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"Tueur de bisons", de Frank Mayer

Publié le par Nébal

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MAYER (Frank), Tueur de bisons, [The Buffalo Harvest], traduit de l’américain par Frédéric Cotton, [s.l.], Phébus, coll. Libretto, [1958, 2010] 2013, 94 p.

 

Western encore, avec ce récit aussi épatant que navrant d’un « coureur » de bisons lors de la grande « moisson » des années 1870. Frank Mayer, mort plus que centenaire, est en effet à certains égards typique de l’old timer dont on recherchait les récits et anecdotes dans les années 1940-1950, et qui ont ainsi contribué à édifier la légende de l’Ouest. Depuis sa naissance en 1850 à La Nouvelle-Orléans, on a l’impression qu’il a quasiment tout connu des grands événements marquant l’histoire de la Frontière ; il aurait ainsi, très jeune, été clairon durant la guerre de Sécession ; mais c’est à la fin de cette dernière que sa vie va connaître un tournant majeur, en ce qu’il va participer, en en étant plus ou moins conscient, à un des plus grands désastres écologiques causés par l’homme. Son récit de ces années plus ou moins glorieuses a été édité à titre posthume ; il semble cependant authentique, du moins dans la mesure où il s’agit bien des souvenirs de Frank Mayer tels qu’il a pu les confier à un journaliste. D’où ce petit livre passionnant, écrit dans un style oral très gouailleur, et qui participe pleinement de la légende de l’Ouest.

 

Frank Mayer se présente volontiers, et peut-être avec un certain cynisme, comme un businessman. Il s’agissait pour lui, comme pour tant d’autres, de faire de l’argent, au cours de cet avatar improbable de la ruée vers l’or. Âgé d’une vingtaine d’années à peine, il apprend ainsi le métier auprès des meilleurs, avant de se lancer véritablement. S’ensuivront un peu moins de dix ans de carnage, de « meurtre » bien plus que d’aventure, comme Mayer le reconnaît volontiers.

 

Tous les aspects de la chasse aux bisons – essentiellement pour leur peau, dans une moindre mesure pour leur viande et leurs langues, plus tard viendra le temps des ossements… – sont détaillés dans cet opuscule parfois très technique (ainsi en ce qui concerne les fusils employés), mais qui sait toujours rester palpitant, Frank Mayer se montrant un narrateur habile et plein de verve. Et il nous offre ainsi une mémorable plongée dans l’univers des « coureurs », part intégrante de la mythologie de l’Ouest, riche en anecdotes croustillantes, que ce soit sur la « bêtise » des bisons, les performances des meilleurs chasseurs, ou leurs rencontres conflictuelles avec les Indiens.

 

Mais les causes et conséquences de cette « moisson » sont également envisagées. Pour ce qui est des causes, Frank Mayer insiste sur la bénédiction que leur donnaient les autorités (qui approvisionnaient notamment les chasseurs en munitions) : au-delà du seul aspect financier (qui l’a vite fait déchanter, il avait beau être un excellent tireur, les profits étaient considérablement moindres que prévus), il s’agissait selon lui de ruiner le mode de vie des Indiens des Plaines, dépendant dans une large mesure du bison ; et, effectivement, en annihilant les grands troupeaux des pistes du Nord et du Sud, les coureurs ont contribué à chambouler le territoire et le mode de vie des Indiens…

 

Car c’est bien d’un massacre qu’il s’agissait, même si le narrateur n’en a pris conscience que tardivement (bien trop tard… d’autres se sont montrés plus lucides, il le reconnaît volontiers) : en une dizaine d’années, des millions de bisons ont ainsi été tués, jusqu’à ce que l’espèce disparaisse presque complètement. Les méthodes quasi industrielles appliqué à la chasse ont ainsi eu un effet drastique, difficilement envisageable, et bien rares étaient ceux qui avaient alors conscience du drame en train de se jouer…

 

Aussi cette lecture est-elle tant passionnante que déprimante. Si Frank Mayer n’a livré cette « confession » qu’au crépuscule de sa longue vie, il y fait néanmoins preuve d’une grande lucidité, et se montre un conteur habile, à même de séduire son public tout en le prenant régulièrement à contre-pied. Au-delà des seules anecdotes – qui valent le détour, hein –, le vieux coureur livre ainsi un fragment de l’histoire de l’Ouest dont l’importance est essentielle. Et il nous offre à l’occasion quelques tableaux fascinants, que ce soit à propos de la chasse en elle-même, ou bien de ses conséquences : l’image de ces grandes plaines autrefois foulées par les bisons et désormais « civilisées » marque durablement ; les bisons et leur herbe ont disparu… de même que les Indiens. Et c’est ainsi une page peu glorieuse de l’histoire de la Frontière qui s’est tournée.

 

Témoignage exemplaire, fascinant de bout en bout, Tueur de bisons est une lecture éminemment recommandable.

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