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"Vermilion Sands", de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

Vermilion-Sands.jpg

 

 

BALLARD (J.G.), Vermilion Sands, [Vermilion Sands], nouvelle édition augmentée établie par Bernard Sigaud, traduction de l’anglais par Paul Alpérine, Laure Casseau, Alain Dorémieux, Alain le Bussy, Robert Louit, Lionel Massun, Arlette Rosenblum, Bernard Sigaud & Franck Straschitz, Auch, Tristram, coll. Souple, [1955, 1971-1973, 1975, 1992, 2008-2009] 2013, 278 p.

 

J’avais bien entendu déjà lu les nouvelles composant Vermilion Sands (à une exception près, l’inédit de 1955 « Le Labyrinthe Hardoon », dont c’est là la première publication ; un texte relativement mineur, sans doute, mais un Ballard mineur demeure plus que plaisant en regard de la médiocrité coutumière) en me régalant de l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard ; mais ces célébrissimes nouvelles étaient réparties sur les deux premiers tomes, une quinzaine d’années s’étant écoulées entre la publication du premier texte du recueil (« Prima Belladonna », qui fut d’ailleurs le premier texte publié de Ballard en général) et celle de la dernière (« Dites au revoir au vent »). En tout – et en comptant donc l’inédit sus-mentionné –, nous avons maintenant dans sa forme augmentée et définitive un livre admirable comportant dix textes d’exception, témoignage éloquent de la virtuosité de Ballard dès le début de sa carrière. Et j’avais sacrément envie de relire Vermilion Sands comme un bloc ; aussi me suis-je procuré dès sa sortie en « Souple » ce beau volume, Tristram ayant parfaitement compris que cette œuvre avait sa propre singularité au-delà de l’intégrale des nouvelles (mais j’ai cru comprendre que ce livre était déjà épuisé…). Ce n’est cependant que maintenant que j’ai enfin trouvé à le (re)lire… et ça tombe bien puisque, demain soir, à l’indispensable librairie Charybde, on va en causer, ainsi que du Portique du front de mer de Manuel Candré qui lui rend hommage.

 

Vermilion Sands est une station balnéaire léthargique, une utopie langoureuse pour milliardaires excentriques (pléonasme ?), artistes plus ou moins poseurs et stars sur le retour. La plage est presque systématiquement hors-champ, et le désert s’insinue bien davantage dans les visions du lecteur, comme si Saint-Tropez se faisait bouffer progressivement par l’Arizona. Là, la civilisation des loisirs a atteint son comble durant l’Intercalaire, « cette dépression mondiale d’ennui léthargique et de chaleur estivale qui nous entraîna allègrement dans dix années inoubliables » ; à Vermilion Sands – et dans la région qui l’entoure, Red Beach, Lagoon West, etc. –, le travail n’est pas une nécessité, et devient même la forme ultime de la distraction.

 

Aussi, tout le monde ou presque se veut artiste, à Vermilion Sands ; on ne compte pas les sculpteurs soniques, les architectes psychotropes, les poètes ou prétendus tels composant leurs œuvres au verséthiseur (jusqu’à ce qu’une muse pointe le bout de son nez arrogant…), les concepteurs et vendeurs de vêtements biotextiles, sans même parler des fameux sculpteurs de nuages de Coral D. Tout un bagage science-fictif accompagne ainsi les textes, des gadgets d’un futur antérieur où tout était possible et rien n’avait d’importance. Et puis, quand on ne produit pas – c’est-à-dire souvent –, on s’amuse comme on peut dans ce lieu unique où le temps semble se figer : on va chasser les raies des sables, on joue au i-Go… On peut, pourquoi pas, danser avec les vagabonds dans un night club abandonné, souvenir d’un bon vieux temps que l’on ne retrouvera plus.

 

Le regard est en effet volontiers nostalgique, mais avec quelque chose d’un sourire béat ; même les regrets sont positifs à Vermilion Sands. Pourtant, le passé peut y laisser des traces sinistres, ainsi dans la maison folle de Stellavista, qui offre à Ballard l’occasion d’une extraordinaire variation SF sur le thème fantastique de la maison hantée… Mais, au fond, c’est parce qu’on le veut bien : personne n’empêche l’acquéreur de couper les souvenirs de la maison, si jamais… mais cela reviendrait sans doute à lui faire perdre une bonne partie de son cachet.

 

On avait sous-titré jadis Vermilion Sands « Le Paysage intérieur », thème évidemment cher à Ballard. Ici, il est bien entendu à l’image de ce désert périphérique, cette mer de sables qui entoure la station balnéaire et semble la couper du monde : étouffant, doucement monotone, peut-être même vaguement ennuyeux, et d’une beauté implacable. Sous le soleil (exactement), le lecteur participe ainsi du quotidien aussi lumineux que désabusé des habitants et estivants ; sous la plume du brillant artiste, il devient peut-être même créateur à son tour, conceptualisant à grands traits un futur temporaire, nettement moins sinistre que ce que la science-fiction nous propose généralement, jusque dans ses versants les plus utopiques.

 

Il faut dire que la SF, ici, au-delà des gadgets précédemment évoqués – tous plus réjouissants les uns que les autres –, est, au sens strict, terre à terre. Cette œuvre magistrale, entamée peu avant Spoutnik, achevée immédiatement après Apollo XI, délaisse les planètes extérieures et une conquête de l’espace vouée à l’échec – autre thème important de Ballard – pour construire un temps immobile, ou presque, car s’écoulant peut-être lentement vers une apocalypse (forcément…) dans tous les sens du terme, à la fois fin d’une époque – le désert gagne, l’Intercalaire s’achève – et révélation ultime (de la vanité de toutes choses ?).

 

Autre aspect non négligeable de Vermilion Sands, et qui participe de la complicité du lecteur avec l’auteur et ses personnages : cet humour presque omniprésent, sous forme de distance ironique et un brin narquoise à l’égard de ces artistes qui n’en sont pas totalement, ces poètes d’un dimanche à jamais prolongé (à l’heure de la sieste, bien sûr) et autres plaisanciers pleins aux as, souvent reliques d’une jeunesse folle et insouciante, en forme de masque artificiel – ainsi le fascinant et sinistre visage d’adolescente éternelle du mannequin de la dernière nouvelle. Derrière la façade, certes, le tableau peut se faire horrible ; on n’apprécie pas forcément ce que le portrait révèle… tout en le recherchant. Car c’est Vermilion Sands : on n’y échappera pas, et on en fera un amusement, quelles qu’en puissent être les conséquences.

 

Œuvre visionnaire, Vermilion Sands ne ressemble finalement à rien d’autre. Un sommet de l’œuvre immense de l’immense Ballard, qui porte à la fois en germe certains de ses thèmes fondamentaux, et revendique pourtant sa singularité pleine et entière. L’auteur aura l’occasion, dans un sens, de tirer un trait sur la station balnéaire léthargique ; ce sera bientôt la folie de La Foire aux atrocités, les périphériques gris et mortels de la « Trilogie de béton »… ou encore, en clin d’œil ironique, la Riviera malsaine d’œuvres plus récentes. Mais Vermilion Sands demeure, brillant témoignage d’un auteur déjà au sommet de son art, aussi intelligent qu’habile ; l’occasion pour le lecteur d’un regard en arrière, béat forcément, sur un temps où tout semblait possible, et en premier lieu le plus vain et le plus absurde.

 

C’est un immense chef-d’œuvre, dans tous les sens du terme.

CITRIQ

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T
Je tiens Vermilion Sands pour un des plus grands recueil jamais écrit. Très belle édition de Tristram qui plus est, car même l'inédit déniché pour l'occasion ne dépare pas avec le reste des<br /> nouvelles...
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