"Une enfance comanche", de Bianca Babb
BABB (Bianca), Une enfance comanche. La véritable histoire de ma capture et de ma vie avec les Indiens Comanches, [« Every Day Seemed to be a Holiday » : the Captivity of Bianca Babb], traduit de l’anglais [États-Unis] par Frédéric Cotton, introduction de Frantz Olivié, Toulouse, Anacharsis, coll. Famagouste, 2013, 72 p.
Après une petite pause, retour aux westerns. Enfin, plus ou moins : c’est que, cette fois, il ne s’agit pas d’une fiction, loin de là même, mais d’un témoignage. Ce très bref texte qu’est Une enfance comanche est en effet le récit de la captivité de Bianca Babb, enlevée alors qu’elle avait 10 ans, le 4 septembre 1866, au Texas, par des Comanches. Elle resta sept mois avec eux – pas deux ans, comme elle crut s’en souvenir au moment de la rédaction de ce texte, dans les années 1920 –, avant d’être rendue à son père.
Ce témoignage a surgi tardivement – il n’a été édité que très récemment – et est d’une valeur exceptionnelle. Non pas tant par son sujet – l’introduction passionnante de Frantz Olivié nous éclaire sur la longue histoire des Indian captivity narratives, de même que sur cette étrange institution des enlèvements – que dans la mesure où nous avons cette fois tout lieu de croire qu’il s’agit bel et bien d’un témoignage de première main, l’œuvre de Bianca Babb elle-même, et non une version « arrangée » par un journaliste ou ghost writer.
Or, justement parce qu’ils étaient généralement « arrangés » aux fins de publication, les Indian captivity narratives, qui furent longtemps très populaires, tendaient à verser dans le sensationnalisme, et, soit à présenter les Indiens comme des êtres foncièrement cruels et détestables, soit à donner dans la condescendance évangélisatrice. Autant de travers qui ne marquent pas le texte de Bianca Babb, lequel, en dépit de quelques (rares) inexactitudes relevées en notes, colle le plus possible aux faits sans véritablement émettre de jugement d’ordre moral.
Qu’on ne s’y trompe pas : cela ne signifie pas que Bianca Babb, en livrant le récit de sa captivité, verse dans l’angélisme. Il est bien une occasion où elle a des mots durs pour les Comanches – ou plus exactement pour certains d’entre eux, elle ne généralise pas –, et c’est le moment tragique de son enlèvement, avec son frère Dot, par des Indiens qui tuèrent sous leurs yeux leur mère… C’est pour le moins compréhensible. En outre, la petite Bianca, quand elle se vit offrir la possibilité de retourner chez les Blancs, n’a certes pas craché sur l’occasion, et, si elle a abandonné difficilement sa « mère squaw », elle n’en fut pas moins particulièrement heureuse de retrouver son père, puis son frère, libéré lui aussi contre rançon quelque temps plus tard.
Mais le récit de sa captivité à proprement parler est du plus grand intérêt, et présente une tonalité assez unique. Sans jamais idéaliser les Indiens ou se faire d’illusions sur sa situation précaire – sans doute a-t-elle frôlé la mort à plusieurs reprises, mais son courage teinté d’innocence l’en a toujours préservée –, Bianca Babb livre néanmoins un récit de sa captivité fort différent de ce que l’on trouvait habituellement dans les Indian captivity narratives… et le tableau qu’elle en dresse est presque idyllique. « Every day seemed to be a holiday », nous dit-elle – et cette déclaration singulière est tellement marquante qu’elle fut choisie par les éditeurs américains de son texte, tout récemment, en guise de titre. En se tournant vers ses quelques mois au milieu des Comanches, la vieille dame parvient à s’en tenir aux faits, mais aux faits tels qu’ils pouvaient être perçus par une enfant de 10 ans ; « C’était toujours amusant d’aller à une danse de guerre »… L’atrocité du point de départ est ainsi compensée par un récit presque onirique, à la charmante naïveté enfantine que l’on sent d’autant plus sincère, de ces jours anciens passés parmi des Indiens qui étaient sur le point de voir leur culture disparaître.
Aussi le récit de Bianca Babb est-il précieux sur le plan ethnologique, tout en dégageant une indéniable émotion ; le rapport de la petite Texane avec sa « mère squaw » est ainsi particulièrement touchant, déchirant presque. Et ce en dépit des inévitables faiblesses du style, bien évidemment dénué de toute qualité « littéraire » au sens strict, de la vieille dame qui n’avait rien d’un écrivain, mais n’a pas pour autant confié ces réminiscences à un plumitif chargé de leur donner plus d’éclat. Aussi l’aridité et la maladresse du texte en viennent-elles à constituer des forces de cette Enfance comanche.
Une longue introduction passionnante et bien vue, un témoignage poignant et unique en son genre : Une enfance comanche est un petit texte tout à fait enrichissant, et qui vient utilement compléter certaines des merveilleuses nouvelles de Dorothy M. Johnson dans Contrée indienne.
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