"The Cloud Making Machine", de Laurent Garnier
LAURENT GARNIER, The Cloud Making Machine.
Tracklist :
01 – The Cloud Making Machine Pt. 1
02 – 9.01-9:06
03 – Barbiturik Blues
04 – Huis clos
05 – Act 1 Minotaure Ex.
06 – First Reaction (V2)
07 – Controlling The House Pt. 2
08 – (I Wanna Be) Waiting For My Plane
09 – Jeux d’enfants
10 – The Cloud Making Machine Pt. 2
Chose promise, chose due. Après vous avoir dit le plus grand bien d’Unreasonable Behaviour, qui est probablement le plus célèbre album de Laurent Garnier, je m’en vais maintenant faire la même chose avec son album suivant, le nettement moins connu mais non moins intéressant The Cloud Making Machine. Mais il n’y a rien d’étonnant à ce que cet album soit moins connu que le précédent, et la qualité n’a rien à y voir. Simplement, entre temps, de l’eau a coulé sous les ponts, et notre Lolo national (mais non, pas... bon, j'arrête, je suis lourd) a assez radicalement changé d’univers musical. Et si Unreasonable Behaviour comprenait encore un certain nombre de titres orientés dancefloor, ce n’est à peu de choses près, voire pas du tout, le cas de celui-ci, qui joue beaucoup plus sur les ambiances cinématographiques et jazzy. On n’y trouvera donc que rarement de quoi remuer du popotin ; The Cloud Making Machine n’est pas exactement ce qu’on appelle un album « booty ».
Mais c’est bien en ce qui me concerne un superbe album, qu’on aurait tort de reléguer au fin-fond des pires oubliettes de la musique électronique, au prétexte stupide que Garnier jouerait dans un terrain que l’on supposerait bêtement ne pas être le sien. Au contraire, dans cette « machine à fabriquer les nuages », à l’atmosphère onirique et fantasque – voir le superbe artwork –, Garnier est comme un poisson dans l’eau, et nous réserve quelques très belles pièces, dans des genres très variés, comme en témoigne ce petit résumé. Je n’irais pas jusqu’à prétendre que c’est là son meilleur album, mais ce n’est pas loin d’être vrai…
Alors décortiquons donc un peu la bête. Nous commençons avec « The Cloud Making Machine Pt. 1 ». Une introduction étrange, aux voix trafiquées, pose l’ambiance ; puis la musique s’installe, avec les claviers virtuoses de Bugge Wesseltoft (on retrouve le pianiste acid jazz à plusieurs reprises sur l’album ; rappelons qu’il a maintes fois collaboré avec Garnier, voyez d’ailleurs Public Outburst). Zen. Pas un pet de rythmique. Pas besoin.
Celle-ci ne débarquera, dans une succession de breaks élégants, que sur le morceau suivant, plus inquiétant, « 9.01-9:06 ». Une composition subtile, faussement simple, faisant appel à une basse discrète et à de multiples couches de claviers, et dont se dégage un certain sentiment d’oppression, de mal-être, récurrent dans l’album, qui se montre – à l’instar d’Unreasonable Behaviour – assez bipolaire –, alternant entre phases de quiétude et crises d’angoisse ; ici, c’est clairement cette dernière qui domine… Pour notre plus grand plaisir.
On retrouve Bugge Wesseltoft dans le morceau suivant, « Barbiturik Blues », dont le titre ne doit pas nous tromper : ce n’est pas tant de dépression qu’il s’agit ici, que de léthargie. Le morceau, très downtempo, avec sa rythmique et sa basse lourdes et sourdes, et surtout les claviers aériens du Norvégien, dégage en effet un sentiment de quiétude, de paix intérieure, rare chez Garnier. Un vrai bonheur.
Suit une petite merveille qu’on qualifiera « d’ambient » à défaut d’autre terme (du fait de l’absence de rythmique), « Huis clos », un morceau triste au possible. Bugge Wesseltoft s’y occupe des cordes, tandis que Dhafer Youssef, pièce centrale du morceau, chante et joue de l’oud. Tout simplement magnifique.
Puis l’on passe à « Act 1 Minotaure Ex. », à nouveau un morceau quasiment dénué de (véritable…) rythmique (il y a bien un pied et une cymbale de temps en temps, mais, bon…). Quand je vous dis que cet album de Garnier a dû en étonner plus d’un… Là encore, c’est l’ambiance qui prime avant tout, une ambiance très cinématographique à nouveau, tout juste moins dépressive que sur le morceau précédent, et avec des cordes plus en avant. De la belle ouvrage, qui peut faire penser à certains morceaux ambient d’Aphex Twin.
Changement de ton radical avec « First Reaction (V2) »… d’autant qu’il s’agit d’un morceau chanté (par Sangoma Everett ; le batteur de Garnier, ai-je cru comprendre ? on y retrouve en tout cas Marc Chalosse aux claviers et l’inévitable Philippe Nadaud). Cette fois, la rythmique, complexe, est omniprésente, de même que le chant – parlé –, évoquant un cauchemar ; il faut dire que le morceau a été écrit par Garnier et Everett quand ils ont appris le résultat du premier tour des élections présidentielles françaises de 2002, quand Le Pen était passé… D’où le titre et le ton du morceau. Le résultat est un excellent morceau d’acid jazz.
Suit un morceau qui fait un peu figure d’exception sur l’album, puisqu’il est le seul à avoir un kick du début à la fin ou peu s’en faut : « Controlling The House Pt. 2 ». Comme son nom l’indique (quoique la deep house se mêle ici assez franchement de dub, tant pour ce qui est du son de la basse que de l’écho omniprésent). Me demandez pas où est passée la « Pt. 1 », j’en sais rien ; tout ce que je peux vous dire, c’est que, passée l’intro parlée franchement ridicule, ça s’écoute bien. Très bien, même. Quasiment le seul morceau un tant soit peu orienté dancefloor de l’album…
Quasiment, puisque suit immédiatement une autre « surprise », à savoir un autre morceau chanté, par Garnier cette fois… mais un morceau de rock (avec Scan X à la guitare), le très efficace « (I Wanna Be) Waiting For My Plane », allusion transparente au Velvet Underground (et indirectement aux Stooges), contant avec humour les affres du DJ international. Quand j’ai moi-même (pendant très peu de temps, heureusement) dijetté (enfin, je ne mixais pas, hein – moi y’en a pas savoir faire, gnu... –, je me contentais de passer des disques…), j’aimais bien mettre cette piste, qui rencontrait généralement un franc succès ; mais je crois que ça aurait troué le cul de plus d’un(e) d’apprendre que c’était de Laurent Garnier…
On passe à tout autre chose avec « Jeux d’enfants », morceau en partie ambient, puisque gavé de field recording (des « chtis n’enfants en Charentes », visiblement), mais avec pourtant une rythmique à base de breaks un chouia saturés par-dessus les nappes de claviers et autres bruitages synthétiques. Le résultat est assez étrange, et j’ai à vrai dire du mal à émettre une opinion sur ce morceau… Pas mal, sans doute, mais… oui, il y a une certaine ambiance qui… bref…
Bon. Passons. À la toute fin, c’est-à-dire (après la souris verte) à « The Cloud Making Machine Pt. 2 », qui offre un miroir (plus bref) à la première partie pour ce qui est des voix, mais repose autrement sur des cordes assez mélancoliques.
Le bilan global, en tout cas, ne saurait faire de doute. The Cloud Making Machine est un album étonnant de la part de Garnier, oui – ou du moins, il a pu étonner quand il est sorti –, mais c’est bel et bien et avant tout un grand album, bien digne du talent de son auteur.
En tout cas, si, après mon compte rendu (miteux, oui) de cet album, il y en a encore parmi vous pour croire que Laurent Garnier, c’est du « commerce » et patin-coufin, ben, moi, je baisse les bras…
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