"Vortex", de Robert Charles Wilson
WILSON (Robert Charles), Vortex, [Vortex], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2011] 2012, 341 p.
Spin de Robert Charles Wilson est incontestablement un des tout meilleurs romans de science-fiction parus ces dernières années, et, c’est formidable, il a eu, à l’étranger comme en France, le succès qu’il méritait, dépassant très probablement les rangs du seul fandom SF. À vrai dire, il fait partie de ces livres qui m’ont amené à me remettre véritablement à la science-fiction, et je n’ai pu m’empêcher, comme souvent quand j’aime quelque chose, de me livrer à une ardente propagande en sa faveur. Il faut dire que ce roman savait conjuguer les meilleurs éléments du genre et, au-delà, ceux de la meilleure littérature tout court. Bien écrit (et traduit par l’excellent Gilles Goullet, toujours aux commandes ici), Spin était un roman vertigineux, débordant de « sense of wonder », et en même temps très humain, grâce à ses personnages complexes et attachants. Wilson s’y montrait fort adroit tant à l’échelle du macrocosme qu’à celle du microcosme, et n’a sans doute jamais aussi bien jonglé avec les deux que dans ce roman formidable.
Il était convenu dès le départ (du moins pour autant que je sache) que Spin serait le premier volume d’une trilogie. Le deuxième, Axis, s’il ne manquait pas de qualités typiquement wilsoniennes, m’avait cependant déçu, comme je vous en avais fait part à l’époque de sa sortie ; sans doute pour une bonne part en raison de l’absence de vertige qui caractérisait ce roman plus « resserré », et aussi – mais ça c’est très personnel – à cause de son usage plus ou moins convaincant des codes du thriller (ce qui est d’ailleurs assez typique de Wilson – voyez Blind Lake, par exemple, ou le roman dont nous allons traiter aujourd’hui –, mais ne m’avait vraiment pas séduit dans celui-ci). Cela dit, je concluais mon compte rendu en disant que je me jetterais malgré tout dès sa sortie sur le dernier tome, Vortex, et c’est bien ce que j’ai fait (même si mon compte rendu est un peu tardif, mais j’ai eu ces derniers temps d’autres, euh, « priorités », comme vous avez pu le constater). Allait-on cependant y retrouver la grandeur de Spin, ou bien ne serait-ce, un peu comme Axis à mes yeux, qu’un livre inutile à côté du monument originel ? Telle était bien la question…
Quelques années – décennies, au pire – après le Spin, sur Terre. Sandra Cole est psychiatre au State Care de Houston. On lui confie un jour – mais brièvement – un jeune vagabond du nom d’Orrin Mather, dont le cas lui paraît particulièrement intéressant (et qui suscite aussi visiblement la curiosité du policier qui l’a confié à l’institution, du nom de Bose, dont Sandra tombera immanquablement amoureuse). Il faut dire que le timide et maladroit Orrin trimbale avec lui des carnets – mais en est-il vraiment l’auteur ? – qui racontent une histoire pour le moins étrange. Et pour cause : dans ce monde de science-fiction, cette « autobiographie » (ou pas) fait figure… de roman de science-fiction (intéressante mise en abyme, au passage).
En effet, les carnets d’Orrin racontent une histoire qui se situe 10 000 ans après les événements d’Axis, sur Équatoria, mais pas que, et s’ouvrent sur ces lignes intrigantes : « Je m’appelle Turk Findley et je vais vous raconter ce que j’ai vécu longtemps après la disparition de tout ce que j’aimais ou connaissais. » (On rappellera que Turk Findley était un des principaux protagonistes d’Axis, dont la lecture ne me paraît cependant pas constituer un préalable indispensable à Vortex) Le personnage en question a été « enlevé » par les Hypothétiques, créateurs du Spin et de l’arc entre la Terre et Équatoria, et « reconstitué » 10 000 ans plus tard (donc) dans un désert de cette dernière planète. Il y est retrouvé par les Voxais, habitants d’un archipel artificiel voyageant entre les mondes, qui attendaient le retour des « Enlevés » avec une impatience certaine, comme signe de leur « fusion » prochaine avec les Hypothétiques. C’est ainsi que Turk fait la connaissance de Treya, une jeune Voxaise qui s’est vue implanter la personnalité d’Allison Pearl, une jeune fille de son époque originelle (qui se livrera à son tour, également à la première personne, dans les carnets d’Orrin), afin de faciliter le contact entre les individus issus de contextes si différents. Et Vox de reprendre le chemin de la Terre toxique et abandonnée, dans l’espoir d’une ultime rencontre en forme d’apothéose et d’apocalypse (dans tous les sens du terme) avec les Hypothétiques…
Le roman alterne donc, un chapitre sur deux, d’une part le récit des événements quasi contemporains avec Sandra et Bose, et d’autre part celui contenu dans les carnets d’Orrin Mather, Robert Charles Wilson jouant avec aisance de ces deux époques si contrastées. Bien évidemment, pour connaître le lien entre les deux – et tant qu’à faire la vérité sur les Hypothétiques –, il faudra attendre le dernier chapitre…
Disons-le tout net : la trame mettant en scène Sandra et Bose ne m’a pas vraiment convaincu. Très thrilleresque (donc), elle me paraît manquer véritablement d’enjeu, en étant trop focalisée sur le microcosme (un peu ce que je reprochais, déjà, à Axis). Comme d’habitude chez Wilson, les personnages ne sont pas inintéressants, et même plutôt attachants, mais on avouera que l’auteur canadien en rajoute une couche pour le moins superflue en surjouant du pathos à leur égard. Certes, le lecteur est intrigué, lui aussi, par les carnets d’Orrin ; mais il me paraît difficile de s’intéresser véritablement à l’enquête parallèle concernant le trafic de drogue de longévité martienne (voir Spin).
Il en va à mon sens tout autrement pour ce qui est de la trame « futuriste » : ici, on retrouve bien cet astucieux mélange d’intime et de cosmique qui faisait une bonne partie du charme du premier tome. Turk et Allison sont à mon sens bien plus intéressants et « authentiquement » complexes que le couple parallèle formé par Sandra et Bose. Et, surtout, on y trouve énormément de bonnes idées, dont certaines absolument fascinantes ; ainsi du fanatisme proprement religieux des Voxais et, plus encore, de leur système politique, la démocratie limbique, sorte de « totalitarisme démocratique » fondé sur la conscience collective, aussi séduisant dans l’absolu qu’horrifiant et odieux dans la pratique ; une belle réflexion qui, avouons-le toutefois, aurait mérité à mon sens, peut-être, de plus amples développements (en l’état, c’est un peu frustrant). Les aspects politiques ne manquent pas, de manière générale, dans Vortex, qui se livre également à une critique écologique d’une actualité indéniable. Et, reconnaissons-le, s’il est ici ou là quelques motifs d’espérer, le tableau dressé par Robert Charles Wilson est tout de même globalement plutôt pessimiste (ce qui me va très bien, hein).
Aussi Vortex est-il en définitive un roman un peu bancal, plus ou moins intéressant selon les époques. Une bonne moitié du livre, du coup, me paraît presque superflue (d’autant que lien entre les deux trames n’est ni vraiment original, ni totalement convaincant). On pourrait, à vrai dire, se demander comme pour Axis si ce n’est pas le roman entier qui se révèle finalement superflu… En effet, à la conclusion de cette trilogie, l’idée que Spin se suffisait à lui-même, en définitive, s’impose avec force : on peut parfaitement s’arrêter à cet excellent premier roman, qui n’appelait pas nécessairement de suites.
Ceci dit, Vortex n’est donc pas mauvais pour autant, juste bancal. S’il est évidemment bien inférieur à Spin, mais je ne m’attendais pas à ce que Robert Charles Wilson renouvelle ce coup de maître, je l’ai trouvé bien meilleur qu’Axis. Il contient beaucoup de très bonnes idées dans sa partie voxaise, et se conclut sur des images de toute beauté, d’un grand « sense of wonder » que j’aurais presque envie de dire « à la Stephen Baxter » (pour ceux qui en douteraient, c’est un compliment).
En définitive, malgré la faiblesse relative d’une de ses deux trames, Vortex est même plutôt bon, du coup (surtout en ces temps de disette science-fictive, réelle ou indirecte : si l’on compare Vortex aux autres publications SF inédites de l’année, il ne fait aucun doute à mes yeux que le roman de Robert Charles Wilson, avec ses défauts, est largement au-dessus du lot). Au contraire d’Axis, roman de transition peu convaincant, j’aurais donc plutôt envie d’en recommander la lecture. Tout en souhaitant que Wilson, peut-être enfin débarrassé du poids du monstre, ose se renouveler quelque peu pour ses prochaines productions, parce qu’on avouera qu’il se répète tout de même un peu… Mais bon, je chipote : en l’état, ça reste pas mal du tout. Pas indispensable, mais correct. Et un Wilson correct est nécessairement un bon bouquin. Tout est relatif, comme disait l’autre.
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