"Utopiales 12", de Jérôme Vincent (dir.)
VINCENT (Jérôme) (dir.), Utopiales 12, préface de Roland Lehoucq & Ugo Bellagamba, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2012, 288 p.
Jusqu’à présent, j’ai toujours pris dans l’ensemble beaucoup de plaisir à la lecture des anthologies officielles des Utopiales publiées par ActuSF. Les noms à l’affiche pour cette édition 2012 étant pour la plupart passablement alléchants, je me suis en toute logique précipité dessus – enfin, pour en faire l’acquisition, j’avoue avoir un peu retardé ma lecture du fait de l’établissement scientifique de ma commode de chevet… Mais ça y est, j’ai lu la bête.
Et je suis furieux.
Oh, pas pour tout, certes… Mais prenons les choses dans l’ordre, ça sera plus simple.
On ouvre le bal avec la préface de Roland Lehoucq & Ugo Bellagamba, « Origines » : à vrai dire, ça fait déjà un peu peur, dans la mesure où le programme affiché a l’air passablement régressif… Ceci étant, il est vrai que l’anthologie fait une assez large place à l’enfance. Mais là, comme ça, ça refroidit un peu l’enthousiasme premier ; pour une préface, c’est ballot…
Hélas, les choses ne s’arrangent pas avec la première nouvelle du recueil, due à Pierre Bordage, auteur dont la production ne m’a jamais attiré (et la seule nouvelle que j’en avais lu auparavant, justement dans une anthologie des Utopiales, m’avait paru désastreuse), et ce n’est certes pas « Origo » qui va me faire changer d’avis : c’est une nouvelle au thème très ambitieux (une expédition internationale en route pour le Big-Bang, grosso merdo), mais d’une niaiserie pénible qui vient tout foutre en l’air ; un texte clairement pas à la hauteur de son sujet, quoi.
Et ça ne s’arrange toujours pas avec Sara Doke, laquelle, avec « Fae-space », mélange space-op’ et féerie ; pourquoi pas, hein ? Sans être l’idée du siècle, ça pourrait donner quelque chose d’intéressant… Sauf que non. Ce n’est pas franchement mauvais, c’est juste sans intérêt aucun.
Là, je dois dire que j’ai commencé à avoir franchement les boules : cette anthologie, partie sur des bases aussi calamiteuses, allait-elle faire mentir la bonne image que j’avais des précédentes ?
Ben, en partie. Mais, une fois de plus, n’allons pas trop vite.
Car heureusement survient immédiatement un Vrai Grand Auteur, qui relève le niveau comme c’est pas permis (enfin, si, c’est permis ; ça devrait même être permis plus souvent), en l’occurrence Robert Charles Wilson, qui nous livre avec « L’Observatrice » la très jolie histoire de la relation entre une narratrice adolescente et l’astronome Hubble, prenant pour prétexte les enlèvements par les « petits gris ». Diablement futé, aussi profond qu’émouvant : irréprochable.
Nancy Kress, dans « La Finale », nous conte l’histoire d’un élève surdoué qui veut se débarrasser des « pensées parasites », et, devenu chercheur, obtient des résultats sur une jeune fille qui joue aux échecs ; mais cela ne va pas sans causer quelques soucis… Pas mal, pas mal du tout même ; ça m’incite à faire monter L’Une rêve, l’autre pas dans ma Pile à lire d’Urgence. Je note cependant, même si c’est vraiment histoire de pinailler, que la traduction aurait sans doute bénéficié d’une ou deux couches de relecture supplémentaires. Mais bon.
On passe ensuite à Laurence Suhner, qui, jusqu’à présent, ne m’avait jamais totalement convaincu. Mais « La Chose du lac », nouvelle très typée pulp avec un vol mystérieux et un avatar lovecraftien de Nessie dans le lac Léman, m’a paru bien plus satisfaisante que ce que j’avais pu en lire jusqu’à présent. Amusant, plutôt bien écrit, pas mal du tout.
Puis vient la rock-star de cette édition des Utopiales, à savoir Neil Gaiman. Le prestige du monsieur, la brièveté de sa contribution, et bien entendu mon pessimisme généralisé, me faisaient redouter le fond de tiroir. J’avais bien tort : « « Et pleurer, comme Alexandre » » est une nouvelle courte, certes, mais efficace et drôle, sur le curieux métier de « désinventeur ». L’est fort, ce Gaiman, décidément. Une petite perle en son genre.
Et puis on retourne de par chez nous, et c’est de nouveau la merde… « La Fin de Léthé » de Claude Ecken, sous son titre qui justifierait la tonte s’il y avait une justice, est une histoire d’Alzheimer lourde comme pas possible, avec du pathos à la louche, hors-sujet qui plus est. Très décevant, c’est rien de le dire.
On respire à nouveau (enfin, façon de parler, bien sûr) en s’exilant temporairement de l’autre côté des Alpes avec Tommaso Pincio : dans « Petite Excursion à l’endroit des atomes », on trouvera avec plaisir une classe de CP radioactive dans une Italie « optimiste » à la Silvio et (donc ?) néo-fasciste (bien sûr que c’est de la SF !). Très bien.
Après quoi Laurent Queyssi & Xavier Mauméjean signent enfin (!) la première (et dernière…) bonne nouvelle française de l’anthologie. « En attendant demain » nous narre avec brio la très belle histoire, débutant dans l’Espagne franquiste, d’un petit garçon qui a des visions du futur. Putain, ça fait du bien.
Et puis, et puis…
Du calme, Nébal, du calme.
Et puis vient « RCW » d’Ayerdhal, le plus long texte du recueil et de loin… et celui qui m’a rendu furieux. J’avoue sans peine que je redoutais cette nouvelle à plus d’un titre. D’abord et avant tout, parce qu’il s’agit d’une novella « hommage » à Roland C. Wagner, qui nous a tragiquement quittés cette année ; certains d’entre vous le savent peut-être : j’ai eu, sur les forums et sur ce blog miteux, plus qu’à mon tour, hélas, l’occasion de batailler avec ledit auteur ; n’empêche que la nouvelle de son décès prématuré m’a collé une vilaine baffe et, quand j’ai eu la possibilité comme le courage de lire ce qui avait été écrit à ce sujet, j’ai eu du mal à retenir une larme (croyez-le ou non, peu m’importe). Il était sans doute inévitable de lui rendre hommage lors de cette édition des Utopiales, et je veux bien croire que, sur le moment, cela fut très émouvant. Mais Ayerdhal (auteur dont je n’avais lu auparavant qu’une seule nouvelle, qui m’avait paru très moyenne) s’est donc collé à la tâche fort délicate de l’hommage funèbre dans cette anthologie, au travers d’une longue novella reprenant pas mal les « Futurs Mystères de Paris ». En farfouillant sur le ouèbe, je n’ai lu que des éloges à propos de ce texte, jugé émouvant, juste, toussa, patin-couffin. Et là, je ne comprends pas. Certes, Nébal est un con (je me tue à vous le rappeler) ; certes, je ne suis pas le mieux placé pour parler d’hommage à Roland C. Wagner. Mais vous ne m’empêcherez pas de penser que, bordel, il y avait sans doute meilleur moyen de lui rendre hommage que de faire ressurgir ses pires délires parano-forumesques dans une pathétique charge contre Serge Lehman ! J’ai trouvé ce long texte d’une lecture extrêmement pénible, affligeant, puant, pathétique. J’en suis ressorti furieux, et j’ai encore du mal à me calmer les nerfs. Je ne comprends pas l’enthousiasme pour ce machin lamentable et idiot (j’exclus bien évidemment l’hypothèse du suçage de boules éhonté, ça ne se pratique pas sur la blogosphère, voyons…). Je reste convaincu que, non seulement c’est foireux, mais qu’il n’y avait probablement pas moyen de faire pire. Aussi, je ne félicite pas Ayerdhal, loin de là, et pas davantage les éditions ActuSF pour avoir publié cette merde qui ne fait honneur à personne. Il semblerait donc que je sois le seul à le penser, mais j’en ai rien à foutre, et j’assume.
…
Calme, Nébal, calme.
Tirons le bilan : côté estranger, tout va bien, c’est toujours aussi bon que d’habitude ; côté français, à l’exception de Laurent Queyssi & Xavier Mauméjean, donc, c’est au mieux sans intérêt, au pire désespérant de connerie. Bref : on a lu mieux dans les anthologies des Utopiales d’ActuSF, en ce qui me concerne en tout cas (mais comme ailleurs on a dit beaucoup de bien de ce recueil, j’imagine que c’est ma faute).
Et je suis sur les nerfs, là.
Ça faisait longtemps qu’une lecture ne m’avait pas aussi prodigieusement agacé. Quelque part, ça relève de la performance. Bon, je vais lire un truc mieux que l’ayerdhalerie avant de me coucher ; ça va pas être dur à trouver.
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