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"Un crime parfait", de David Grann

Publié le par Nébal

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GRANN (David), Un crime parfait. Un polar postmoderne, [True Crime. A Postmodern Murder Mystery], traduit de l’anglais (américain) par Violaine Huisman, Paris, Allia, [2008] 2009, 79 p.

 

David Grann est un journaliste au New Yorker, et c’est dans les colonnes de ce journal que fut originellement publié, sous forme d’article, le déconcertant petit livre que voilà, fondé sur un fait-divers sordide comme on n’en imagine que dans les romans. Il s’agit pourtant d’une histoire vraie, et cet article relève bien du journalisme. Mais le sous-titre est éloquent (plus que le titre français, mal choisi à mes yeux), et on a bel et bien envie d’y voir une sorte de polar : la plume de l’auteur, quand bien même journalistique, renforce encore cette impression romanesque par divers procédés. On pense donc tout naturellement à (je suppose, bien que ne l’ayant pas encore lu – il traîne depuis bien trop longtemps dans ma commode de chevet) De sang froid de Truman Capote, ou (pour parler d’un livre que j’ai lu…) aux Mille et Une Vies de Billy Milligan de Daniel Keyes. Mais on pense surtout, pour des raisons qui apparaîtront bientôt évidentes, au fameux film d’Alfred Hitchcock La Corde, inspiré si je ne m’abuse d’un autre fait-divers (rapporté d’ailleurs par l’auteur, p. 57) : le meurtre d’un garçon de 14 ans par Nathan Leopold et Richard Loeb, deux étudiants américains « épris des idées de Nietzsche » qui avaient voulu « réaliser le crime parfait et devenir des surhommes » (là encore, je ne suis pas certain que « parfait » soit le mot juste).

 

Nous sommes donc en Pologne, dans les années 2000. Tout part de la découverte du cadavre de Dariusz Janiszewski, un homme d’affaires de 35 ans retrouvé étranglé et noyé. Les policiers piétinent, et l’affaire semble insoluble. Jusqu’à ce qu’un policier du nom de Jacek Wroblewski rouvre l’enquête, en partant d’un fait qui n’avait guère retenu l’attention des enquêteurs : la disparition du téléphone mobile de la victime. On en retrouve la trace sur Internet, où il a été vendu par un certain Krystian Bala, un jeune intellectuel polonais, auteur d’un roman intitulé Amok. Wroblewski lit ce roman (« délicieusement » qualifié par l’auteur, p. 19 : « À l’instar des romans de Michel Houellebecq, le livre est sadique, pornographique et morbide. » Bwaha !). Or, dans ce récit, le héros, qui s’appelle comme par hasard Chris, commet un meurtre ressemblant en partie à ce qui est arrivé à Janiszewski. Intrigué, Wroblewski se lance dans une étude à fond du livre, et découvre que plusieurs éléments de son intrigue correspondent à des choses qui sont réellement arrivées dans la vie de Krystian Bala, lequel vit désormais à l’étranger, hors d’atteinte de la police polonaise… qui manque de toute façon de preuves.

 

Krystian Bala avait été un brillant étudiant en philosophie. Admirateur tout particulièrement de Nietzsche (on le retrouve) et de Wittgenstein, il s’était également intéressé à la pensée postmoderne, et notamment à des auteurs tels que Foucault et Derrida. Fasciné par le pouvoir créateur du langage et la question de la réalité, cet homme aux tendances mythomanes avait fait de sa vie un roman, avant de se livrer à la rédaction d’Amok, livre provocateur brisant les conventions, et imprégné de sa philosophie, justifiant en quelque sorte le meurtre (on pourrait ici penser à Sade, effectivement).

 

Mais on ne peut pas se baser sur un roman pour condamner son auteur pour meurtre… L’enquête avance, cependant, jusqu’à ce que Wroblewski mette en évidence un nouveau lien entre Bala et Janiszewski. Cette fois, la police dispose d’éléments permettant d’inculper Bala pour assassinat. Et quand ce dernier rentre en Pologne, il est arrêté – dans des conditions floues… – et bientôt condamné pour le meurtre de Janiszewski… qu’il supposait visiblement être l’amant de sa femme. Mais la question se pose : quelle part a joué la philosophie, notamment nietzschéenne et postmoderne, dans la perpétration de ce crime, et sa « justification » par son auteur ?

 

Le récit, dense et efficace, se lit comme un bon polar. Daniel Grann, sûr de sa plume, sait ménager ses effets et introduire progressivement les divers éléments à charge, et ce petit bouquin est à coup sûr passionnant.

 

Mais il est aussi, et peut-être avant tout, passablement déconcertant. On peut en effet s’interroger sur les motivations de l’auteur dans cet article. Ne s’agit-il que de raconter une palpitante « histoire vraie », ou y a-t-il une volonté sous-jacente de faire le procès, sur un ton passablement moraliste, d’une certaine philosophie et d’une certaine littérature ? Plusieurs éléments vont dans ce sens – voyez la comparaison avec Houellebecq, plus haut –, et notamment la conclusion de l’article. Or j’avoue que cet aspect m’a un peu gêné : intéressé par les questions de philosophie morale et la « littérature du mal » (Sade au premier chef ; très franchement, je ne rangerais pas Houellebecq dans cette catégorie, mais c’est un auteur que j’apprécie énormément, comme vous avez peut-être pu le noter), j’ai été quelque peu rebuté par les implications de cette affaire et, puisque c’est après tout de cela qu’il s’agit, de son récit. Peut-être n’est-ce que paranoïa de ma part… mais je ne manque pas de m’interroger à ce sujet encore à présent.

 

Une lecture intéressante, quoi qu’il en soit, mais dont les implications morales (moralistes ?) peuvent donc laisser perplexe.

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