectors, heroines consisting mainly of lipstick and legs, and a dastardly villain ». Et CHBIM !
Et c’est parti pour une polémique particulièrement stérile (tellement, en fait, qu’on la retrouve sous diverses formes de nos jours…), opposant en gros partisans de l’imagination-qui-prend-le-pouvoir aux sectateurs de la TRUE SF déjà ghettoïsée.
(Arf. Je me rends compte que je prends malgré moi position rien que dans ma formulation du, aha, « débat » ; c’est que je suis faible…).
Polémique stérile, donc. On en vient très vite aux attaques personnelles des deux côtés (pour citer le camp « fantasy » / « weird », une certaine Natalie H. Wooley demande, chose stupide que l’on retrouve hélas encore aujourd’hui, si Forrest J. Ackerman, qui critique volontiers les textes des autres, serait capable d’en écrire lui-même, ce qui m’a rappelé de tristes phénomènes…), on s’énerve, et on campe sur ses positions, sans rien développer de vaguement, même très vaguement, constructif. Personne n’en ressort grandi, à vrai dire, et certainement pas le Fantasy Fan, qui, après le numéro de février 1934, jette l’éponge, et décide – ouf – de supprimer cette rubrique idiote (nombre de lecteurs avaient fait part de leur lassitude devant la querelle) (déjà, oui).
Moralité (enfin, si l’on veut…) : le fandom des origines pouvait déjà se montrer très con. C’est hélas le principal enseignement de cette toute petite brochure, pour le coup fort édifiante. Même si le pire, dans tout ça, c’est sans doute le triste constat que nous n’avons guère évolué en 80 ans…
Ah, le fandom…
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