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"Unknown Pleasures", de Peter Hook

Publié le par Nébal

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HOOK (Peter), Unknown Pleasures. Joy Division vu de l’intérieur, traduction [de l’anglais] de Suzy Borello, [Marseille], Le Mot et le reste, coll. Attitudes, [2012] 2013, 380 p.

 

Les habitués de ce blog interlope connaissent probablement, à force, ma passion pour Joy Division, et au-delà pour la scène musicale mancunienne (mais pas vraiment New Order, bizarrement – ou pas). En témoignent plusieurs de mes comptes rendus :  Manchester Music City de John Robb,  Control d’Anton Corbijn,  24 Hour Party People de Michael Winterbottom… Rien d’étonnant, dès lors, à ce que je me sois procuré il y a quelque temps de cela le précédent livre de Peter Hook (Hooky pour les intimes), le bassiste de Joy Division et New Order, à savoir L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club. Pas encore lu, cependant (mais ça ne devrait pas trop tarder). Mais, depuis, le même éditeur a publié un autre livre de Hooky, dont le principe me parlait encore davantage ; et c’est donc finalement de cet Unknown Pleasures retraçant la brève carrière de Joy Division que je vais vous entretenir aujourd’hui.

 

Une carrière brève, oui – quelques années à peine, et seulement deux « véritables » albums, dont un posthume –, mais ô combien déterminante pour la suite des événements ! Rares sans doute sont les groupes qui, à l’instar de Joy Division, ont eu un tel caractère révolutionnaire. Avec le quatuor mancunien, c’est toute une page de la musique alternative qui a été écrite et – hélas – si vite tournée. Groupe phare de la scène post-punk anglaise, Joy Division a eu très tôt une influence considérable, et on ne compte pas les formations contemporaines se revendiquant à plus ou moins bon droit – et parfois jusqu’au pastiche pur et simple… – de cette prestigieuse signature du légendaire label Factory. Et – bien sûr, on ne saurait faire l’impasse là-dessus – ce caractère éphémère et l’aura entourant Ian Curtis et son suicide ont tôt fait de ranger Joy Division dans la catégorie fourre-tout des groupes « cultes »…

 

Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’on ait tant écrit (ou filmé) sur Joy Division. Mais les membres survivants du groupe – New Order, donc – se sont longtemps montrés relativement discrets sur la question. Aujourd’hui, avec ce livre, Peter Hook vient donc rompre le silence. Et on a pu le lui reprocher : en préparant ce compte rendu, je suis tombé sur un article de Libération qu’un citoyen m’avait signalé, cassant du sucre sur le dos du bassiste, accusé de capitaliser sur le passé et de se balader impudiquement avec un cadavre sous le bras… De quoi refroidir les ardeurs. Mais, autant le dire de suite, j’ai trouvé cet article – lu après le livre, donc – parfaitement crétin (et je ne vous parle même pas du titre, tellement Libé…). Me semble en effet que, au-delà de certaines entreprises que l’on peut certes trouver douteuses de Peter Hook (ou de Bernard Sumner, d’ailleurs) à l’égard de son premier groupe, cet Unknown Pleasures est non seulement légitime, mais peut-être même à certains égards salutaire – pour son auteur comme pour les fans : œuvre de catharsis et retour au réel (dans une certaine mesure, j’y reviens de suite), le livre de Hooky participe à certains égards de la légende, mais, à d’autres, vient aussi lui apporter quelques rectifications bienvenues, qui auront probablement de quoi surprendre les amateurs.

 

Cependant, il s’agit d’un livre de souvenirs, et – en tant que tel –, Peter Hook nous le déclare d’emblée, il contient sans doute davantage sa vérité que la vérité. Et on peut parfois se demander si le bassiste n’a pas fait sien l’adage de John Ford (de même que Michael Winterbottom dans  24 Hour Party People, qui le revendique) : « When the legend becomes facts, print the legend. » Ceci étant, dès que l’on a bien conscience de cet aspect, la lecture d’Unknown Pleasures balaie préjugés et préventions, et devient bien vite un régal.

 

Un livre de souvenirs, donc. Qui remonte en fait bien avant Stiff Kittens/Warsaw/Joy Division, puisque Peter Hook s’étend dans les premiers chapitres sur sa vie antérieure à sa carrière musicale, petite enfance incluse. Ce qui, étrangement – ou pas –, est déjà tout à fait intéressant. Mais la rencontre de Barney/Bernard Sumner (avec lequel, depuis la fin de New Order, Peter Hook entretient des relations plutôt houleuses, ce qui ressort parfois ici…), puis de Ian Curtis lors du troisième – si je ne m’abuse – concert des Sex Pistols à Manchester (le premier, rendu célébrissime, est également évoqué), débouche rapidement sur la carrière musicale commune de ces protagonistes.

 

À mille lieues des connotations « arty » que se traîne le groupe a fortiori depuis le suicide de Ian Curtis, Peter Hook dépeint le quotidien d’une bande de branleurs passablement crétins (leurs innombrables « farces » sont sans doute très rock’n’roll, mais surtout consternantes), issus de la classe ouvrière britannique, et qui ont décrété unilatéralement qu’ils feraient de la musique en plein dans l’éphémère explosion du punk anglais. Mais Joy Division (troisième nom du groupe, donc) sortira bien vite de cette ornière sans véritables lendemains pour se constituer un son très personnel, et deviendra ainsi une (la ?) figure essentielle du post-punk britannique.

 

Peter Hook rapporte l’histoire tumultueuse du groupe au travers de moult anecdotes souvent croustillantes, parfois véritablement hilarantes. Joy Division a en effet accumulé les bêtises et autres contre-performances au cours de sa brève carrière, et Hooky revient sur tout cela avec le sourire désabusé d’un ancien combattant, pas peu fier de ses faits d’armes (il déploie régulièrement dans le livre une arrogance typique de la pop anglaise, et ne cesse de rappeler à quel point ils avaient de bonnes chansons – en même temps, ce n’est certainement pas moi qui vais prétendre le contraire…), mais aussi lucide sur les ambitions démesurées et les maladresses de ces gamins terribles qui devaient pourtant changer la face du monde musical. Réputation nazillone, concerts foireux tournant aux bastons d’ivrognes, conflits divers et variés entre les membres du groupe et leur entourage (dont le génial mais invivable producteur Martin Hannett), « farces » stupides (donc), problèmes de van (Hooky, conducteur, y revient sempiternellement), concurrence difficile avec les autres groupes, mais aussi amitiés et émulation… Tout y passe, dans un style oral et gouailleur, très agréable à la lecture, et magnifiquement servi par la traduction au poil de Suzy Borello. Les concerts et les enregistrements sont décortiqués, parfois chanson par chanson (Unknown Pleasures et Closer sont ainsi disséqués). Et tout cela est véritablement passionnant, et très enthousiasmant aussi.

 

Jusqu’à un certain point, bien sûr. On connaît, après tout, la fin tragique du groupe… Mais Peter Hook – à rebours de ce que je craignais un brin, je l’avoue – ne fait pourtant pas dans le pathos. Son portrait de Ian Curtis, pour être nécessairement émouvant, sonne juste, et casse un peu le mythe « arty » qui colle à la peau du chanteur. Cependant, chaque ligne qui lui est consacrée entre forcément en résonance avec son suicide, et Hooky, sans complaisance, rapporte l’aveuglement des trois autres membres de Joy Division et de leur entourage sur l’état de leur chanteur (le bassiste avoue ainsi n’avoir jamais prêté attention à ses paroles jusqu’à ce qu’il soit trop tard, par exemple ; et il est vrai qu’à les lire a posteriori…). Ses difficultés conjugales (voyez Control), qui n’ont sans doute pas peu joué, sont bien entendu évoquées, mais j’en ai surtout retenu pour ma part le terrible tableau de ses crises d’épilepsie à répétition, de plus en plus fréquentes et graves à mesure que les concerts s’enchaînaient (sur un rythme qui m’a paru complètement hystérique)… À la lecture d’Unknown Pleasures, et ce malgré le côté souvent drôle du récit de Hooky, on a l’impression d’un jeune homme entraîné sur une pente fatale, d’une histoire qui ne pouvait que mal finir… Mais Peter Hook n’en rajoute pas ; et, non, décidément, je n’ai pas l’impression qu’avec ce livre il se trimballe avec le cadavre de Ian Curtis sous le bras : il rapporte les faits, tels qu’il les a vécus. Ni plus ni moins.

 

Aussi ne faut-il pas tenir compte des vilenies des esprits chagrins : Unknown Pleasures. Joy Division vu de l’intérieur est un livre passionnant, qui se dévore comme un bon roman, mais avec, malgré tout, un certain parfum d’authenticité (avec les bémols précédemment évoqués) qui participe pour beaucoup à son charme. Une lecture évidemment indispensable pour les nombreux fans de la légendaire formation mancunienne, et qui saura probablement aussi séduire au-delà (c’est tout le mal que je lui souhaite).

 

On retrouvera dans quelque temps Hooky sur ce blog interlope, avec L’Haçienda, la meilleure façon de couler un club.

CITRIQ

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C
Ok t'as gagné, j'vaisl'lire!! :))
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N
<br /> <br /> Cool.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'espère que tu ne seras pas déçue.<br /> <br /> <br /> <br />