"The League Of Extraordinary Gentlemen. Century: 1910", d'Alan Moore & Kevin O'Neill
MOORE (Alan) & O’NEILL (Kevin), The League Of Extraordinary Gentlemen. Century: 1910, [s.l.], Top Shelf – Knockabout, [2009], [n.p.]
Est-il bien nécessaire de rappeler ici la nature divine d’Alan Moore ?
Oui.
Donc : Alan Moore est Dieu.
Et Century – joie ! joie ! – correspond au tant attendu « volume III » de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, cette série ô combien fantabuleuse qui a fait l’objet de mes derniers comptes rendus, après le détour pour le moins particulier – mais nécessaire – constitué par Black Dossier.
Au passage, il me paraît important – pour ne pas dire indispensable – de noter ceci : j’ai appris que Delcourt avait traduit Century: 1910… sans que ni cet éditeur, ni Panini (qui, parallèlement, « retraduit » médiocrement, pour ne pas dire pathétiquement, les premiers volumes de la Ligue – avec ou sans les annexes « textuelles » ? Si un lecteur pouvait m’éclairer à ce sujet, je lui en serais infiniment reconnaissant…), n’envisage de traduire pour autant Black Dossier, pour d’obscures raisons juridiques (il semblerait, à ce que j’ai cru comprendre, qu’il y ait obstruction de DC ; il faut dire qu’Alan Moore a claqué la porte de la « Distinguée Concurrence » : Century: 1910, comme vous avez pu le constater, est paru chez un nouvel éditeur…). Or, précisons-le d’emblée pour les lecteurs non anglophones : Century: 1910 est à mon sens totalement incompréhensible si l’on n’a pas lu au préalable Black Dossier… album lui-même largement incompréhensible si l’on n’a pas lu au préalable « The New Traveller’s Almanac » dans le Volume II. Tout s’enchaîne… Autant dire, cher lecteur non anglophone, que tu ferais bien de réfléchir à deux fois avant d’acheter cette BD en français…
Ceci étant posé, abordons maintenant le contenu. Avec Century: 1910, nous attaquons le « volume III » de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, nous narrant cette fois ses péripéties au XXe siècle. Ce « volume III » comprendra trois volumes, séparés chacun par plusieurs années ; à l’heure actuelle, seul le premier – Century: 1910, donc – est paru, le deuxième étant annoncé (avec du retard…) pour l’année prochaine. L’album, comme d’habitude, se divise en deux parties : l’une en bande-dessinée, le premier chapitre de la nouvelle « saison » intitulé « What Keeps Mankind Alive? », et l’autre en texte illustré, la nouvelle « Minions Of The Moon », dont nous avons ici le premier chapitre, « Into The Limbus ».
Commençons par « What Keeps Mankind Alive? », épisode situé en 1910 (donc), essentiellement en Angleterre (mais pas que). On y suit, en gros, deux trames narratives distinctes. Nous y faisons la connaissance de la « seconde Ligue Murray » (la première étant bien évidemment celle de 1898) : Allan Quatermain Jr, l’immortel androgyne Orlando (un homme, alors ; son inspiration vient à la base de Virginia Woolf, essentiellement, mais nous savons depuis Black Dossier qu’il est également le Roland de la Chanson et on apprend dans « Minions Of The Moon » – voir plus bas – qu’il est aussi, en tant que femme cette fois, le O. d’Histoire d’O. de Pauline Réage… entre autres, sans doute), le détective du surnaturel Thomas Carnacki (créé par William Hope Hodgson) et le « gentleman cambrioleur » Arthur J. Raffles (créé par E.W. Hornung).
Si cette seconde Ligue est à bien des égards moins « monstrueuse » que la première – c’est peu dire ! –, elle n’en a pas moins du pain sur la planche : Carnacki multiplie les visions d’apocalypse, en rapport avec une secte satanique qui ne manquera pas de faire penser – une fois de plus – à Aleister Crowley, tandis qu’un meurtrier s’en prend aux prostituées dans les rues de Londres – Jack l’Éventreur (oui, encore lui) serait-il de retour, et y aurait-il un lien ? La Ligue se met à enquêter… et il n’est pas forcément évident pour Mina Murray de gérer cette bande indisciplinée, en particulier Orlando, qui tend à se montrer quelque peu agaçant quand il en a une paire… À vrai dire, ce qu’Alan Moore nous narre ici, et avec brio, c’est avant tout – sans spoiler excessivement – une grosse lose… ce qui, mine de rien, n’est pas très commun dans les comics. Et plutôt intéressant…
Parallèlement, nous suivons le destin tragique de la fille du capitaine Nemo (dont je tairai le nom, à tout hasard…), s’échappant de Lincoln Island pour gagner Londres et sa misère. Une histoire pathétique (dans le bon sens du terme) et politique, qui nous est contée en chansons… et dont je ne révélerai bien évidemment pas la conclusion. Juste une chose : elle marque. Définitivement.
La partie BD de Century: 1910 est donc une franche réussite. Alan Moore retrouve dans ce premier chapitre le sens du rythme et l’inventivité des premiers épisodes de la Ligue, tout en préservant la profondeur et la richesse particulières introduites dans le récit par « The New Traveller’s Almanac » et Black Dossier, et en y rajoutant une certaine touche, tantôt mélancolique et désabusée, voire désespérée, tantôt rageuse, qui en font bien un épisode « à part », avec son identité propre. Quant à Kevin O’Neill, il n’a à mon sens jamais été aussi bon : il livre dans cet album certaines de ses plus belles planches.
Quelques mots, maintenant, sur « Minions Of The Moon ». Cette nouvelle est présentée comme ayant été écrite par « John Thomas » (un pseudonyme de John Sladek, et un terme d’argot pour désigner le pénis…) et publiée pour la première fois en 1969 (…) par James Colvin (pseudonyme de Michael Moorcock) dans la revue Lewd Worlds Science Fiction (pour New Worlds, bien sûr, alors dirigée par Moorcock). Il s’agit donc d’un pastiche de la science-fiction anglaise de la fin des années 1960 et notamment de la « new wave »… mais pas uniquement. Ainsi, le premier fragment, dont le héros n’est autre qu’Orlando (qui s’appelle encore Bio, à l’époque) reprend une fameuse scène de 2001… Il consiste autrement en une réflexion sur l’immortalité, de même que le suivant, daté de 1910 et faisant suite immédiatement aux événements décrits dans la BD. Les fragments suivants prennent tous place en 1964. Et je préfère ne pas en dire davantage, de crainte de gâcher le plaisir du lecteur ; sachez seulement qu’on y croisera Captain Universe (!), et qu’on y évoquera un danger menaçant la Lune… Difficile, de toute façon, d’en dire grand-chose : on ne fait guère ici que poser le décor. Et – ah, si ! – apporter une réponse à une question que l’on était en droit de se poser depuis le Volume One…
Vous l’aurez compris : Century: 1910 est indispensable. Mais – ça ne mange pas de pain que de le répéter une dernière fois – il faut au préalable avoir lu tout ce qui avait été publié concernant la Ligue par Alan Moore et Kevin O’Neill, et ce dans l’ordre où cela avait été publié. Sous peine de rien y panner. Ce qui serait quand même sacrément dommage.
Bon. Moi, maintenant, je veux la « suite ». Mais pour ça, faudra patienter encore un peu…
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