"The League Of Extraordinary Gentlemen, Volume II", d'Alan Moore & Kevin O'Neill
MOORE (Alan) & O’NEILL (Kevin), The League Of Extraordinary Gentlemen, Volume II, La Jolla, DC Comics – Wildstorm – America’s Best Comics, [2002] 2003, [n.p.]
Rappelons tout d’abord qu’Alan Moore est Dieu.
Ensuite, je vous prie de bien vouloir m’excuser pour mon retard dans le compte rendu de ce deuxième tome de The League Of Extraordinary Gentlemen, mais, outre les raisons habituelles (travail essentiellement), il en est une d’importance qui trouvera son explication infra.
Mais « allons-y Alonzo », comme dirait le Docteur, pour ce volume II. Je ne reviendrai pas ici sur la présentation générale de la Ligue, vous pouvez pour cela vous référer à mon compte rendu du Volume One. Contentons-nous donc de rappeler que la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, dirigée par Mina Murray et comprenant le Capitaine Nemo, Allan Quatermain, Henry Jekyll / Edward Hyde et Hawley Griffin alias l’Homme invisible, y a sauvé autant que faire se peut Londres d’un terrible danger venu des airs. Il en est résulté, en toute fin de volume, une reconfiguration complète des services secrets britanniques qui aurait pu sonner le glas de la Ligue… mais d’autres menaces sont à même de surgir, justifiant son maintien. Et la dernière planche du Volume One se montrait assez explicite en la matière…
En effet, après un prologue martien emprunté au cycle de « John Carter » (croisé, rappelez-vous, dans « Allan And The Sundered Veil ») et pauvre en dialogues (mais non moins fascinant), c’est La Guerre des mondes d’H.G. Wells qui fournira l’essentiel du canevas de ce Volume II (du moins de sa partie comics…). On pourrait d’ailleurs aller plus loin, et voir dans l’ensemble de ces six épisodes un hommage à Wells, dans la mesure où, non seulement La Guerre des mondes est au centre des événements, mais encore L’Homme invisible y joue un rôle essentiel… et un troisième grand roman wellsien est de la partie, mais sans doute vaut-il mieux ici que je me taise...
Cela dit, on aurait également envie de sous-titrer l’ensemble « Hyde Superstar », tant le monstrueux double du Docteur Henry Jekyll se montre ici charismatique (au cinéma, on dirait qu’il bouffe l’écran). Le personnage se révèle ici sous toutes ses coutures, bien plus complexe qu’on ne l’imaginait à la base, et nous offre un véritable festival. « You should see me dance the polka… »
Pour le reste, ce Volume II fait honneur au talent d’Alan Moore, qui ne se contente bien évidemment pas de copier-coller l’intrigue de Wells à l’univers de la Ligue. Il sait se réapproprier intelligemment La Guerre des mondes, avec une finesse qui n’appartient qu’à lui, mais qui n’exclut pas une salutaire dose d’humour, et même, disons-le franchement, de réjouissants éclats de pur mauvais goût. Ce Volume II est en effet, dans la mesure du possible, encore plus délirant et enthousiasmant, par bien des aspects, que le premier. Autant dire que les amateurs ne seront pas déçus du voyage.
Un voyage crépusculaire pourtant, et ce sans surprise – je ne pense pas ici spoiler quoi que ce soit : malgré le délire ambiant, malgré l’humour omniprésent, cette aventure marque la fin de la Ligue formée par Mina Murray. Une fin qu’on devine très tôt sanglante et définitive…
Mais ce n’est pas pour autant la fin de l’ouvrage… ni, sans doute, la véritable fin de la Ligue en tant qu’institution. Mais de cela il n’est possible de prendre conscience qu’à la lecture de la volumineuse seconde partie de ce tome 2, textuelle, « The New Traveller’s Almanac ». Il s’agit d’une sorte de « guide de voyage » dressé par les services secrets britanniques à partir des notes fournies par les membres de la Ligue sur plus de trois siècles : on découvre (ou plutôt, on obtient confirmation...) en effet que la Ligue créée par Mina Murray avait connu de précédentes incarnations, comprenant parfois des membres prestigieux (un certain Gulliver, par exemple), mais aussi que la Ligue a d’une certaine façon continué après l’invasion martienne de 1898… C’est ainsi l’occasion de faire la rencontre d’un certain nombre de personnages cruciaux, comme par exemple l’immortel et androgyne Orlando…
Mais disons les choses plus clairement : si, dans le premier volume, « Allan And The Sundered Veil » était une nouvelle sympathique et utile à la compréhension de la suite, « The New Traveller’s Almanac » n’est pas « simplement utile ». Pour avoir attaqué hier la lecture de Black Dossier, je peux d’ores et déjà vous dire que la lecture préalable de « The New Traveller’s Almanac » est tout simplement indispensable à la compréhension des événements qui y sont rapportés. Et je suppose qu’il en va de même pour Century: 1910 [EDIT : Oui.]. En effet, tous les éléments compris dans le « Black Dossier » à proprement parler trouvent leur origine dans ce long texte du Volume II, qui éclaire en outre l’identité des deux héros de cette « suite »… Autant dire que son absence dans la version française – hors édition collector en coffret, à ce que j’ai cru comprendre – est cette fois véritablement scandaleuse… Mais vous êtes avertis : n’essayez pas de lire Black Dossier si vous n’avez pas lu au préalable « The New Traveller’s Almanac », vous risquez de ne rien y comprendre.
Le problème, cela dit, c’est qu’il faut se le farcir, ce « New Traveller’s Almanac ». Et mine de rien, ça demande un effort assez consistant. Car il s’agit d’un texte extrêmement dense, qui bombarde le lecteur d’informations extrêmement érudites (et cependant lacunaires, ai-je trouvé, mais Alan Moore a nécessairement dû faire des choix…), et d’une lecture particulièrement aride, malgré les quelques illustrations ici ou là : la maquette sur trois colonnes n’arrange probablement rien à l’affaire. Je ne cacherai donc pas que j’ai peiné sur ce texte, d’autant que son caractère « répétitif », à le lire ainsi en bloc, lui confère en outre un aspect passablement ennuyeux par endroits (eh oui ; je sais, je n’en reviens pas moi-même, j’ai trouvé un passage d’Alan Moore ennuyeux…). Pourtant, les moments savoureux ne manquent pas, ni l’humour, là encore (notamment dans le dernier chapitre). Reste qu’il faut s’accrocher. Mais le jeu en vaut la chandelle : c’est toute la suite de The League Of Extraordinary Gentlemen qui devient accessible à la lecture de ces pages.
Détaillons-les brièvement. Six chapitres, donc, correspondant chacun à une zone géographique précise, dont on détaille les lieux, événements et personnages notables ou mystérieux : le premier de ces chapitres, sans surprise (chauvinisme oblige), concerne les Îles britanniques, et on y entend par exemple parler de la disparition d’une certaine Miss A. L. dans un trou, puis dans un miroir… On y parle surtout du « Blazing World », qui aura une grande importance par la suite. Deuxième chapitre, l’Europe, où je n’ai pu manquer (chauvinisme oblige ?) de m’attarder sur le cas français, et notamment sur les Hommes Mystérieux, contrepartie française de la Ligue, comprenant, pour l’anecdote, un certain Nyctalope (…), mais aussi Jean Robur, entre autres (on y reviendra plus en détail dans Black Dossier). Le troisième chapitre est consacré aux Amériques (j’avoue, sans surprise, m’être particulièrement attardé en Nouvelle-Angleterre). Le quatrième, à l’Afrique et au Moyen-Orient. Le cinquième, à l’Asie et à l’Australie (Laputa, Shangri-La, Xanadu…). Le sixième, enfin, aux régions polaires (les Montagnes hallucinées, la Mégapatagonie, Toyland…).
Ce Volume II est donc une suite exemplaire, bien à la hauteur du premier tome. Et, je me répète, mais c’est important, il est capital d’y lire « The New Traveller’s Almanac » pour une bonne compréhension de la suite. Autant dire que cela en fait une lecture indispensable. De la part d’Alan Moore, on n’en attendait pas moins.
On se retrouve (ou pas) pour Black Dossier.
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